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Aux Variétés. Mam’zelle Nitouche

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Aux Variétés

Sans la récente décision de la commission des auteurs qui défend la communication des recettes théâtrales à MM. les journalistes, je ne manquerais pas de parler des sommes formidablement fantastiques que les Variétés encaissent tous les soirs avec Mam’zelle Nitouche. Mais la commission des auteurs n'a pas dû prendre sa résolution à la légère. Elle croit évidemment que la publicité des recettes fait du tort aux théâtres, et comme je serais désolé de nuire en quoi que ce soit au succès si grand et si mérité de l'amusant vaudeville de Meilhac et Millaud, je m'abstiens de donner des chiffres. Je laisserai seulement entrevoir qu'on fait bien plus de six mille.

Et naturellement la salle des Variétés est bondée, de haut en bas, de long en large. Pas un strapontin, pas un coin. Les privilégiés qui jouissent de leurs entrées chez M. Bertrand en sont réduits à flâner dans les couloirs, d'où ils regardent le spectacle par les lucarnes des loges et des baignoires.

Et quel joli public que celui des pièces en vogue ! Des visages connus partout ; des baignoires galamment garnies ; des clubmen, de charmantes mondaines, des bourgeois aussi et même des provinciaux.

Derrière moi, à l'orchestre, j'entends une de ces conversations imprévues qui ne frappent jamais votre oreille les soirs de premières.

Deux bons gommeux d'un Pontarcy quelconque causent de Cadet et Babet, la jolie chanson que Judic détaille d'une façon si ravissante,

— Elle est très bien… cette chanson dit l'un.

— Oui, répond l'autre, mais c'est sur un air que je connais. Judic l'a déjà chanté… Je ne me rappelle plus dans quoi…

— Dans Niniche peut-être ?

— Non, pas dans Niniche. Dans une pièce… comment ça s'appelait-il donc ?... On l'a jouée l'année dernière… pas bien longtemps… Nous étions à la troisième et cela n'a pas eu de succès… Voyons… Dupuis était tantôt en vieux, tantôt en jeune, et il y avait une chanson où il était question d'un colonel… Enfin n'importe, c'était là-dedans !...

Judic est absolument parfaite dans son rôle de Nitouche. Son merveilleux talent s'y montre sous toutes ses faces. Car il y a de tout dans son personnage : de la gaîté, de l'émotion, des chansons grivoises et des couplets bleus, mais du charme surtout et partout, un charme irrésistible auquel on n'a qu'à se laisser aller pour goûter un délicieux plaisir.

Vous savez qu'au troisième acte elle se travestit en dragon. Ce costume — ou du moins un détail de ce costume — divise en ce moment les habitués des Variétés en deux camps. Le camp du casque et le camp du képi. Dans le premier, on prétend que le casque va mieux au dragon Judic que le képi ; dans l'autre, on affirme que le képi lui va mieux que le casque. On discute cela depuis le soir de la première, et on n'est pas encore d'accord.

Judic ne sait pas trop à quel avis se ranger. Un soir elle se coiffe du képi, un autre soir c'est le casque qu'elle met. Naturellement, quand elle prend le casque, les partisans du képi lui disent : « Mon Dieu, vous êtes très jolie avec cela, mais vous ne faites pas rire ! » et quand c'est le képi, ce sont les partisans du casque qui s'écrient : « Certainement, comme cela vous faites rire... mais vous êtes moins jolie ! » La diva est positivement fort embarrassée. Et toutes les fois qu'un ami, n'appartenant à aucun des deux camps, un ami sans parti-pris, un neutre, vient la voir dans sa loge avant le troisième acte, voici ce qu'elle imagine :

— Rendez moi un service, dit-elle à l'ami. Regardez-moi bien tout à l'heure, quand j'entrerai en scène, et si vous trouvez que mon képi ne me va pas trop mal, levez votre canne en l'air. Par exemple, je compte sur votre franchise !

Le lendemain, même épreuve pour le casque.

Jusqu'à présent, la majorité des cannes levées est acquise au képi.

Les coulisses des Variétés sont surtout animées pendant le second acte.

C'est le moment où les machinistes, les employés et les habilleurs circulent sur la scène afin de donner un peu de vie au théâtre de province où nous introduisent les auteurs.

Ruben, l'excellent chef-machiniste de M. Bertrand, met du rouge pour faire une apparition convenable devant le public et on m'affirme que l'habilleuse de Mme Judic, qu'on aperçoit à la scène du paravent, a eu un instant l'idée de se faire habiller chez Mme Rodrigues comme sa maîtresse.

C'est surtout à partir du milieu de ce second acte que le succès se dessine. Il va alors en croissant jusqu'à la fin. L'acte de la caserne est d'un bout à l'autre, un éclat de fou rire. Au dernier acte, c'est de la folie. Les effets d'ailleurs ne sont plus du tout ceux de la première. Ce soir- là c'est la première partie de la pièce qui a porté le plus, maintenant c'est la seconde.

Baron est vraiment extraordinaire. Il y a tant d'observation au fond de sa fantaisie ! A travers ses bouffonneries les plus grosses il y a toujours un petit coin de comédie qui se fait place.

Christian aussi a beaucoup de succès, et sans avoir besoin pour cela de rien ajouter à son rôle.

Il se plaint seulement de l'énormité du pied que Baron s'est dessiné, au premier acte, sur la basque de son habit.

— Mais c'est l'empreinte de mon pied que cela représente, dit-il avec amertume à son camarade, et un pied de cette dimension-là… cela va me nuire auprès des femmes !...

Un Monsieur de l'orchestre.

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Compositeur, Organiste, Ténor, Directeur de théâtre

HERVÉ

(1825 - 1892)

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date de publication : 24/09/23