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Les Théâtres. Les P’tites Michu

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LES THÉÂTRES
Bouffes-Parisiens : Les P’tites Michu, opérette en trois actes, de MM. Vanloo et Duval, musique de M. Messager.

Un homme de théâtre me disait un jour : « Dans une pièce de théâtre, il faut qu’il y ait une histoire, une seule histoire, et qu’elle puisse être racontée en trois mots. » Les P’tites Michu remplissent ces conditions, et voici l’histoire en peu de mots. En 93, le Comité révolutionnaire a décrété d’arrestation le marquis des Ifs. On est venu l’arrêter dans son château à l’heure même où la marquise donnait le jour à une petite fille. La pauvre femme est morte de saisissement : le marquis a pu se sauver. Tel est le point de départ, un peu noir.

Quant à la petite fille, le marquis la fait remettre par son intendant, avec une somme d’argent, à un brave paysan son voisin, Michu, dont la femme vient aussi d’accoucher. Michu déclarera deux enfants jumeaux, et quand les mauvais jours seront passés, le marquis reviendra chercher sa fille. Mais le Dieu de la comédie veille ! Michu, chargé de baigner les petites filles, les a mises dans la même baignoire : et quand il les a reprises pour les porter à la mère-nourrice, il n’a plus su qui était sa fille et qui était la fille du marquis…

Le temps a marché. Les Michu, avec l’argent du marquis, se sont établis aux Halles et ont prospéré. Ils ont mis leurs deux filles, car Blanche-Marie et Marie-Blanche passent pour sœurs et croient l’être, dans un pensionnat militairement tenu par Mme Herpin. Or, dans cette maison où tout marche au tambour, il n’est pas étonnant de voir arriver un beau capitaine de hussards, Gaston, neveu de Mme Herpin. Gaston flirte avec les petites Michu et les embrasse toutes les deux, pour ne pas faire de jalouses, ce à quoi il ne réussit pas, car les deux sœurs, chacune de son côté, trouvent le joli officier fort à leur goût. Inutile inclination de leurs cœurs ! Le capitaine doit se marier et ne le leur cache pas, ce qui les remplit d’une mélancolie qui se console en chansons.

Or, ce capitaine est l’aide de camp du général des Ifs, qui n’est autre que le ci-devant marquis, rallié à l’Empereur et devenu général. Gaston, au siège de Saragosse, a sauvé la vie à son général, qui, en récompense, veut lui donner sa fille en mariage. Cette fille, c’est celle qu’il a jadis confiée aux Michu et qu’il n’a pas eu le temps de retrouver. Les Michu, en effet, ont changé de pays et d’ailleurs, sous l’Empire, d’une campagne à l’autre, les soldats étaient fort pressés ! Le général a pourtant fini par retrouver les Michu et leur réclame son enfant.

Vous voyez d’ici la difficulté et comment le quiproquo se développe. Tantôt en Blanche-Marie, tantôt en Marie-Blanche, le général croit retrouver son enfant. Il est enfin décidé que c’est Marie-Blanche qui sera la fille du général et qu’épousera le capitaine. Quant à Blanche-Marie, elle sera la femme d’Aristide, le filleul des Michu, et elle vendra des poulets aux Halles, tandis que sa « sœur » ira à la Cour. Mais voyez l’heureuse malechance ! Marie-Blanche, au fond, aime Aristide ; Blanche-Marie est aimée de Gaston. La fortune ne s’accorde pas avec l’amour et l’opérette ressemblerait à la vie, si Marie-Blanche n’avait une idée de génie. Depuis qu’elle est chez le général, elle voit tous les jours le portrait de la marquise, sa prétendue mère : et – sans parler de son amour pour Aristide et de ses goûts populaires qui la persuadent qu’elle est vraiment une Michu et qu’on se trompe en la faisant marquise – elle s’aperçoit que ce portrait ressemble à Blanche-Marie. Et le jour de la double noce, qui est triste, car le cœur n’y est pas, elle imagine d’attifer Blanche-Marie avec le costume de la marquise, de la poudrer, et de la montrer ainsi au général qui croit retrouver sa femme et retrouve sa fille. Il y a chassé-croisé de père, de mère, de frère, de mari et de femme, et tout le monde est heureux : car, dès le premier jour, Aristide a déclaré qu’entre les deux petites Michu, il ne tournerait pas la main pour avoir l’une plutôt que l’autre…

Histoire simple, honnête, presque ingénue. Un petit conte d’amour, sentimental par moments, dont la mère permettra la lecture à sa fille. Et ce petit conte, il s’est trouvé qu’il a plu, justement parce qu’il est simple et d’une bonne grâce un peu naïve. Le mot « gentil » est fait pour ce récit. Et dans le bon accueil que le public de la première a fait à cette gentillesse, il y avait, m’a-t-il semblé, une sorte de réaction contre la « rosserie » outrancière d’autres œuvres. Il est vrai que ce que ce libretto a d’un peu doux, à la façon des opéras-comiques de jadis, serait compensé, s’il était besoin, par une partition excellente. M. Messager s’est montré là un musicien tout à fait charmant et dans la tradition agréable, claire et aimable, des maîtres français. Le trio des deux sœurs et du capitaine, la double prière qu’elles adressent à Saint-Nicolas, protecteur des pures amours, le duo de Blanche-Marie et de Gaston, où l’aveu de leur amour leur échappe, sont des morceaux tout à fait parfaits dans une note émue, mais restant gracieuse. Et, tout au cours de la partition, l’orchestre, discret et habile, nous donne un plaisir sans fatigue.

Le théâtre des Bouffes a bien monté l’œuvre nouvelle et elle est, en général, bien jouée. M. Regnard joue le père Michu avec son ordinaire rondeur. C’est M. M. Lamy qui représente Aristide le bon garçon. M. Brunais, qui a retrouvé la tradition des Jocrisses, est un étonnant Bagnolet, ordonnance du général, et la pièce a servi de débuts à M. Manson, capitaine ténorisant. J’ai quelque embarras à parler de M. Barral, qui joue le général. C’est visiblement un artiste rompu à son art et très intelligent : il lui manque la gaité native et communicative. Il « compose » un personnage qui voudrait être rendu avec moins d’effort et plus de fantaisie. Mme Laporte donne une physionomie pittoresque à la maîtresse de pension à allures militaires et qui fait marcher au pas un régiment de jolies pensionnaires. Mais le succès a été partagé entre les deux « jumelles », Blanche-Marie et Marie-Blanche. Celle-ci est Mlle Alice Bonheur, pleine d’entrain. Celle-là est Mlle Odette Dulac, qui débutait. Elle a réussi de la plus complète façon. C’est une comédienne d’une rare finesse, pleine d’esprit et une diseuse émérite, qui sait passer de la gaminerie à l’émotion avec une prestesse charmante, chantant avec art, en musicienne sûre. Et si le général est embarrassé pour reconnaître sa fille entre les deux jumelles, nous ne le sommes pas moins pour donner le prix à l’une ou à l’autre de ces aimables petites Michu…

 

Henry Fouquier

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date de publication : 02/11/23