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Séance publique de l'Institut

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La séance publique annuelle de l’Institut national de France pour la distribution des grands prix de l’Académie des beaux-arts a eu lieu samedi 14 octobre. […] Les banquettes du centre, les tribunes et les amphithéâtres étaient littéralement combles une heure avant le commencement de la séance, et, suivant la coutume, les dames se comptaient en grande majorité. La vanité nous ferait volontiers penser que cet empressement du public à se rendre en tout temps à la séance de la distribution des grands prix de l’Académie des beaux-arts, vient de ce que la musique entre pour une bonne part dans le programme de cette séance. Il est du moins certain que la musique lui donne un grand attrait. C’est là, et là seulement, qu’on entend exécuter la cantate du jeune lauréat qui a remporté le grand prix de composition musicale, tandis que les œuvres couronnées des peintres, sculpteurs, architectes et graveurs demeurent exposées une semaine entière au palais des beaux-arts. […] Il nous reste aujourd’hui à parler de l’œuvre du musicien. Mais nous dirons quelques mots d’abord de l’ordre de la séance. Elle a commencé par une ouverture à grand orchestre de M. Massé, pensionnaire de l’Académie de France à Rome. Ce morceau se distingue par une conception sage et une très-louable clarté de facture. L’andante de l’introduction est d’un bon style et bien instrumenté. Il est fâcheux que le premier thème de l’allegro manque d’élégance. Ce serait, sans ce défaut, une des meilleures ouvertures que nous ayons entendues à l’Institut. […] Enfin est venue, pour terminer la séance, l’exécution de la Cantate couronnée cette année. L’auteur est M. Jules-Laurent Duprato, né à Nîmes la 20 août 1827, élève de M. Leborne, professeur au Conservatoire. C’est le troisième élève de ce maître, qui, depuis quelques années, obtient la première couronne au concours de l’Institut. Le sujet qu’il a eu à traiter musicalement est Damoclès. Cette scène, dont l’auteur est M. Paul Lacroix, a été choisie entre soixante et une pièces de vers qui ont été envoyées au concours de cette année, l’Académie ayant décidé, il y a quelques temps, qu’un concours de poésie serait annuellement ouvert pour la scène lyrique à mettre en musique. Il eût été à souhaiter que, sur un si grand nombre de pièce de vers, l’Académie en eût pu trouver une plus favorable au talent du musicien. Il était, en effet, difficile de rendre musical un pareil sujet, quelque bien conçu et purement écrit qu’il fût. Voici comment le poëte l’a dessiné. Damoclès, pauvre habitant de la campagne, est subitement élevé, pour un jour, au trône de Syracuse, par le tyran Denys. Les délices du rang suprême lui apparaissent d’abord comme la plus parfaite félicité de ce monde. Mais sa fille Lydia n’entrevoit, sous ce luxe royal, que douleurs et périls. Il a beau chanter et ce réjouir en se voyant couvert de pourpre, le diadème en tête, devant une table splendidement servie, elle ne peut partager sa joie. Elle regrette le tranquille plaisir des champs, « le vrai bonheur… »

            Adieu, tables frugales,

            Humbles lits de roseaux,

            Murmures des cigales

            Doux concerts des oiseaux !…

Tout à coup elle est saisie de terreur, elle veut fuir ; son père veut la retenir et lui demande d’où vient sa crainte. – Vous ne voyez donc pas ? – Quoi donc ? – Sur votre tête, un glaive étincelant suspendu par un fil ! – O Lydia, fuyons ! – Non, Damoclès, arrête ! s’écrie alors Denys, qui force le malheureux épouvanté à vider encore sa coupe, en face du terrible danger qui le menace, lui faisant connaître ce bonheur des grands tant envié…

            Au rayon des lampes nocturnes,

            Voir des spectres sanglants et froids,

            Sur vous se pencher taciturnes,

            Hélas ! c’est le destin des rois !…

            Redouter, frissonnant et blême,

            Amis, parents, tous à la fois ;

            N’avoir personne qui vous aime,

            Hélas ! c’est le destin des rois !

