Conservatoire. Inauguration de la nouvelle salle des concerts et exercices
CONSERVATOIRE IMPÉRIAL DE MUSIQUE ET DE DÉCLAMATION.
INAUGURATION DE LA NOUVELLE SALLE DES CONCERTS ET EXERCICES.
(Jeudi 4 janvier 1866.)
Ouverture, de M. DUBOIS ; les Rivaux d’eux-mêmes, comédie en un acte de PIGAULT-LEBRUN ; Renaud dans les jardins d’Armide, cantate à trois voix, paroles de M. C. Du LOCLE, musique de M. LENEPVEU, grand prix de 1865.
La transformation de la salle de spectacle du Conservatoire en une salle élégante, claire et confortable, est un fait accompli. Nous avons vu de nos yeux, vu, un salon décoré dans le style pompéien, que constellent les grands noms de l’art moderne, dramatique et musical ; des loges commodes et peintes de frais, et nous avons pris place dans un fauteuil d’orchestre à bascule, ingénieux mécanisme qu’ignoraient vraisemblablement les architectes de Pompéi.
Les fanatiques de la tradition, les enragés de la routine, présents aujourd’hui, 4 janvier, à cette séance de réouverture, regardaient autour d’eux sans comprendre. Ils étaient inquiets, mal à l’aise ; on eût dit que ce rajeunissement les effrayait, et qu’ils s’attendaient à quelque catastrophe. […]
L’orchestre de l’Opéra, dirigé par Georges Hainl, fit entendre d’abord une ouverture de concert par M. Dubois, grand prix de 1861. Cette ouverture est purement écrite, habilement instrumentée ; M. Dubois a fréquenté les grands maîtres, Weber surtout, et nous l’en félicitons. L’heure viendra assurément où il se fiera davantage à sa propre pensée, à son inspiration personnelle ; aujourd’hui, il hésite encore et cherche sa voie. Il est sur le bon chemin. […]
Nous voici rendus au morceau capital de la séance, à la cantate couronnée cette année ; il s’agit de Renaud et des jardins d’Armide, un sujet qui ne brille pas précisément par la nouveauté.
Mais, en vérité, je ne saurais être bien sévère pour cette chose officielle qui a nom une cantate de concours. J’admire de toutes mes forces des poëtes qui peuvent se mouvoir dans le cadre cruellement restreint qu’on leur impose, des jeunes compositeurs qui, enfermés dans des cellules, en tête à tête avec une épinette, doivent avoir en vingt-cinq jours et sur le premier sujet qu’on leur donne, trouvé l’inspiration, enlevé de force la mélodie, dessiné leur orchestre, recopié enfin de leur plus belle main le quart d’une partition d’opéra. J’admire encore les artistes qui sont chargés d’interpréter devant le public l’œuvre couronnée. Ils viennent là, en habit noir ou en robe blanche, s’asseoir autour du chef d’orchestre, leur partie à la main, froidement, cérémonieusement, prosaïquement. Et cependant le public, qui tient à la main la cantate imprimée, s’attend à voir des gens qui vivent et s’animent quand il faut. On lui parle d’Armide qui descend de son char, d’Ubaldo qui porte un rameau d’or à la main ; il regarde, il cherche… hélas ! le char d’Armide est une chaise en palissandre capitonnée de soie rouge, et le rameau d’or d’Ubaldo, le guerrier invincible, est un innocent rouleau de papier de musique.
Le compositeur, qui a pris son poëme au sérieux, n’a eu garde d’oublier les éléments dramatiques qu’on lui offre. Voyez-vous ce que deviennent les éléments dramatiques dans les mains de chanteurs figés sur leur siège, s’asseyant, se relevant avec la ponctualité irréprochable d’une machine bien organisée ! Dans une symphonie, dont un programme rapide exprime les situations principales, l’auditeur peut encore se faire illusion ; il peut, à force d’imagination, se représenter le char d’où descend l’enchanteresse, le glaive que Renaud va ceindre ; dans une cantate, l’imagination la plus inflammable est écrasée sous la réalité, une réalité implacable entre toutes : celle du salon, de la robe décolletée et de la cravate blanche.
Ces réserves faites, je déclare que le poëme de M. Camille du Locle me paraît un des meilleurs qu’on ait offerts depuis longtemps aux jeunes concurrents. M. Lenepveu s’en est heureusement inspiré. La cavatine de Renaud :
Hâte, dans ta route ardente,
est une mélodie franche et originale qui a tout d’abord séduit le public. Elle a été dite avec grâce par Capoul, qui excelle dans ces mélodies délicates et contenues. Dans l’allegro qui suit, le jeune ténor a été moins heureux ; il a voulu forcer sa voix et il est monté à l’assaut d’un si bémol sur lequel, évidemment, il comptait beaucoup pour sa gloire. Le public a accueilli très froidement cette tentative violente. Ces escalades aventureuses conviennent peu au genre de voix de l’élégant ténor ; qu’il s’en tienne au chant véritable, – c’est son domaine et sa fortune, – mais qu’il se défie des grands cris, des explosions dramatiques. Il s’obstinerait en vain et il pourrait tout perdre.
L’entrée d’Ubaldo a été saluée par les applaudissements très vifs. La phrase est large, vigoureuse, bien qu’un peu vulgaire peut-être ; Petit en a fait ressortir magistralement toute l’ampleur. Son bel organe, si chaudement timbré, a fait merveille en cet endroit. On nous dit que Petit, que le Théâtre-Lyrique a laissé partir, va aborder la carrière italienne et qu’il est attendu à Barcelone. À la place de M. Perrin nous lui aurions épargné ce long voyage.
L’ouvrage se termine par une symphonie Armide a soulevé les éléments qui font rage, la foudre gronde, les palais enchantés sont renversés par le vent. Cette page est fort belle ; c’est assurément la meilleure de la partition. Il y a là-dedans de la jeunesse, de la fougue, de la passion ; l’orchestre est bien traité ; les rythmes impétueux s’enchevêtrent, s’entrechoquent vaillamment ; c’est une inspiration vraie.
Mlle Roze, chargée du rôle d’Armide, est un peu froide pour une magicienne si tumultueuse. Les passages les plus violents s’adoucissent en passant par sa bouche, et, quand elle menace, elle trouve le moyen de sourire encore. Elle a dit, non sans charme, la phrase élégante qui commence ainsi :
La fraîche rose empourprée.
Elle a réussi surtout dans la première partie de son duo avec Capoul :
C’est ainsi qu’il est doux de vivre !
La phrase est tendre, passionnée, rêveuse, elle convient à la voix des deux artistes, qui en ont fait ressortir toute la grâce.
En somme, cette cantate est une œuvre distinguée et qui promet pour l’avenir. Il y a des faiblesses, sans doute, et l’originalité fait quelquefois défaut au jeune compositeur ; mais les qualités sérieuses y abondent, un vif sentiment dramatique, entre autres, et une grande aisance dans le maniement de l’orchestre. Je souhaite à M. Lenepveu un bon poëme à son retour de Rome ; sans un poëme vrai, il n’y a plus aujourd’hui d’opéra possible, comique ou sérieux. Je lui souhaite encore, et surtout, un directeur comme M. Carvalho, qui ne redoute pas les jeunes gens, les incinnus. Enfin, M. Lenepveu a cinq années au moins devant lui ; c’est un long espace de temps pour tout le monde, pour les directeurs de théâtre surtout. Qu’il espère !
A. de GASPERINI.
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date de publication : 15/10/23