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Revue musicale. Namouna

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REVUE MUSICALE
THÉÂTRE DE L’OPÉRA : 1re représentation de Namouna, ballet en deux actes et trois tableaux, par MM. Nuitter et Petipa, musique de M. Edouard Lalo.

Eh bien ! en vérité, les sots auront beau dire :

Quand on n’a pas d’argent, c’est amusant d’écrire…

C’est extrêmement amusant, en effet ; mais pas toujours.

Et je ne sais vraiment pas pourquoi je me suis souvenu de ces deux vers par lesquels débute le chant deuxième du conte oriental de Musset, au moment de rendre compte du nouveau ballet de l’Opéra avec lequel l’adorable fantaisie du poète n’a de commun que le titre. La Namouna d’Hassan était blonde ; celle d’Ottavio est brune. Il me faut donc oublier les deux vers que j’ai cités et ceux que j’aurais pu citer encore si je ne veux pas faire de confusion en analysant l’œuvre nouvelle de MM. Nuitter et Petipa. Alfred de Musset n’y est pour rien.

Le livret a beau dire : Nuitter et Petipa, c’est Nuitter, l’excellent Nuitter, qui a tout tiré de son cerveau fécond. Et si Petipa est avec lui sur l’affiche c’est pour avoir fait œuvre ou travail de chorégraphe et pas autre chose assurément. C’est lui qui a réglé les attitudes et disposé les groupes ; c’est lui qui a imaginé ces arrondissemens de bras et ces balancemens de torses ; c’est lui qui a indiqué au joueur de mandore comment il devait bondir et aux esclaves d’Ali comment elles devaient dormir. Mais est-ce lui aussi qui a fait éclore ces sourires sur ces lèvres de carmin ?

Le sourire joue un grand rôle dans la mimique des ballérines qui sont jeunes comme dans la mimique de celles qui ne le sont plus.

Et ce sourire, inconnu des aimées et des bayadères, ce sourire purement occidental finit à la longue par avoir quelque chose d’agaçant.

Voilà pourquoi je n’en fais pas honneur à M. Petipa, homme de goût très versé dans les choses de la chorégraphie et ayant bondi lui-même autrefois aussi haut et même plus haut que M. Vasquez.

Ah ! ce cher Petipa ! Je le vois encore sa montre à la main, marquant le rythme avec son doigt et comptant les mesures pendant que j’improvisais au piano dans le mouvement qu’il m’avait indiqué. Tantôt il en comptait deux cent soixante-dix-sept ; tantôt il m’arrêtait à la trente-troisième. Et cela lui était bien égal que la carrure y fût ou n’y fût pas. Les scènes de pantomime elles-mêmes étaient minutées par le maître chorégraphe, toujours pressé d’ailleurs, et qui voulait avoir le lendemain le travail que le compositeur et lui avaient préparé la veille. J’ai donc connu toutes les exigences, toutes les fantaisies et disons-le, tous les ennuis par lesquels vient de passer M. Lalo et je le plains en toute sincérité. Après Sacountala je n’ai pas recommencé, et je suppose qu’après Namouna, il ne recommencera pas.

Quand j’ai composé Sacountala j’étais fort jeune et je n’avais absolument rien en portefeuille ; pas le plus petit opéra en cinq actes. Mais M. Lalo n’est plus un tout jeune homme, et il a deux grands ouvrages prêts à être joués, deux grands ouvrages dramatiques qui renferment, j’ai pu m’en assurer par moi-même, de réelles beautés. Alors je ne m’explique pas comment il a consenti, lui qui n’est guère porté par la nature de son talent vers la musique de danse, comment, sachant bien d’avance les dures épreuves qui lui seraient imposées, il s’est résigné à écrire la musique d’un ballet !

