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Opéra-Comique. La Princesse jaune

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Opéra-Comique
LA PRINCESSE JAUNE, opéra-comique en un acte, paroles de M. Louis Gallet, musique de M. Camille Saint-Saëns. – Reprise de BONSOIR VOISIN, opéra-comique en un acte de MM. Brunswick et Arthur de Beauplan, musique de M. Ferdinand Poise.

« La Princesse jaune » est le début au théâtre de M. Saint-Saëns, organiste de la Madeleine et pianiste distingué Son premier ouvrage, le « Timbre d’argent », opéra en quatre actes, après avoir erré de direction en direction, devait voir le jour salle Favart. La représentation s’en touve [sic] ajournée. Sans doute, l’hiver prochain amènera le tour d’apparition qu’il attend depuis longtemps, et dissipera, nous l’espérons, l’effet médiocre de l’obscure partition entendue mercredi.

Occupons-nous d’abord du poëme qui, cette fois, mérite ce nom puisqu’il est en vers. Kornélis, jeune docteur ès sciences hollandais, doublé d’un lettré passionné pour l’orient alesine et la sinologie, possède l’image de la princesse japonaise Ming, ornement d’une paroi de son cabinet de travail. Amoureux fou de cette peinture raide et naïve, il ne cherche qu’un avatar qui lui permette d’animer, le portrait chéri. Son mal est contagieux, en ce sens que Léna, sa jolie cousine, dont il ne voit pas l’amour réel et dévoué, lit couramment le japonais sans le comprendre. Kornélis a dû lui enseigner la valeur des lettres ou laisser traîner une grammaire que l’affectueuse cousine étudie par affection et sympathie. Le vieux savant Paulus, quelque émule avant la lettre du docteur Cherbonneau (car nous sommes en plein XVIIIe siècle), révèle à son jeune collègue le secret qui doit prêter une forme vivante à la belle Ming. Kornélis avale certaine drogue innommée, lit de confiance une formule d’incantation et s’endort. Le spectateur assiste au rêve produit par le breuvage.

L’intérieur hollandais fait place au plus charmant palais de Yeddo ; l’horizon d’hiver devient radieux de soleil ; les jonques succèdent sur le fleuve aux vieilles bornes de la rue neigeuse ; enfin, le portrait de Léna se substitue, dans un cadre capricieusement ornementé, à celui de Ming. Il y avait là une idée sur laquelle nous comptions, mais cette espérance fut déçue. Kornélis rencontre bientôt son idole, lui peint sa passion, devient pressant, si pressant même que la princesse jaune s’enfuit épouvantée. La réalité reparaît et les yeux alourdis du songeur s’arrêtent sur Léna, inquiète d’avoir surpris le langage incohérent de son cousin. À quoi bon dire que l’amour sincère de la petite parente triomphe de la chimère et que l’on va célébrer les fiançailles à la kermesse.

Ce sujet, faiblement traité, n’intéresse pas. La versification de M. Gallet est, pour ne pas dire plus, négligée, probablement afin de se tenir au diapason vaporeux de l’idée principale. M. Saint-Saëns, qui se range parmi les musiciens de la nouvelle école et qui n’a pas hérité de la haute poésie de ses orgues, s’est ingénié, creusé l’imagination, pour étendre sur ce canevas des broderies que nous avouons échapper à l’analyse. Sa partition, si fouillée, lui coûte, nous en avons l’assurance, une somme énorme de travail, mais ses mélodies, plus qu’indécises, disparaissent sous l’effort de la recherche des formes méditées. La base harmonique manque, l’ossature se dérobe, et cela étonne d’autant plus chez un disciple du contre-point. Si la science pouvait remplacer l’inspiration, il y en aurait beaucoup trop pour un ouvrage d’aussi courte haleine. Nous nous plaisons à saluer le savoir, tout en regrettant de ne pouvoir goûter l’œuvre du compositeur. Son habile emploi des sonorités bizarres séduit superficiellement ; par malheur, on revient vite de ses surprises momentanées.

De rares échappées sur le style cultivé avec succès, depuis les maîtres pris comme modèles, font regretter l’abus de singularisation vers lequel le désir d’innover entraîne le compositeur. Ainsi, le premier récit de Kornélis

J’aime dans un lointain vermeil

est aussi bien écrit qu’heureusement conçu ; le début de l’invocation

Vision citait mon âme éprise

promet ce que la suite ne tient pas. Quant au duo, si diffus, il renferme des éclairs qui ne se soutiennent pas jusqu’à devenir de belles parties d’un tout incomplet. Dans le duo final

Félicités promises
À nos âmes éprises,

nous avons saisi un joli trait de soprano que Mlle Ducasse soutient purement. L’intelligente interprète du double rôle de Léna-Ming et M. Lhérie chantent cette musique difficile et jouent la pièce avec une conviction qui touche au talent.

Ce qu’il faut louer sans restriction, c’est le décor du rêve, une merveille de composition et de coloris, signée Rubé et Chaperon. Le changement à vue, très compliqué par les meubles et accessoires, signale l’existence du chef-machiniste.

Pour terminer la soirée, « Bonsoir, voisin » prenait place au répertoire de l’Opéra Comique. Les mélodies faciles, spirituelles et gaies de l’élève favori d’Adolphe Adam ont charmé comme au premier soir. Il y a longtemps de cela : c’était au Théâtre-Lyrique du boulevard, le 18 septembre 1853. Meillet et sa femme créaient ce ravissant petit acte, repris depuis aux Fantaisies-Parisiennes et à l’Athénée, l’embryon du nouveau Théâtre-Lyrique, bien compromis, sinon détruit. par la catastrophe qui termine et paie les travaux de M. Louis Martinet.

M. Poise se rappelait, dernièrement encore, au souvenir des dilettantes : ses « Deux billets » n’attendront pas aussi longtemps leur admission, place Boëldieu, que sa première pièce. La musique de « Bonsoir voisin » a porté bonheur aux nouveaux chanteurs. Mlle Reine s’est révélée sous un jour inconnu dans cette quasi-création, et, malgré sa voix compromise et son embonpoint marqué, M. Thierry s’est bien acquitté de son personnage.

E. OZANNE

Personnes en lien

Compositeur, Organiste, Pianiste, Journaliste

Camille SAINT-SAËNS

(1835 - 1921)

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Camille SAINT-SAËNS

/

Louis GALLET

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date de publication : 21/09/23