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Uthal de Méhul

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Opéra-Comique, rue Feydeau
UTHAL.

Les applaudissemens prodigués à la seconde représentation de cet opéra, ont confirmé le grand succès de la première. Nous devons à nos lecteurs une analyse du sujet, suivie de quelques réflexions sur le mérite de l’ouvrage ; & cette tâche exige trop de détail pour nous permettre des digressions. Nous commençons par les paroles.

Tout l’intérêt du poëme roule sur la perplexité où se trouve une femme sensible, la belle Malvina, dont le père et l’époux sont armés l’un contre l’autre.

Uthal, gendre du roi Larmor, a détrôné ce vieux monarque, & s’est emparé de son trône, (ce qui, par parenthèse, pourroit bien le faire nommer Brutus, par quelques auteurs de parodies). Larmor, fugitif, appelle à son secours le noble & valeureux Fingal, & revient avec ce protecteur, à la tête d’une nombreuse armée, pour livrer bataille à l’usurpateur.

Mais, c’est-là ce que veut éviter Malvina, fille de Larmor & femme d’Uthal ; quand elle se trouve avec son mari, elle le supplie de rentrer dans le devoir, c’est-à-dire de rendre le sceptre à qui il appartient ; quand elle s’adresse à Larmor, c’est pour le conjurer d’éviter l’effusion du sang ; & tous les deux se montrent également opiniâtres ; avec cette différence, pourtant, que la persévérance du beau-père, est sinon plus naturelle, du moins beaucoup plus légitime que l’ambitieux entêtement du gendre.

Malvina se donne à ce sujet des mouvemens incroyables ; elle quitte d’abord son mari pour aller au devant de son père, & elle traverse d’immenses forêts ; puis, quand elle voit qu’elle ne peut rien gagner sur l’esprit du vieillard, elle court implorer l’humanité des soldats de Fingal. Tous ses efforts sont inutiles.

Uthal, de son côté, ne se conduit pas avec plus de précaution ; désolé d’avoir perdu sa femme, il court après elle dans les bois, & il ne l’a pas plutôt trouvée, qu’il tombe au pouvoir de ses ennemis ; c’est une belle occasion de vengeance pour Larmor, mais les guerriers de Fingal se piquent de générosité ; &, comme s’ils avoient eu connoissance de ce beau vers :

À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire,

ils permettent à Uthal d’aller chercher ses soldats, Malvina reste auprès de Larmor. Ici grand combat. Uthal est vaincu, pris & enchaîné ; mais, loin de vouloir se soumettre de bonne grâce, il se plaît à narguer le vainqueur ; & celui-ci le condamne au bannissement. Par bonheur la tendre Malvina est comme la reine Jeanne de Navarre,

Qui se range toujours du parti qu’on opprime ;
(Templiers.)

elle déclare que si son mari est forcé de s’expatrier, elle le suivra dans son exil ; & ce dernier trait de générosité fait tomber le farouche Uthal aux pieds du vieux monarque, qui finit par lui pardonner.

Cette fable n’est pas sans intérêt ; elle donne lieu à des situations dramatiques qui, pour n’être pas tout à fait neuves, n’en produisent guères moins d’effet sur l’esprit de la multitude ; le style est d’ailleurs au ton du sujet, c’est-à-dire pompeux, épique, boursoufflé même, & abondant en métaphores. Les vers sont en général bien tournés.

Mais voici le plus important ; car il s’agit maintenant de la musique.

Depuis long-temps les justes appréciateurs du rare talent de M. Méhul regrettoient de le voir l’exercer sur des ouvrages d’un genre qu’ils regardoient comme trop au-dessous de lui. Doué d’un génie fortement dramatique, ce compositeur semble, en effet, particulièrement appelé à peindre les passions violentes, & à faire parler les personnages héroïques. Mais peut-on savoir mauvais gré au savant auteur d’Adrien, de Stratonice, de Phrosine & Mélidor, d’Ariodant, &c, d’être en même-temps l’aimable & spirituel musicien auquel nous devons l’Irato, une Folie, & les Deux-Aveugles ? L’on n’avoit donc, selon nous, qu’un seul reproche à adresser à M. Méhul : c’étoit d’avoir fait trop attendre une production du genre de celles auxquelles il doit sa première gloire ; & ce reproche, en le supposant bien fondé, M. Méhul vient d’y répondre par le succès de son Uthal.

Les transports avec lesquels le public a accueilli cet ouvrage ont été partagés par les juges les plus sévères : chants nobles & purs, grands effets d’harmonie, tout s’y trouve combiné pour produire tour-à-tour le charme & la surprise. Mais nous croyons devoir insister sur un mérite très-particulier à cet opéra, mérite qui a été vivement senti par tous ceux des spectateurs auxquels les poësies d’Osian [sic] sont familières. Boileau avoit dit aux poëtes tragiques :

Conservez à chacun son propre caractère.
Des siècles, des pays, étudiez les mœurs ;
Les climats font souvent les diverses humeurs.