C’est-à-dire que je me l’explique parfaitement. On lui a dit : nous ne voulons jouer ni Fiesque ni le Roi d’Ys ; mais si vous voulez vous inspirer d’un livret que MM. Nuitter et Petitpa confectionnent tout exprès pour Mme Sangalli et pour vous, nous vous mettrons en répétition aussitôt que votre œuvre sera terminée et nous lui donnerons pour lever de rideau le comte Ory, la Favorite, le Freyschutz, peut-être même par la suite le Barbier de Séville, ce que nous faisons du reste pour le premier ballet venu. Toucher des droits d’auteur produits par une œuvre représentée à l’Opéra ! Voir son nom sur l’affiche de l’Opéra ! Être applaudi par la portion la plus intelligente des abonnés de l’Opéra ; par ceux qui aiment la musique rythmée, par ceux qui placent bien au-dessus de l’art du chant l’art de la danse, n’était-ce pas irrésistible ? Aussi, M. Lalo ! n’y a-t-il pas résisté. Seulement, tout en promettant de faire des concessions au goût d’un certain public et au genre dans lequel il allait pour la première fois s’essayer, il s’est laissé entraîner par son instinct de musicien délicat, d’harmoniste ingénieux, épris des rythmes nouveaux, des combinaisons les plus osées, et en somme, au lieu d’être docile aux conseils qu’on lui donnait, dans le milieu où un singulier hasard l’avait placé, il n’en a fait qu’à sa guise.

Ma foi ! je n’ai pas le courage de l’en blâmer. Je doute qu’on puisse trouver dans la partition de Namouna une ample moisson de motifs pour quadrilles, polkas et mazurkas ; je doute aussi que la double fanfare qui sonne au finale du premier acte soit d’un débit assuré même parmi les Sociétés orphéoniques qui en consomment le plus, et on ne m’ôtera pas de l’idée que ces dames du corps de ballet et ceux qui aiment à penser comme elles ne tiennent la musique de Namouna en fort médiocre estime. Eh bien ! je le déclare bien sincèrement, je ne suis point de leur avis. Par exemple à un de mes voisins qui, lisant sur le livret, au moment où la fanfare éclate pour la seconde fois : « La musique de la fête se fait de nouveau entendre », s’est écrié à haute voix : La musique de la fête, c’est bien possible ; mais la fête de la musique, ah non ! — À ce voisin-là j’avais bien envie de répondre : mais, mon cher monsieur, comment pouvez-vous parler avec cette légèreté, avec cette irrévérence d’un motif qui est du grec le plus pur, dont l’origine remonte à la plus haute antiquité, à l’époque où Corfou s’appelait encore Corcyre et ne songeait guère à se placer sous le protectorat de l’Angleterre ? Et cela est absolument vrai : ce motif hellénique ou ionien, si pont-neuf, si vulgaire qu’il vous paraisse, en son expression naturaliste, est d’une couleur locale excellente, très en situation et travaillé de main de maître, avec ses contre-sujets si heureusement trouvés, sa cadence finale si inattendue. Ah ! ! combien étions-nous dans la salle de l’Opéra qui avons remarqué l’originalité de la cadence finale ?

Je reviendrai tout à l’heure sur la partition de M. Lalo et je parlerai autant que ma mémoire pourra me servir des pages exquises qu’elle renferme. Voici en attendant l’analyse du poème.

La scène qui, suivant le livret, est à Corfou, se passe bien plutôt dans le royaume de la fantaisie, dans le pays des songes. À quelle époque ? Au dix-septième siècle, dit encore le livret. Mais si cela est vrai pour ce qui est de la décoration et des costumes, c’est fort problématique en ce qui regarde les personnages assez semblables au dormeur éveillé des Mille et une Nuits, lequel n’était pas bien sûr de sa propre existence, personnages à moitié fantastiques, tels que doivent être d’ailleurs ceux qui se meuvent, s’agitent et se trémoussent dans un ballet où la Chimère et la Réalité sont tenues de faire bon ménage.

Au lever du rideau, nous assistons à une fête de beaux seigneurs et de belles dames dansant et jouant dans un Casino. Deux terribles joueurs sont aux prises ; deux jeunes gentilhommes, dont l’un se nomme le seigneur Adriani et l’autre le comte Ottavio. Est-ce donc un Français, ce comte Ottavio, ou serait-ce par hasard un Grec ? Il n’y a guère que dans un ballet où un Français ait le droit de s’appeler Ottavio. Français ou Grec, il a un bonheur insolent et est en train de mettre son partenaire sur la paille. Il ne reste plus à celui-ci qu’un yatch de plaisance, ou plus poétiquement une tartane, à l’ancre, sous les fenêtres du Casino. Adriani joue sa tartane et la perd. Adriani n’a plus rien à risquer, mais il a donné des ordres à un de ses matelots, qui sort et revient bientôt ramenant une femme voilée, accompagnée d’un serviteur le jeune Andrikès.

