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Séance publique de la distribution des grands prix de Rome

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Séance publique de la distribution des grands prix de Rome 
à l’Institut (Académie des Beaux-Arts). 
Composition musicale.

Il est une vérité fatale dans l’ordre intellectuel, à savoir que les académies tuent le génie, l’indépendance, l’originalité ; elles parquent la pensée, la refroidissent, la mesquinisent ; elles disent à l’artiste : tu feras comme nos prédécesseurs, comme tes maîtres. C’est surtout dans l’art musical que se font sentir ces fâcheuses influences. Nous avons, grâce à l’Institut, de riches architectes, de bons peintres, d’excellents musiciens, des compositeurs corrects, mais pas un homme fort, créateur. L’instrumentation riche et puissante, les hardiesses de l’harmonie moderne nous viennent de Beethoven et Meyerbeer, comme les formes mélodiques ont été renouvelées par Rossini ; Paganini et Thalberg ont découvert des voies inconnues dans l’exécution instrumentale : ces hommes éminents ont-ils obtenu ces brillants résultats parce qu’ils ne sont pas de l’Institut ? Parce qu’ils n’ont point procédé dans les formes académiques ? On serait tenté de le croire. Il est bien certain que depuis dix ou douze ans, au moins, aucun des jeunes musiciens qui ont remporté le grand prix de composition musicale à l’Institut, n’a prouvé des facultés éminentes dans son art. Le lauréat de cette année ne s’annonce pas plus que ses prédécesseurs comme homme d’imagination. 

On donne maintenant plus de développements dramatiques, plus de largeur à la scène lyrique qui est destinée à être exécutée à la séance de distribution des prix : celle que M. Roger a mise en musique cette année, et qui lui a valu le prix, n’est ni plus mauvaise ni meilleures que celles des années précédentes. Les paroles sont de M. Pastoret : elle est à trois voix, un soprano, un ténor et une basse. Le sujet assez bizarre est tiré d’une légende allemande ; c’est la reine Flore, fée décevante, qui, pour se venger d’un chevalier infidèle et quelque peu brutal, fait déborder un lac sur lequel l’imprudent s’est embarqué avec elle, et se sauve en marchant lestement sur les eaux, pendant qu’elle laisse impitoyablement noyer le chevalier pour aller se consoler avec un jeune page. 

Que dire maintenant de la musique de cette cantate à trois voix ? Que c’est proprement fait, que l’instrumentation en est sage ; que mademoiselle Descot, qui a chanté la reine Flore, a dit au commencement de la scène une assez jolie romance en la majeur ; que le duo chanté ensuite par elle et Roger de l’Opéra-Comique, chargé de nous interpréter l’amour du jeune écuyer, est estimable ; qu’un début de trio entre Alizard, faisant le personnage du chevalier félon, et mademoiselle Descot, est d’un assez bon caractère, mais que ce morceau manque de chaleur et surtout d’effet vocal. Voilà vraiment tout ce qu’on peut citer de la scène de M. Roger, avec quelques parties d’un récitatif assez vrai, assez bien déclamé par le compositeur. Cette scène a été précédée par l’exécution d’une ouverture de la composition de M. Bousquet, autre lauréat, morceau instrumental d’une large et belle facture. Tout cela, bien exécuté par l’orchestre de l’Opéra, fort bien conduit par M. Battu, a été vivement applaudi. Nous ratifions ces applaudissements, à condition que M. Roger ne croira pas avoir assez fait pour sa gloire et la postérité, et qu’il nous enverra de la ville éternelle un ouvrage musical digne d’égaler, en son genre, le beau tableau que M. Papety a peint en Italie, et qui figurait ces jours passés parmi les envois de Rome à l’Ecole des beaux-arts. 

Henri Blanchard.

Personnes en lien

Compositeur, Violoniste, Homme de lettres

Henri BLANCHARD

(1778 - 1858)

Compositeur, Violoniste

Alexis ROGER

(1814 - 1846)

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date de publication : 19/10/23