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Audition des envois de Rome

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Audition des Envois de Rome au Conservatoire.

Cette séance annuelle, qui est sans contredit l’une des plus intéressantes de la saison musicale, a eu lieu le jeudi 8 avril au Conservatoire en présence d’un nombreux auditoire. Nous avions vu rarement autant de monde : il n’y avait presque pas de places inoccupées ; cependant les journalistes nous ont paru en quantité restreinte, quoique le service ait dû être fait comme d’ordinaire. Cela est regrettable, car il est juste et utile d’entendre les premières œuvres de nos jeunes lauréats de l’Institut afin d’encourager ceux qui sont dans la bonne voie et de crier casse-cou ! à ceux qui s’en éloignent.

Au nombre de ceux qui nous semblent offrir de grandes garanties d’avenir, nous citerons sans hésiter M. Gabriel Pierné. Voila un jeune compositeur qui deviendra bientôt un maître, ou nous nous tromperions fort. Sa Suite pour orchestre, entendue jeudi est tout simplement, à notre avis, une merveille d’originalité et de style. Le premier morceau, un Menuet vif, a un charme pétillant qui séduit dès le début et vous laisse une impression délicieuse. La Marche funèbre qui suit est une page d’un sentiment exquis. L’idée mélodique y est soutenue, expressive, mais sans une recherche excessive de la couleur funèbre ; on éprouve, à l’entendre, une impression tenant plus de la mélancolie que de la douleur ; et pourtant c’est une page grandiose, savamment écrite et largement développée. Rien de plus sincère ni de plus intéressant que cette Marche funèbre. Eh bien ! nous lui préférons encore l’Intermezzo qui vient après. Ce fragment est exquis de forme, d’idée et d’orchestration. Le quatuor, armé de sourdines, y joue un grand rôle ; la mélodie ne cesse pas de charmer l’oreille en restant dans une délicieuse teinte douce. Ce morceau suffirait à classer un jeune musicien. La Tarentelle finale est remarquable ; c’est la fantaisie orchestrale avec tous ses caprices, toutes ses surprises.

M. Pierné est un symphoniste d’une habileté extraordinaire ; c’est aussi un mélodiste chantant toujours avec une verve et une abondance rares. S’il continue ainsi et reste fidèle à l’idéal qu’il paraît s’être choisi, nous lui prédisons de grands succès quand il abordera la scène et nous l’engageons à l’aborder le plus tôt possible, car il a toutes les qualités pour y réussir. On a énormément applaudi sa Suite pour orchestre, et les maîtres qui occupaient la loge officielle ont été, nous le savons, très satisfaits de l’envoi du jeune lauréat de 1882.

Après la symphonie de M. Pierné, on a entendu Merlin enchanté, poème dramatique de M. Émile Moreau, musique de M. Georges Marty, également grand prix en 1882. Disons-le tout de suite, nous aimons peu ce genre de musique et, si nous étions des familiers de M. Marty, nous nous efforcerions de le détourner de la voie où il s’engage. Dans Merlin enchanté, la forme est vague, la mélodie peu appréciable, l’harmonie enchevêtrée, difficile à suivre ; les voix sont durement traitées, au point que chanter cette partition doit être un travail peu agréable. Le prélude fait pressentir ce que sera l’œuvre. C’est un véritable amoncellement de notes au milieu desquelles l’oreille saisit difficilement une pensée ; les dissonances se succèdent avec une âpreté cruelle. Le premier morceau est long, vague ; les chœurs y ont des rentrées étranges qui surprennent l’auditeur sans lui faire éprouver le moindre plaisir.

La scène II est meilleure ; meilleure encore la suivante où intervient le poétique personnage de Ganieda qui a des accents passionnés d’une belle franchise. Puis le vacarme et des combinaisons souvent étranges reprennent et déroutent l’auditeur qui se demande si vraiment l’avenir de la musique est ce genre anti-mélodique, qui ne peut intéresser que les savants analystes, mais n’a rien de ce qui captive la foule.

Cette recherche des implacables sonorités et du nouveau quand même à laquelle se livre une partie de la jeunesse serait dangereuse pour notre art national s’il n’était certain que, chez nous, peuple amant de la forme et de la clarté en tout, l’heure de la réaction sonnera, sans nul doute, dans un temps prochain. Laissons passer le torrent harmonico-symphonique, il ne détruira rien. A travers le limon qu’il aura laissé, s’élèveront les belles floraisons de notre sol généreux.

Nous avons dit franchement à M. Marty notre opinion sur les tendances qu’il accuse sans le moindre ménagement. Nous lui devons toute la vérité ; aussi aurons-nous plaisir à lui dire après cela qu’il a fait preuve de talent en écrivant son Merlin enchanté. On peut ne pas aimer cette musique là, et c’est notre cas, mais il serait injuste de ne pas reconnaître que son auteur est un compositeur qui sait son métier et qui a des idées dans la tête. Si M. Marty peut renoncer au parti pris qui le domine et chercher le succès dans une expression musicale plus juste des sentiments, il obtiendra de bien meilleurs résultats et l’avenir pourra lui sourire.

Exécution excellente sous la direction de M. Garcin. Mme Caron et M. Bouvet ont très bien chanté les rôles de Merlin et de Ganieda. La tâche n’était pas sans danger. Ch. G.

Personnes en lien

Chef d'orchestre, Chef de chœur, Compositeur

Georges MARTY

(1860 - 1908)

Chef d'orchestre, Compositeur, Organiste

Gabriel PIERNÉ

(1863 - 1937)

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date de publication : 12/07/23