« C’est Namouna, une des esclaves d’Adriani. Sous son voile on devine qu’elle doit être charmante, sans quoi on n’aurait certainement pas pu faire accepter ce rôle par Mlle Sangalli. – Adriani propose à Ottavio de jouer cette jeune esclave contre tout ce qu’il a perdu. En entendant cette offre étrange, l’esclave, humiliée, s’indigne et se désole. Elle supplie Adriani de renoncer à son projet. Ottavio, de son côté, n’accepte pas un pareil enjeu. Mais Adriani persiste dans son dessein… »

La partie recommence ; on entoure les joueurs ; les dés roulent de nouveau. C’est encore Ottavio qui gagne, et, s’approchant de Namouna, sans avoir même la curiosité de lever le voile qui cache son visage, il lui dit, en langage mimique bien entendu : tu es libre et tu peux t’en aller où bon te semble dans la tartane de ton ancien maître en emportant avec toi tous les trésors qu’elle contient.

Touchée de la délicatesse de ce procédé, Namouna s’agenouille devant Ottavio, lui baise la main et détache du bouquet qu’elle porte à son corsage une fleur qu’elle offre à son libérateur. On sait que dans la langue poétique des Orientaux le don d’une fleur, surtout de la part d’une femme, équivaut à une déclaration d’amour. Pendant que la tartane s’éloigne en emportant Namouna, les danses recommencent de plus belle pour célébrer cet heureux épisode. Mais Adriani n’est pas content et ses gestes de fureur font supposer qu’il rumine des projets dignes d’un traître de mélodrame, dont il va essayer de poursuivre la réalisation au tableau suivant.

Le théâtre représente une place publique : au fond, la mer azurée d’un bleu qui en cette saison nous semble tant soit peu intense, à nous tristes humains vivant sous un ciel gris ; à droite un palais de marbre avec balcon ; à gauche une hôtellerie.

La situation ne va pas tarder à se compliquer : Sous les fenêtres du palais où demeure une belle dame à qui Ottavio fait donner une aubade, des musiciens armés d’instrumens s’escriment à qui mieux mieux. Helena, c’est ainsi que la dame se nomme, trouvant la musique de son goût et voulant récompenser Ottavio, se penche et lui donne sa main à baiser. Bienheureux ces habitans des pays des ballets ! À la pointe du jour on les voit vêtus de satin rose ; ils ne connaissent ni le sommeil, ni la faim, ni la soif, et leur vie est un éternel menuet.

Au moment où les lèvres d’Ottavio se posent amoureusement sur la main d’Helena, on entend un grand tumulte. C’est Adriani qui tombe comme la foudre au milieu des musiciens, les frappe du plat de son épée et provoque Ottavio. Est-ce rancune de joueur malheureux ou dépit d’amoureux éconduit ? Le fait est qu’Adriani force Ottavio à croiser le fer. Ici se place une fort jolie scène : à peine le combat est-il engagé qu’une femme masquée, ayant toutes les apparences et mêmes les attributs d’une bouquetière, se glisse entre les épées et offre avec grâce des fleurs aux combattans. Ce manège plusieurs fois renouvelé finit par lasser l’ardeur des deux champions qui se séparent tout en donnant à entendre qu’ils sauront bien se retrouver plus tard.

Du fond du théâtre on voit s’avancer un char allégorique portant des musiciens « qui font retentir leurs plus joyeux concerts. » Ainsi dit le livret. Or, ces « joyeux concerts » qui retentissent et où le cornet à piston domine, c’est la fanfare dont je vous ai parlé déjà. D’autres musiciens placés sur la terrasse de l’hôtellerie répondent aux musiciens du char allégorique et la fête commence, joyeuse et bruyante comme une fête de carnaval.

Helena toujours à son balcon reçoit les hommages d’Ottavio ; une jeune femme surgissant tout à coup devant le comte lui indique qu’elle est jalouse et qu’il perd son temps à débiter des madrigaux à une coquette qui ne l’aime pas. Cette jeune femme qu’Ottavio ne peut reconnaître, puisqu’il n’a jamais vu l’esclave d’Adriani que voilée, c’est Namouna. Elle est fort jolie, vraiment, et Ottavio lui demande un baiser qu’elle refuse. Très indifférent à ce refus le jeune cavalier roule une cigarette dont Namouna se saisit et qu’elle foule aux pieds. Puis, comme Ottavio lui reproche sa vivacité, elle fait elle-même une autre cigarette qu’elle porte à ses lèvres, mais qu’elle n’allume pas. C’est le pas de la cigarette, fort agréable à voir danser.

