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Rapport sur les envois de Rome

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Une excellente leçon. C’est l’Académie des Beaux-Arts qui vient de la donner à la jeunesse musicale, et l’on ne saurait trop en féliciter l’Académie.

La leçon, verte et nette, est contenue dans le rapport sur les envois des prix de Rome, rapport dont voici les conclusions :

« …En résumé, l’Académie a le regret de constater que, chez les pensionnaires musiciens, les tendances à s’éloigner des conditions éternelles de la beauté de l’art s’accentuent chaque année de plus en plus. 

Il y a eu là, sous les semblants d’un système savant, un parti pris de se dispenser d’un travail châtié, épuré par le goût, et par conséquent la volonté secrète d’accomplir une besogne facile.

Du reste, tout en prétendant se préoccuper principalement de l’orchestration, la plupart de ces jeunes musiciens n’ont qu’une connaissance très superficielle du mécanisme et des ressources propres aux divers instruments. Aussi, commettent-ils à cet égard les erreurs les plus graves ; celle, par exemple, qui consiste à croire qu’une superfétation de notes suffit pour produire une bonne sonorité.

Quant à la prosodie française, si scrupuleusement respectée par les maîtres nos devanciers, elle est aujourd’hui traitée de la façon la plus cavalière. Finalement, quelque système qu’on ait la prétention de faire prévaloir, l’Académie ne cessera pas d’attacher un prix principal à la simplicité et à la beauté de la mélodie, à la vérité de l’accent, à l’impression pénétrante produite par une harmonie claire et solide, en un mot, à ce qui fait en réalité le charme et la puissance de la musique. »

En parlant ainsi, l’Académie méritera l’approbation, disons plus, la reconnaissance des amis de l’art français.

Il y a déjà quelques années que nos maîtres auraient dû donner ce sévère avertissement à la jeunesse. Enfin, mieux vaut tard que jamais. Pourvu que l’Académie persiste et renouvelle la leçon chaque fois qu’il y aura lieu de le faire, nos jeunes illuminés reviendront à une appréciation plus juste de leurs devoirs d’élèves pensionnés.

Mais il y aurait mieux à faire encore. Que l’Académie recherche dans les cantates de concours ce « parti pris, sous les semblants d’un système savant, de se dispenser d’un travail châtié, épuré par le goût », et que toute cantate où le vice condamné apparaîtra soit rigoureusement écartée.

L’Académie le remarque enfin et c’est heureux : notre jeunesse musicale est la proie d’une maladie dangereuse pour l’art national.

Ce qu’on appelle la musique de l’avenir tente nos jeunes gens et les invite à la paresse. Ils ne cherchent plus à équilibrer leurs travaux, à écrire vocalement ce qui doit être chanté, à traiter le théâtre selon les bonnes règles scéniques. Ils croient que de petites et désagréables inventions harmoniques, anti-harmonieuses, des sonorités barbares ; d’assommantes mélopées, des soies prolongées, - qu’on nous passe le mot, - sont l’expression la plus haute de l’art moderne. Ils semblent mépriser la voix humaine, instrument par excellence pour lequel ils ne savent plus écrire, et ils ne tendent à rien moins qu’à reléguer la voix au second plan, même dans la musique théâtrale.

Si l’on continuait, il arriverait que bientôt on pourrait mettre l’orchestre sur la scène et les voix en bas, ou bien que les opéras seraient exécutés par le corps symphonique, tandis que les chanteurs se borneraient à mimer les personnages du drame représenté. La mise en scène à la chinoise suivrait de près.

Ce serait peut-être fort original, mais c’est un spectacle dont les amateurs français désirent se priver.

L’Académie vient donc de faire une bonne action. Qu’elle persiste, et du moins l’École sera fermée aux empiriques, inconscients des maux qu’ils peuvent causer.

La leçon que vient de donner l’Académie à la jeunesse, fanatique du Bleu, sera sans doute comprise aussi dans les classes du Conservatoire. C’est là, dès le principe, qu’il faut se montrer sévère et empêcher les jeunes génies non sevrés de s’abandonner aux douceurs de l’invention avant de savoir écrire purement.

Dans les classes d’harmonie déjà, il faut se souvenir des sévères préceptes de Bazin et des maîtres de son temps. Ce n’est pas en cherchant de petites idées, avant de savoir écrire, que les élèves apprendront à composer selon les pures lois scientifiques. Il faut prendre garde à cela.

En adressant à la jeunesse cette sévère leçon, qui vaut bien une symphonie, l’Académie a fermement rempli son devoir.

Jules Ruelle.

Permalien

https://www.bruzanemediabase.com/node/662

date de publication : 13/09/23