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Le Tribut de Zamora

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Le Tribut de Zamora

La scène lyrique française a été redevable à M. Gounod d’un des premiers et des plus honorables efforts tentés pour son émancipation. Dès ses commencements, alors que le goût des compositeurs et du public était aux opéras historiques à la façon de Scribe, il allait droit aux légendes amoureuses et préludait par les expansions de Sapho aux expansions plus de brûlantes de Faust, de Mireille et de Roméo et Juliette. Les livrets qu’il lui convenait de choisir se dérobaient aux traditions acceptées ; il les voulait intimes, humaines, poétiques et logiques, divisés par situations bien tranchées et non par duos, trios et le reste. Ses mélodies, toujours expressives, s’accommodaient au caractère des personnages, s’assouplissaient au jeu des passions, se pliaient à tous les contrastes impliqués par les paroles. S’il lui arrivait de sacrifier à la virtuosité de Mme Carvalho en écrivant l’air des Bijoux de Faust, il avait, pour se faire pardonner ces concessions, la surprenante aisance de ses déductions dramatiques. L’homme qui composait le quatuor du Jardin et la scène de l’Eglise, le musicien qui essayait en quelque sorte, la mélodie continue, apportait au théâtre une nouveauté incontestable et méritait qu’on l’admirât. Comment se fait-il qu’aujourd’hui, vieux et glorieux, il renie les dieux de sa jeunesse ? D’où vient qu’il se mette à rechercher les poèmes pseudo-héroïques qu’il avait si justement dédaignés avant cette heure ? L’école nouvelle n’existait pas encore quand il s’affirmait, et voici qu’il s’affilie à l’école ancienne lorsque déjà elle n’existe plus !

Je le dis avec tristesse : le Tribut de Zamora n’est point digne de M. Gounod. Ce n’est pas l’habileté qui manque à la partition, c’est la sincérité et la verve. Aucune conception d’ensemble n’a présidé à l’œuvre. Elle est née vaille que vaille, sans que l’auteur se soit ému, sans qu’il ait même réfléchi à la puérilité du drame. MM. d’Ennery et Brésil lui ont combiné une fable à dormir debout, gauche, artificielle, sans vie et sans force ; il ne s’est inquiété, pour sa part, que d’aligner des phrases au petit bonheur. Faute de plan, il s’égare à tout coup, tend à la grandeur et sombre dans la gentillesse.

Peu d’idées, beaucoup de réminiscences des propres œuvres de M. Gounod, d’innombrables italianismes vieillis, une instrumentation simplement agréable, une musique, en un mot, superficielle et fade : voilà le fond et le tréfond du nouvel ouvrage. L’illustre compositeur est vraiment sans excuse de prêter son nom à des tentatives de cette espèce, dirigées contre les jeunes musiciens. Il n’est pas vrai que ce Tribut de Zamora soit une œuvre conçue dans les données modernes, et plus M. Gounod a fait pour l’avancement de son art, plus nous sommes en droit de lui reprocher aujourd’hui sa défection.

J’analyserai brièvement l’action du drame, afin d’en faire sauter aux yeux l’inconséquence.

[Résumé de l’intrigue]

Étudiez maintenant la physionomie des personnages. Ben-Saïd n’est qu’un troubadour, quoique Sarrasin. C’est la cavatine fait homme ; il ne peut ouvrir la bouche sans délivrer une cantilène attendrie. Je ne sais ce qu’il offre à Xaïma « pour un rayon de sa tendresse », au premier acte. Au second, il préfère perdre la vie « que de voir Xaïma ravie à son amour ». Au troisième, avant le ballet, il l’engage à « chasser sa tristesse inquiète » et, après le ballet, il avoue qu’il « s’efforce en vain de lui plaire ». À l’acte dernier, il veut la désarmer « à force de l’aimer » puis il nous entretient, dans un morceaux d’ensemble, des ardeurs « dont sa poitrine est dévorée ». Les Maures d’Espagne étaient certes des hommes fort civilisés, mais je ne pense pas qu’ils fussent à ce degré des Amadis. Ce Ben-Saïd n’est pas une figure humaine ; c’est un orgue de Barbarie dont tout le répertoire est formé de langoureux andante. Manuel et Xaïma sont deux brebis bêlantes. Hermosa, la folle, est une automate de mélodrame dépourvue de toute humanité. MM. d’Ennery et Brésil font céder sa folie à la voix du sang. Ils se montrent, en vérité, de bien plaisants aliénistes. Seulement, les fantoches ont un tort grave : ils ne vivent jamais.

Ainsi l’action est puérile, les passions sont nulles, les caractères négatifs. J’aurai tout dit après avoir constaté que le poème est distribué en menus fragments, de manière à forcer le compositeur à écrire non des scènes, mais des romances ou des airs encadrés entre des récitatifs. On touche du doigt la stérilité de l’œuvre et son défaut de cohésion. M. Gounod ne procède plus par dialogues disciplinés ; il préfère les amplifications et les tirades. Ses librettistes lui ont taillé un scénario suivant les errements d’il y a vingt ans et, l’ayant approuvé, il porte la peine de son imprudence. De ci, de là, il trouve un effet heureux, une mélodie ingénieuse ou touchante, un accent juste. Au fond, sa partition est lourde et fatigante à écouter. Mais qu’on ne compte point cette défaite d’un grand musicien pour une défaite de la jeune école. La jeune école n’est pour rien dans cette pénible aventure, qui lui est tout à la fois un enseignement et une douleur.

Fourcaud

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date de publication : 31/10/23