Cet Ottavio qui court deux lièvres à la fois n’a pas plutôt aperçu Helena sortant de son palais, escortée d’un négrillon portant son parasol, qu’il s’élance après elle, ce qui permet à Adriani d’avoir quelques mots d’explication avec Namouna. « Je t’ai bien reconnue, lui dit-il, sous ton déguisement… Depuis que je t’ai perdue, je t’aime avec passion, avec délire. Ne consentiras-tu pas à m’aimer ? Je ne commande plus, je t’implore à genoux. »

Peu touchée par ce discours, Namouna répond simplement à son ancien maître qu’elle ne l’aimera jamais. Elle aime l’homme qui l’a délivrée et n’a que haine et mépris pour celui qui l’a vendue. Adriani a ses sbires ; Namouna a les siens. Au moment où les gens d’Adriani se précipitent le poignard levé sur Ottavio, ceux de Namouna les mettent en fuite, et comme Ottavio tout surpris de ce secours inespéré, remercie ses défenseurs, ceux-ci lui retirent prestement son épée, s’emparent de lui et le forcent à monter dans une barque amarrée au rivage et qui n’attend que le signal « d’une belle dame masquée » pour partir.

Ainsi finit le premier acte. Passons au second.

Nous voici dans une île de l’archipel ionien. Une habitation orientale ombragée par un vaste platane est construite au milieu des débris d’un temple antique : çà et là des fragmens de ruines sont à demi couverts par la végétation. Ce décor est fort beau.

L’île où nous sommes est la demeure et le bazar d’un riche marchand d’esclaves du nom d’Ali, « l’un des principaux fournisseurs des harems des pachas et des beys des environs. » Et comme cet estimable négociant soigne sa marchandise, on voit l’essaim de belles filles dont il est l’heureux possesseur mollement étendues sur de moelleux tapis et protégées par l’é pais feuillage contre la chaleur du jour. C’est l’heure de la sieste.

Une tartane arrive qui dépose sur le rivage Namouna et Ottavio. Namouna reconnue par ses anciennes compagnes leur promet de les rendre à la liberté. Elle n’est même venue que dans ce but. Et, puisant dans une cassette pleine d’or et de pierreries, elle verse aussitôt dans les mains de l’honnête Ali la rançon des captives. Les voilà libres enfin ! Mais qu’il est donc difficile en ce monde de faire le bien ! Namouna n’a pas plutôt accompli son acte philanthropique qu’Adriani débarque à son tour suivi d’une poignée de forbans. En cet instant la plage est déserte, et, tandis qu’Adriani s’éloigne pour aller reconnaître le terrain, les sentinelles qu’il a placées à l’entour de l’habitation se laissent désarmer et couronner de fleurs par de jeunes et jolies esclaves qui sont venues à eux le sourire aux lèvres et effleurant le sol de leurs pieds légers. Tout semble marcher à souhait vers un heureux dénouement, lorsque Adriani reparaît ramenant Ottavio fait prisonnier. Il s’agit maintenant de se débarrasser d’Adriani et de délivrer Ottavio. Replacé bientôt sous le charme de Namouna qui lui verse à boire à coupe pleine, Adriani succombe à l’ivresse ; ses hommes sont ivres comme lui et, profitant de cette ivresse générale, Namouna et Ottavio s’élancent dans la tartane et vont s’éloigner lorsqu’Adriani secouant les fumées du vin arme son pistolet et vise Ottavio. Mais Andrikès, le fidèle esclave de Namouna est là qui veille, et d’un coup de poignard bien assuré il fait retomber inerte le bras d’Adriani. Adriani n’en mourra pas et Ottavio sera sauvé.

Mais, Ô ciel ! que vont devenir ces malheureuses esclaves lorsque les forbans qui ont envahi l’île seront dégrisés !

