Renaud de Sacchini
Le Vendredi 28 Février, on a donné la première représentation de Renaud, Tragédie Lyrique en trois Actes, paroles de M. le Bœuf, musique de M. Sacchini. La Reine a honoré de sa présence cette représentation, qui a été très brillante & très nombreuse.
L’Abbé Pellegrin donna, en 1722, un Opéra en cinq Actes avec le même titre, mis en musique par Desmarets. C’était une suite de l’Armide de Quinault : les suites ne réussissent guère au Théâtre. Le Renaud n’eut aucun succès, & n’en méritait guère. Le fond du sujet est susceptible d’intérêt ; mais le plan de Pellegrin était mal conçu ; les principaux caractères sans noblesse, l’action lente, le dialogue lâche, le style faible & négligé ; mais au travers de tous ces défauts on trouve des vers heureux, des morceaux bien écrits, & deux Scènes intéressantes & bien conduites.
Quoique M. le Bœuf ait suivi en général le plan de Pellegrin, il y a fait des changements considérables, & plusieurs de très-avantageux. Sa marche est plus rapide, & la coupe des Scènes est mieux appropriée aux procédés de la musique moderne.
Nous allons donner une idée du sujet & de la conduite de la Pièce.
[Résumé de l’intrigue]
Nous ne nous arrêterons pas sur les vices de ce Drame ; les principaux appartiennent à Pellegrin ; on regrette que M. le Bœuf n’ait pas choisi un meilleur modèle. Le changement le plus important qu’il ait fait, est dans l’exposition, qui est rapide & théâtrale, tandis qu’elle est décousue & délayée dans les trois premiers Actes de Pellegrin.
Dans le Poëme original, Renaud laisse voir, dès le premier Acte, tout l’amour qu’il conserve pour Armide ; mais il le surmonte pour obéir à la gloire. Il est vrai que cet amour est faiblement développé, plus languissant que tendre, plus galant que passionné ; mais le contraste de ses sentiments rend son caractère plus intéressant & son rôle un peu plus dramatique que dans le nouveau Poëme, où il ne répond jamais que vaguement à Armide, & ne lui déclare qu’au dénouement ce qu’il aurait dû au moins laisser entrevoir beaucoup plus tôt.
Le Ballet d’Amazones & de Circassiens que M. Lebœuf a imaginé pour amener de la Danse dans cet Acte, qui n’en avait pas besoin, a jeté du froid sur l’action, & a déplu surtout par sa longueur.
L’invocation des démons ne produisant aucun effet pour l’action, terminerait mal le second Acte si elle n’était pas soutenue par les beautés de la Musique. Pellegrin n’avait imaginé cette ressource de magie que pour amener un Ballet de Démons.
Ces Ballets faisaient toujours plaisir du temps de Pellegrin. M. le Bœuf a bien fait de supprimer celui-ci.
Le tableau du combat par lequel ouvre le troisième Acte est d’un bel effet, qui prépare heureusement la catastrophe ; mais on est un peu blessé de voir que la guerrière Armide reste oisive sur le devant de la Scène à déplorer ses malheurs, sans paraître prendre aucune part à ce combat d’où dépend son sort, celui de son père & de son Amant. Le dénouement a paru froid & languissant. Nous croyons que l’Auteur pourrait en retrancher plusieurs détails inutiles, & qu’en faisant déclarer beaucoup pus tôt à Renaud qu’il n’a jamais cessé d’aimer Armide, en développant & en graduant tous les sentiments qu’ils doivent éprouver à cet instant où ils se réunissent pour ne plus se séparer, il pourrait en résulter une Scène plus touchante, plus animée & même plus musicale que celles qui terminent l’action.
Nous nous arrêterons peu sur le style de cet Ouvrage ; il manque trop souvent d’élégance, de propriété & d’harmonie ; on y remarque aussi une inégalité inévitable ; l’Auteur a conservé un assez grand nombre des vers de Pellegrin, & l’on ne peut s’empêcher de regretter qu’il n’en ait pas conservé davantage.
Quant à la Musique, nous n’avons pas besoin de dire qu’elle est plein de beautés du premier ordre. La grande réputation de M. Sacchini est établie dès longtemps dans toute l’Europe. Comme nous écrivons cet article après une seule représentation, nous ne nous permettrons pas d’en parler en détail, & nous attendrons que d’autres représentations nous aient mis à portée de recueillir l’opinion des gens de goût, & d’y joindre les observations que nous dicteront à nous-même notre zèle pour les progrès de l’Art, & l’intérêt que tout homme juste & sensible doit prendre aux succès d’un aussi grand Maître que M. Sacchini ; mais nous nous empressons de dire que l’Ouvrage a été généralement applaudi dans tous les Actes, souvent même avec transport.
Nous renverrons aussi au Mercure prochain nos observations sur les différentes parties de l’exécution de cet Ouvrage.
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date de publication : 15/09/23