Musique / La Soirée parisienne. Xavière
MUSIQUE
OPÉRA-COMIQUE. – Xavière, idylle dramatique en trois actes, de M. Louis Gallet (d'après le romande M. Ferdinand Fabre), musique de M. Théodore Dubois.
M. Théodore Dubois est un musicien sérieux et du caractère le plus honorable. On a de lui des partitions religieuses comme les Sept Paroles du Christ, une grande cantate, le Paradis perdu, couronnée jadis au concours de la ville de Paris, des pièces d’orchestre et même un ballet, la Farandole, où s’affirment, avec une parfaite honnêteté musicale, des tendances souvent élevées. Au théâtre il a donné jusqu’ici (en dehors de son ballet) un petit opéra comique, non sans agrément, la Guzla de l’émir, et un grand opéra de structure très italienne, Aben Hamet, resté médiocre en mon souvenir. Je ne sais si la musique dramatique est bien son fait. En tout cas, nul n’apporte plus de simplicité en ses entreprises et ce n’est là rien moins qu’une qualité ordinaire. On peut goûter ou ne pas goûter ses ouvrages : on ne saurait lui refuser une toute personnelle estime. Ce qu’il croit pouvoir dire, il le dit du mieux qu’il peut, sans chercher à surprendre, encore moins à capter personne, avec une entière bonhomie et un louable parti pris de correction.
L’opéra comique en trois actes qu’il vient de faire représenter n’embouche aucune trompette. C’est un ouvrage doux et loyal, qui ne se recommande d’aucun programme agressif ou rétrograde et qui s’offre sans façon au public. La question de la comédie n’y est pas même posée. Il semble que l’auteur ait tenu à marquer sa volonté de rester à l’écart de toutes les querelles par le titre qu’il a choisi : « Xavière, idylle dramatique… » N’y cherchez ni un drame, ni une comédie, ni un vieil opéra comique, ni même une pièce au sens propre du mot. Il ne s’agit que d’un petit roman dialogué mis en musique à la fantaisie de l’artiste, sans la moindre arrière pensée méchante.
Et, de ce fait, le poème a été tiré par M. Louis Gallet d’un roman de M. Ferdinand Fabre. En voici la donnée sommairement : […]
M. Louis Gallet a écrit en vers les morceaux qualifiés et en prose rythmée tous les passages transitoires. J’ai indiqué plus d’une fois que la question des vers ou de la prose à mettre en musique est, en soi, sans intérêt. Si l’on veut regarder d’un peu près aux choses, on note que le rythme musical s’accommodant, quoi qu’on fasse, uniquement des périodes brèves, répugne aux rythmes à longue portée d’une prose fortement construite et que, toujours, le musicien la découpe ne vers. M. Gallet, sur ce point, afin de simplifier la besogne de son collaborateur, a lui-même procédé au découpage. Ses transitions sont bel et bien en vers blancs – et je suis loin de le lui reprocher.
On a vu plus haut le caractère de la partition. L’inspiration en est fréquemment gounodienne. Je sais même un duo des amoureux, au second acte, qui procède de Mireille tout directement. Le ton général est discret, modéré, sans prétention, sans insistance. La facture y répond de tout point. L’artiste y a mis, comme on dit, tous ses soins d’un bout à l’autre. Ça et là, une intention de motif conducteur ou de rappel. Eh ! pourquoi non ? ne faut-il pas suivre le courant ?... Par places, un petit emploi de chansons rustiques – oh ! sans outrage aucune… Le chœur « du Châtaignier » a de la sonorité, les danses ont quelque montant. Et puis la chanson de « Grive, grivoise et grivoisette » est de ces fredons que les salons se disputent. Imitons ici le musicien : inutile d’insister.
M. Fugère remplit à merveille le rôle du curé : c’est un bon acteur et un chanteur excellent. L’amoureux Landry a pour interprète le ténor Clément, qui développe sa fraîche voix et prend de l’assurance. M. Isnardon est un maître d’école légèrement caricatural. Je reconnais à M. Badiali une certaine verve sous le sayon du pâtre Galibert. Du côté des femmes, j’estime que Mlle F. Dubois, figurant Xavière, aura du talent dans l’opéra, et je l’écris sans ironie. Mlle Leclercq personnifie une petite servante de campagne avec des gentillesses de soubrette Louis XV. Les personnages de Benoite Ouradou et de Prudence, la rude, franche et bonne gouvernante du curé, sont tenus par Mmes Lloyd et Chevalier. Je dirai de cette dernière – et ce sera mon dernier mot – qu’elle est supérieure à son rôle.