Vous savez, n’est-ce pas, parce que je vous l’ai dit et aussi parce que vous l’avez entendu dire, que la partition de M. Lalo ne satisfera pas complètement les amateurs de musique gaie, de musique dansante, de musique facile à retenir ? Peut on admettre qu’au sortir de la première représentation d’un ballet et même d’un opéra on rentre chez soi sans pouvoir fredonner un seul motif de l’ouvrage qu’on vient d’entendre!

Vous qui avez déjà entendu le ballet de M. Lalo, revenez donc l’entendre et vous serez peut-être plus heureux la seconde fois que la première. Mais je n’en jurerais pas. La partition de Namouna vaut pourtant la peine d’être écoutée, d’être appréciée, d’être analysée, et elle n’est pas de celles qui de prime abord dévoilent leurs charmes et se livrent au premier venu.

Vous n’y trouverez ni la valse de Giselle ni la mazurka de la Korrigane, ni la valse lente de Sylvia, pas même la polka du Colonel qui dans un ballet bien dansant serait tout à fait à sa place. Mais vous y trouverez, sans trop chercher, des motifs exquis sur lesquels, je vous assure, l’habitude en étant prise, il n’est pas plus difficile de danser que sur des motifs vulgaires. Laissez-moi vous citer par exemple : la valse de la Charmeuse ou de la Cigarette, celle des Forbans ; la danse roumaine et le pas de la bouquetière, la sieste des esclaves et le divertissement des fleurs. Le prélude du premier acte dont le thème est posé par les violoncelles n’a guère été écouté. C’est une page magistrale, merveilleusement instrumentée, une inspiration pleine de noblesse, et d’un style excellent. La sérénade en pizzicati placée au début du second acte est tout à fait charmante. Quelques notes d’instruments à vent qui se détachent sur le tissu mélodique y produisent le plus heureux effet. Et cette orientale, ce solo de flûte si délicatement exécuté par M. Taffanel, l’incomparable flûtiste, n’est-ce pas une chose délicieuse et du coloris le plus fin, du travail le plus délicat ?

Si les bals publics et les bals du grand monde ne trouvent rien ou peu de chose à glaner dans la partition de Namouna, les concerts peuvent y venir puiser à pleines mains. Et ce sera du moins la consolation du compositeur de se dire qu’on le comprendra et qu’on l’applaudira là un peu plus sans doute qu’on ne l’a applaudi ailleurs. C’est cette maudite fanfare qui a fait tout le mal. À la seconde représentation on en avait coupé la moitié. Faudra-t-il donc la supprimer tout à fait ? J’ai dit ce qu’elle était et j’ai ajouté qu’elle était bien ce qu’elle doit être. Tant pis pour moi si je ne suis pas de l’avis de tout le monde, tant pis pour tout le monde si tout le monde, c’est-à-dire, si ceux dont l’opinion est fort écoutée dans les coulisses de l’Opéra ne sont pas de mon avis. Des musiciens forains font de la musique dans un char carnavalesque et jouent un motif monotone, vulgaire, je le veux bien (n’oublions pas cependant que c’est du grec antique), que diable vous faut-il de plus ?

Maintenant que j’ai entendu la partition de Namouna, je puis apprécier combien étaient malveillans et injustes les bruits qui venaient du foyer de la danse et des alentours, avant la représentation de ce ballet. C’est de la symphonie toute pure, de la musique sans rythme et sans idées, d’un travail lourd et diffus, toute remplie de broderies mutiles et de contre-sujets et sur laquelle il est impossible de danser. Est-ce que par hasard les premiers sujets du corps de ballet de l’Opéra n’aimeraient pas les contre-sujets ?

Mlle Sangalli a eu pourtant, dans le rôle de Namouna, un succès sur lequel elle ne comptait guère, mais qui n’en est pas moins pour l’éminente ballerine un véritable succès.

Œil noir et dents éblouissantes, chevelure opulente, jarret d’acier et pied mignon, elle a le charme et l’élégance, elle a la souplesse et la grâce cette Namouna qui tournerait la tête à Jean-Jacques si Jean-Jacques la voyait danser.

À côté de Mlle Sangalli (on doit dire la Sangalli), il y a Mlle Subra, gracieuse et charmante, elle aussi, et Mérante, avec son éternelle jeunesse, et Vasquez, qui s’élève aux frises, comme Vestris. Et c’est là tout ce que j’avais à vous dire pour aujourd’hui.

E. REYER.

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date de publication : 03/11/23