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Les Théâtres. Le Roi d'Ys

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LES THÉÂTRES
Opéra-Comique. — Première représentation du Roi d’Ys, opéra en trois actes et cinq tableaux, poème de M. Edouard Blau, musique de M. Edouard Lalo.

C’est un succès, et un grand succès.

M. Lalo a longtemps attendu la place qu’il mérite, mais il vient de la conquérir.

Le roi d’Ys marie sa fille aînée, Margared, au prince de Karnac. Au moment où le prince lui tend la main pour la conduire à l’autel, elle s’écrie : Jamais ! C’est qu’elle n’épousait le prince que par obéissance et qu’elle vient d’apercevoir dans l’assistance celui qu’elle aime, Mylio. Le prince, furieux de l’affront, jette son gant au vieux roi. Mylio le relève. C’est la guerre. — Je vaincrai ! dit-il au roi, et pour prix de ma victoire, je vous demande la main de Rosenn.

Rosenn est l’autre fille du roi.

C’est ainsi que Margared apprend que celui qu’elle aime est amoureux de sa sœur. Elle se vengera.

Comme il l’a dit, Mylio est revenu vainqueur. Le prince de Karnac, deux fois humilié, ne songe aussi qu’à se venger. C’est Margared qui lui en fournira le moyen. Une écluse défend la ville d’Ys contre l’envahissement de la mer. Qu’on l’ouvre et la ville est perdue !

Au moment où Mylio et Rozenn marchent vers la chapelle, de sourdes rumeurs se font entendre, puis des cris d’alarme, des appels de détresse. Fuyez ! C’est la mer qui déborde sur la ville. Ceux qui ont eu le temps de se sauver se sont réfugiés sur le promontoire le plus élevé. Ils se ruent sur Margared, que son père tente de défendre, mais des voix d’en haut se font entendre : le flot veut une proie et ne s’apaisera que lorsqu’il l’aura reçue. Margared, se sentant condamnée, se précipite dans la mer, qui se calme aussitôt.

Ce poème, très simple et très émouvant, a été inspiré à M. Blau par une légende bretonne qui rappelle la légende biblique de Sodome : une ville engloutie en punition de ses débauches, et dont le roi n’échappe à la mer qui le poursuit qu’en lui jetant sa fille. On montre encore aux croyants, non loin de Douarnenez, l’endroit où la mer s’arrêta.

La partition débute par une ouverture qui en est comme un sommaire symphonique. On en connaissait, par les concerts où on l’a applaudie, une version que l’auteur a modifiée pour le théâtre ; elle garde, sous sa nouvelle forme, sa belle ampleur de composition, ses larges développements, ses sonorités puissantes et ce style magistral qui impose, dès le début de l’ouvrage, son autorité.

Un chœur plein d’allégresse ouvre le premier tableau, où se prépare le mariage de la fille du roi ; l’épisode des femmes seules s’en détache ingénieusement. Margared est triste et, sans nommer Mylio, confie à sa sœur le secret de sa tristesse. Rosenn essaie de la consoler, et il y a là un duo d’une grande délicatesse. Rosenn, restée seule, évoque le souvenir de Mylio absent dans une phrase pleine de tendresse ingénue. Le voici ! duo des plus intéressants. La scène du mariage a la grandeur qui convient. Une phrase du roi, très majestueuse, est interrompue par le refus brutal de Margared ; la scène du défi est d’un mouvement saisissant.
À l’acte suivant, le musicien a dramatiquement rendu la jalousie et la rage de Margaret. Elles éclatent dans un duo pathétique des deux sœurs, où sa colère contraste avec une délicieuse phrase de Rosenn. Ce duo est précédé d’un chant de guerre du style le plus large et le plus entraînant.

La bataille gagnée, les guerriers d’Ys, vainqueurs, déposent leurs trophées et répètent leur chant de guerre avec de belles sonorités qui semblent flotter sur l’orchestre pareilles à des étendards. Le dialogue où Margared et Karnac s’entendent pour la vengeance est d’une superbe déclamation, et la scène qui suit est d’un effet frappant. Saint Corentin apparaît ; sa voix d’outre-tombe, les voix d’en haut qui lui répondent, l’orgue qui se marie à l’orchestre, tout est d’un caractère religieux de la plus imposante impression. C’est là une admirable page que les plus grands signeraient.

Le mariage de Rozenn et de Mylio est, pour le compositeur, l’occasion d’un gracieux épisode où il fait, bien spirituellement, dialoguer les chœurs d’hommes et les chœurs de femmes ; c’est une sorte de chanson dont tout à l’heure le ténor et le soprano reprendront gentiment le motif très heureux avant que résonnent dans l’église les accents du Te Deum.

Restés seuls en sortant de la chapelle, les deux époux se redisent leur amour en un duo tout imprégné de tendresse émue.
On prévoyait par les éléments déchaînés déjà dans l’ouverture ce que serait la scène finale ; ces prévisions ont été dépassées par le compositeur, qui a fait hurler toutes les voix de l’orchestre, souffler les vents, grincer les cordes, et rendu avec une incomparable puissance la terreur d’un peuple et la furie de la mer.

M. Talazac a trouvé de beaux accents dans le rôle de Mylio, il a eu de la force et de la tendresse, et M. Bouvet a rugi avec beaucoup de vigueur les fureurs du traître. M. Cobalet a prêté au roi l’ampleur et l’autorité de sa voix et de son talent.
Mme Blanche Deschamps, dont la voix est fort belle et qui possède un tempérament dramatique, a été une énergique Margared.

Le charme et la grâce du Roi d’Ys, c’est Mlle Simonnet qui, délicieusement costumée, est la plus poétique et la plus exquise Rozenn que les auteurs aient pu rêver. Cette nouvelle création met la jeune artiste tout à fait au premier rang.

Le rôle de l’orchestre est considérable dans la partition de M. Lalo ; il faut, sans réserve, louer celui de l’Opéra-Comique, d’en avoir vaincu les difficultés et rendu la couleur ; il faut féliciter encore une fois M. Danbé d’avoir été à la hauteur de cette tâche difficile.

Personnes en lien

Compositeur

Édouard LALO

(1823 - 1892)

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Le Roi d’Ys

Édouard LALO

/

Édouard BLAU

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date de publication : 01/11/23