Damoclès déplorant son ambition, souffre de mortelles angoisses. Lydia pleure et demande grâce pour son père. Denys, impitoyable, exige que la journée de plaisir que Damoclès s’était promise, aille ainsi jusqu’au bout. « Tu n’es roi que depuis une heure ! » lui dit-il. En finissant ainsi, la scène de M. Paul Lacroix a le défaut de n’avoir pas de dénouement, et a dû par conséquent jeter le musicien dans un grand embarras pour terminer sa cantate d’une manière caractéristique. M. Jules Duprato a cependant su tirer bon parti du sujet difficile qui lui était imposé, et avec une habileté qu’il est rare de trouver dans un concurrent de l’Institut. Sa partition commence par une introduction instrumentale d’un bon coloris. Le premier récitatif :

            Moi, pauvre Damoclès, qui n’ai reçu des dieux…

Est très-bien déclamé, et prouve que son auteur a étudié comme il faut les grands modèles du drame lyrique. L’air de Damoclès : Jour de triomphe et d’allégresse, débute bien, mais le milieu est moins heureux ; à partir de ce vers :

            J’ai de vastes portiques,

L’expression musicale est froide et languissante. Le duo de Lydia et Damoclès est un excellent morceau. La ritournelle qui précède l’andante est faite avec beaucoup de goût et de simplicité. Le chant sur ces mots : Ce festin doit te plaire… est d’une grâce et d’une élégance parfaite. La romance de Denys : Toujours craindre la trahison… mérite aussi des éloges ; le compositeur s’est profondément pénétré de la situation, qui est vraiment pathétique, et il a surtout mis convenablement en relief toute l’amertume du refrain : Hélas ! c’est le destin des rois ! Il nous semble qu’il a moins bien senti la situation suivante par où commence le trio final. À la manière dont Damoclès chante « Ah ! voilà donc la vie des rois et des tyrans !… » on le croirait plutôt se complaisant dans une douce mélancolie que frappé de terreur et de dégoût, comme il devrait l’être à l’aspect des dangers et des soucis de la royauté. Sans doute, M. Jules Duprato a voulu être mélodique quand même, et l’on doit, en général, préférer cet excès à l’excès contraire. Nous serions presque tenté de féliciter le jeune compositeur d’être tombé dans celui-ci, si nous ne pensions que tout défaut est défaut, qu’il n’en est pas un à la rigueur, préférable à l’autre, et que le devoir de la critique est de les signaler tous, principalement à l’auteur qui n’est encore qu’à sa première œuvre. En revanche, nous louerons sans restriction l’andante du trio : Ce festin est l’image… Les parties vocales y sont écrites avec un talent consommé, l’accompagnement d’orchestre y est ménagé avec une habileté très-grande. La disposition de ce morceau est, en un mot, irréprochable, et l’on y remarque la plus heureuse entente de l’effet musical. L’allegro qui suit et qui termine la cantate n’est pas à beaucoup près aussi bien inspiré ; le motif principal n’est pas d’un bon choix, il manque de distinction, la forme du morceau est banale. En résumé, il y a dans cette cantate beaucoup plus à louer qu’à reprendre, M. Jules Duprato s’y montre dans une bonne voie, et doué d’un bon sentiment mélodique. Nous croyons donc pouvoir dire avec vérité que l’Académie a couronné, cette année, un jeune compositeur d’avenir. Fassent les dieux, les hommes et les circonstances que cet avenir n’avorte pas, comme celui de tant d’autres, au retour du pensionnaire de Rome, retour si plein d’illusions brillantes et de tristes déceptions ! G. B.

Personnes en lien

Compositeur

Victor MASSÉ

(1822 - 1884)

Compositeur

Jules DUPRATO

(1827 - 1892)

Documents et archives

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date de publication : 13/09/23