Théâtre des Bouffes-Parisiens. Maître Péronilla
THÉÂTRE DES BOUFFES-PARISIENS
Maître Peronilla, opéra bouffe en trois actes, paroles de M. X., musique de M. J. Offenbach. — Première représentation, le mercredi 13 mars.
D’abord, qui se cache sous cet anonyme dont le mystère a été si religieusement gardé ? Est-ce un riche amateur qui n’ose se montrer ? est-ce un auteur en vogue, désireux d’être applaudi pour son œuvre et non pour sa réputation ? est-ce le compositeur lui-même qui se taille ainsi sur mesure un poëme à sa convenance ? Toutes les suppositions sont libres, et, si j’en crois les gens bien informés, la dernière est acceptable, d’autant plus que Offenbach, déjà musicien, directeur, écrivain et critique, n’en serait pas à son coup d’essai.
Bref, l’auteur a voulu être anonyme : qu’il garde son incognito, et voyons rapidement sa pièce. Maître Peronilla, un ancien fabricant de chocolat, possède une fille qu’il veut marier à Guardona, un barbon ridicule. La jeune Manuela se résigne, bien qu’elle soupire en secret pour le jeune chanteur Alvarez, qui a autrefois modulé des sérénades sous ses fenêtres ; mais elle a deux cousins, le soldat Ripardos et l’étudiant Frimousquino, qui s’y opposent absolument. Cela ne les regarde pas, puisqu’ils n’ont aucune prétention sur la main de la belle, mais ils s’y opposent tout de même. Éloigner Guardona, déjà marié devant le notaire, l’empêcher de se présenter à l’église, lui substituer Alvarez devant le prêtre et à la faveur de la nuit, n’est pour eux qu’un jeu.
Voilà Manuela ornée de deux maris. Voilà Peronilla tiraillé entre deux gendres, l’un civil, l’autre religieux. Comment sortir de ce pas ? Peronilla, tout compte fait, s’en tiendrait volontiers à Alvarez, mais Guardona est fortement appuyé par Léona, sœur de Peronilla, une Espagnole au sang impétueux, dont le musicien a méprisé les œillades. Il faut absolument que le père se décide à invalider un des deux gendres. Il hésite tant, si bien et si longtemps, que la justice a vent de la chose, s’en empare et appelle à sa barre les deux maris et la jeune fille. L’affaire est pendante, les débats sont longs, le tribunal est hésitant, lorsque survient un avocat qui gagne d’emblée la cause d’Alvarez. Dans le feu de son éloquence, l’avocat a laissé tomber sa toque, sa perruque et sa robe et on reconnaît qui ? Peronilla, qui, avant de vendre du chocolat, avait défendu la veuve et l’orphelin et s’était souvenu au bon moment de son ancien métier. Manuela gardera Alvarez, et Leona s’accommodera du vieux Guardona, l’acte préparé au civil pouvant servir pour elle, puisqu’elle porte le même nom patronymique que sa nièce.
Il y a dans tout cela des ressouvenirs de Giralda, du Mariage de Figaro, et bien d’autres choses encore. On commence bien un peu à abuser des scènes de tribunal, depuis la Timbale, depuis Orphée, depuis la Cruche cassée, depuis Babiole, etc. Mais l’idée des deux maris présentée ainsi est vraiment originale ; de plus, l’auteur sait le théâtre, et, grâce à quelques détails amusants, la pièce marche jusqu’au bout sans trop de longueurs.
M. Offenbach, depuis la Jolie Parfumeuse, est entré résolument dans une voie de l’opérette nouvelle plus souriante que folle, plus fine que bouffonne. Il a peut être été quelquefois plus heureux que dans Maître Peronilla, mais s’il n’a pas retrouvé tout l’éclat et le brio qui donnaient tant d’originalité à ses opérettes espagnoles, comme les Bavards et Pépita, ni la note délicate et sentimentale qui a fait le succès de la Chanson de Fortunio, on sent toujours un peu partout la main légère, le faire spirituel et scénique du charmant musicien.
L’ouverture est une gracieuse séguidille-valse qui a du rythme et de la légèreté. La valse sert de thème au finale du 2e acte.
Nous citerons au premier acte l’air du baryton terminé par une strette en duo bien tournée. Le couplet de Peronilla : « Oui, je le dis et m’en fais gloire » est drôle avec ses allusions d’actualité, et a été bissé. Le rôle de Mme Peschard (Alvarez) est presque entièrement sérieux, et la première romance chantée par le jeune musicien est un air d’expression bien composé, mais qui sort un peu du style de l’opérette. Le finale : « La cloche sonne » est bien mis en scène, et la note répétée de la flûte imitant le son de la cloche est d’un très-charmant effet. Notons encore dans cet acte un trio qui rappelle la manière d’Auber.
Au second acte se trouve une malagueña dont le refrain est charmant, et qui a été le vrai succès de la soirée. Dans cette page, toute de délicatesse et de grâce, les surprises de la modulation, les inattendus du rythme, sont d’un effet absolument réussi. Offenbach n’a jamais trouvé mieux que cette chanson espagnole accompagnée par le chœur, et dont Mme Peschard fait très-bien ressortir les finesses. À côté de ce morceau, on a applaudi l’ensemble du souper, qui a de la gaieté, un quatuor scénique bien fait, et le finale, développé sur une valse entraînante.
Le troisième acte est plus court. Nous y avons remarqué une chanson militaire fort bien enlevée et les couplets du maître à chanter.
La pièce est fort bien montée. Mme Peschard (Alvarez) chante avec goût et avec verve le rôle écrit pour elle dans le style de l’opéra comique. C’est Mlle Paola Marié qui fait l’étudiant Frimousquino, gai, alerte, vif, le chapeau orné de la cuiller, crânement posé sur l’oreille. Elle a su mettre au premier rang un rôle secondaire et on l’a fort applaudie dans la sérénade, dans le rondeau du second acte, qu’elle dit spirituellement, partout enfin, où sa voix au timbre riche et sonore a pu se faire entendre. Mme Girard est fort amusante dans le rôle de Léona. Mlle Humberta débutait dans le rôle de Manuela ; c’est une jolie et gracieuse personne, mais elle est de l’école de Mme Théo.
Daubray et Jolly (Peronilla et Guardona) sont toujours bien franchement comiques. Troy (Ripardos) est le chanteur de la troupe ; le compositeur lui a réservé un véritable rôle de baryton, dont il s’est tiré fort à son avantage.
H. Lavoix fils.
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date de publication : 21/10/23