Fourcaud.
[…]
Soirée Parisienne
Xavière
La soirée d’hier appartient à une œuvre lyrique, Xavière.
Théodore Dubois n’était pas encore de l’Institut. Il venait de terminer une importante partition sur un sujet dont l’action se déroule pendant la guerre d’Espagne en 1808, et dont le livret lui avait été fourni par Jules Barbier. Cette partition avait pour titre Circé. M. Carvalho trouva l’œuvre considérable pour le cadre de l’Opéra-Comique. Circé est, en effet, un grand opéra dans la plus grande expression du mot. Les auteurs le comprirent et s’effacèrent. Mais le directeur de l’Opéra-Comique avait à cœur de donner au compositeur l’occasion de se produire sur la scène qu’il dirige avec tant d’habileté et où M. Dubois n’avait eu encore qu’un petit acte joué, charmant du reste, le Pain bis, en 1878. Il lui offrit de choisir lui-même son sujet.
La proposition tombait bien. Quelques semaines auparavant, en se rendant dans leur coquet ermitage de Rosnay, dans le département de la Marne, en compagnie de son mai, Mme Dubois avait charmé les loisirs du voyage par la lecture d’un roman de Ferdinand Fabre, qui venait d’avoir les honneurs de l’illustration artistique. Le roman s’appelait Xavière. Il avait eu du succès.
— Lis donc cela, avait dit Mme Dubois à son mari. Il y a là certainement le sujet d’une œuvre lyrique intéressante.
Théodore Dubois avait lu le livre, qui l’avait charmé. Il en parla séance tenante à M. Carvalho, qui lui dit :
— Envoyez-moi le volume ce soir, je le lirai.
Et M. Carvalho le dévora dans la nuit, et à son tour il s’enthousiasma de l’idylle. Et comme avec le directeur de l’Opéra-Comique rien ne traine, rendez-vous était pris immédiatement avec Louis Gallet et le compositeur.
Louis Gallet, qui est un des principaux fonctionnaires de l’Assistance publique, accepta l’offre de collaboration qui lui était faite. Quelques jours ne s’étaient pas écoulés que le scénario était sur pied, et aux vacances suivantes le compositeur emportait dans sa valise de voyage le livret de Xavière à Rosnay, où il allait le paraphraser de mélodies et d’instrumentation.
*
C’est à Rosnay que Théodore Dubois est né, le 25 août 1837, et c’est là qu’il travaille, dans un jardin parfumé de fleurs, en face de la cathédrale de Reims, dont il aperçoit au loin les hardiesses gothiques. C’est là qu’il compose, dans les loisirs de l’été, réservant pour Paris la besogne de l’orchestration, dans laquelle il excelle.
Théodore Dubois a donc aujourd’hui cinquante-huit ans, et il les avoue avec une bonne grâce charmante. Il n’a pas jusqu’ici beaucoup produit au théâtre, ce qui ne l’empêche pas d’avoir un bagage considérable.
Au théâtre il a donné : la Guzla de l’émir, en 1873, à l’Athénée ; le Pain bis, un acte, à l’Opéra-Comique, en 1878, où il comptait déjà deux de ses interprètes d’aujourd’hui, Mlle Esther Chevalier et M. Fugère ; Aben-Hamet, grand opéra en cinq actes, représenté en 1883, au théâtre Italien, de Victor Maurel, et qui fut la révélation artistique de la belle Emma Calvé ; la Farandole, ballet en trois actes, représenté à l’Opéra en 1884, et enfin Xavière, qui date d’hier.
Mais ses productions musicales sont innombrables, surtout dans le style religieux : Les Sept Paroles du Christ, un drame oratorio, le Paradis perdu, une Messe pontificale, exécutée la semaine dernière à Saint-Eustache, à l’occasion de la Sainte-Cécile, une messe de Requiem, plusieurs autres messes, des mélodies et plus de soixante-dix motets avec ou sans accompagnement d’orchestre et tant d’autres.
Théodore Dubois est un sympathique, en dépit de la banalité courante qui s’attache à ce mot. Quand il concourut pour le prix de Rome, en 1861, il tomba malade sous la coupole de l’Institut, où les candidats étaient alors enfermés, et ses camarades postulèrent pour que le jury lui rendît les vingt jours que la maladie lui avait fait perdre.