M. Méhul s’est fait l’applicateur de ce judicieux précepte : il a voulu que sa musique portât l’empreinte du siècle & du pays, où se passe l’action théâtrale. Qui n’a pas, en effet, été frappé de la couleur locale qui se fait apercevoir dès le début de l’ouverture ? Aux sons prolongés des cors, aux accens aériens de la harpe, qui s’élèvent de cette masse d’harmonie, ne croit-on pas entendre les ombres ossianiques faisant éclater leurs voix & leurs accords du sein des nuages ? Sans monotonie, sans abus des mêmes moyens, M. Méhul a su donner à toutes les parties de son opéra ce caractère de nature & de vérité.

Une exacte analyse des beautés de détail prouveroit que nous ne sommes point égarés par un enthousiasme irréfléchi ; mais, restreints ici, à de simples citations, nous ne pouvons même indiquer qu’un petit nombre des morceaux qui ont excité des applaudissemens unanimes. Comment résister au plaisir de parler de cet orage de l’ouverture, beau encore à côté de celui de l’Iphigénie en Tauride, de Gluck ? de cet air si noble, de Solié, (ombres de mes ayeux) ; de cet autre si touchant & si pur, (pour soulager tes maux), parfaitement chanté par Mme Scio, & suivi de l’admirable duo : viens, cher enfant, un des plus beaux qu’ait jamais écrits l’auteur ? Qui n’essaiera de répéter la romance de Gavaudan (la fille des Rois) ? Qui n’admirera l’adresse avec laquelle M. Méhul, variant les accompagnemens, selon les couplets, a fait usage ici du talent, qui semble lui être propre, de faire parler les violoncelles d’une manière toujours neuve ?

Les chœurs & les morceaux d’ensemble d’Uthal, ont produit une sensation inexprimable : ils suffisent seuls effectivement, pour attester le talent du grand maître. Toutes les richesses de l’art y sont semées à pleines-mains, & avec une variété prodigieuse. Est-il un chœur d’un effet plus magique que celui que chantent les guerriers de Fingal, en abordant sur le rivage, si ce n’est peut-être la prière des Bardes, dans la forêt : Ombres, faites silence ? Comme le cœur terrible, Guide à l’instant nos pas, est admirablement coupé par les chants de Malvina & de son père ? N’est-ce pas bien ainsi que les fiers enfans de Morven devoient prononcer le serment nous le jurons ? N’est-ce pas avec cet accent effrayant qu’ils devoient chanter l’hymne de guerre ?

L’orchestre, dans tout le cours de cet opéra, offre une particularité dont on a eu peu d’exemples en France. Les violons y sont tous remplacés par des alto [sic] : cet instrument, plus grave que le violon, donne des sons qui se rapprochent quelque fois de la voix humaine. Les compositeurs habiles à juger des effets, ont toujours employé les alto dans les morceaux d’une expression tendre & mélancolique ; & M. Méhul, guidé par un goût exquis, a jugé qu’ils étoient singulièrement propres à répandre sur son ouvrage cette teinte ossianique, dont nous parlions plus haut.

Nous avons dit, dans la courte notice tracée au sortir de la première représentation, que l’opéra d’Uthal, eut été plus convenable, peut-être, au théâtre de l’Académie impériale de musique qu’à celui de la rue Feydeau. Nous avions été induits à le penser par l’élévation du sujet, la noblesse des chants, & la richesse de l’orchestre : mais, réflexion faite, nous croyons que MM. Méhul & St-Victor ; n’ont qu’à se féliciter de leur choix. Certaines gens qu’offusquent les grandes renommées, n’eussent point manqué d’attribuer au prestige des ballets & des décorations, une partie du succès d’Uthal ; mais ici, il faut bien qu’ils conviennent que la gloire en est toute entière aux auteurs.

Gavaudan représente très bien le farouche Uthal, & joue plusieurs scènes avec beaucoup de talent, entr’autres celle de la fin ; mais sa diction n’est pas toujours aussi pure qu’on auroit le droit de l’exiger, & quelques leçons de prosodie ne lui seroient pas inutiles.

Solié, Batiste & Mme Scio méritent aussi des éloges.

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Compositeur

Étienne-Nicolas MÉHUL

(1763 - 1817)

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Uthal

Étienne-Nicolas MÉHUL

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Jacques-Maximilien-Benjamin Bins de SAINT-VICTOR

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date de publication : 21/09/23