On lui accorda le sursis, il remporta le prix avec une cantate d’Atala et aucun de ses rivaux ne songea à regretter la faveur exceptionnelle dont il avait été l’objet. C’est à un acte de bonne camaraderie utile à rappeler par ces temps où la lutte pour la vie est devenue féroce et ne connaît plus de bornes.
Théodore Dubois est aujourd’hui de l’Institut. Il a, l’an dernier, succédé à Gounod, pour qui il n’a jamais caché son admiration et l’influence que, dès ses premiers pas dans la carrière, l’auteur de Faust avait exercée sur son talent.
Xavière, en possession de M. Carvalho, fut mise en scène par lui avec cet art, ce goût, cet instinct qui en ont fait le premier metteur en scène de notre époque.
Les trois décors signés Lemeunier, Rubé et Masson évoquent la senteur des Cévennes, et rien n’est beau comme la châtaigneraie de Fonjouve, au second acte. Le mancenillier de l’Africaine est dépassé. On parlera maintenant du châtaignier de Xavière. Et les costumes de tous ces paysans cévenols, entonnant le chant du châtaignier, autour de l’arbre centenaire, donnent la sensation du pays.
— Je me crois transporté dans mes montagnes, me dit à l’oreille un de mes amis, d’origine cévenole.
Arrivons aux interprètes : l’excellent Fugère d’abord, sous la soutane du curé Fulcran. Il nous a raconté lui-même que lorsqu’il reçoit une visite, le visiteur ne demande plus chez lui que : « Monsieur le curé Fugère ! »
— Tiens l’abbé Constantin ! s’écrit écrié quelqu’un, en le voyant entrer en scène hier soir, sous son immense parapluie rouge.
Eh bien ! non, ce n’était pas l’abbé Constantin. Fugère a cherché et a trouvé un type d’ecclésiastique, et il l’a copié.
Ses vacances d’été, il les passe à pêcher à la ligne sur les bords de la Marne, et il a pour voisin de campagne son camarade Courtès, qui joua jadis le curé de Gerfaut, au Vaudeville. Il lui demanda conseil. Courtès, qui habite Champignolles, lui indiqua le curé de son village comme un type exquis à évoquer. Fugère n’alla pas à Chapignolles malgré lui. Il vit le curé en question, et c’est sa silhouette, empreinte de bonté et d’onction, qu’il nous a rendue hier soir.
Xavière, c’est Mlle Fernande Dubois, une petite personne capricieuse et nerveuse qui dit « papa, maman » et vous citerait volontiers « le petit chat est mort » de l’École des femmes. Avec cela très consciencieuse, à ce point qu’un jour où le compositeur et le directeur étaient d’accord pour supprimer un morceau qui faisait longueur elle eut une véritable attaque de nerfs et que M. Carvalho ne peut s’empêcher de lui dire :
— Bravo ! mademoiselle, si vous jouez comme cela le soir de la première, vous aurez un grand succès.
À une autre répétition, où elle se sentait souffrante, elle poussa la conscience jusqu’à mimer le rôle pendant que le compositeur le chantait.
Mlle Lecler est le rossignol du châtaignier de Fonjouve, un charmant rossignol, ma foi ! Mlle Chevalier est délicieuse sous les cheveux blancs et le bonnet noir de la bonne Prudence. Très artiste, elle voulait se grimer pour donner l’illusion de l’âge de la vieille servante. M. Carvalho ne l’a pas voulu. À l’Opéra-Comique, il paraît que ce n’est pas nécessaire. Et Mlle Chevalier nous a conservé son gracieux visage de Myrza de Lalla-Roukh et de Rita de Zampa. M. Badiali est un beau gars cévenol, grand embrasseur de filles, comme peut en rêver Zola. C’est Isnardon qui fait le maître d’école. Il a composé savamment le type et en a fait une excellente et tragique caricature. Le ténor Clément a retrouvé son succès de Vincent, de Mireille.
*
Quand M. Carvalho fut sur le point de faire son affiche de première, un point d’interrogation se posa dans son esprit. Inscrirait-il immédiatement le nom des auteurs sur l’affiche ? Il en était bien tenté. Ces noms autrefois étaient tenus secrets jusqu’au dernier moment. Aujourd’hui, ils sont le secret de Polichinelle. Pourquoi alors ne pas les donner tout de suite au public et supprimer du même coup l’annonce de la fin du spectacle qui n’a plus de signification ? Le directeur de l’Opéra-Comique nous a même conté à ce sujet une jolie anecdote. [Suit le récit du coup de théâtre à l’issue de la première représentation de l’Irato de Méhul.]
Nicolet.
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date de publication : 31/10/23