Cléopâtre

En 1910, Massenet rencontre Louis Payen, introduit par le fidèle collaborateur Henri Cain, caution du jeune auteur. Albert Liénard, de son état civil, est alors connu comme poète et journaliste ; il sera secrétaire général de la Comédie-Française. En cinq tableaux concis, le librettiste trace les amours de Marc-Antoine et Cléopâtre, ultime figure dont le « musicien de la femme » pouvait rêver. Convoquée par le victorieux général romain, la reine d’Égypte refuse toute allégeance. Elle devient indispensable à Marc-Antoine qui finit par abandonner Rome, sa femme et son honneur. S’il prend quelques libertés avec l’Histoire, le livret de ce drame passionnel convoque une large palette de registres, par l’agencement d’épisodes solennels (arrivée de Cléopâtre, mariage romain), intimistes (duos amoureux) et de scènes de luxure (orgie, ballet). Massenet débute la composition en 1911 et achève l’orchestration en juin 1912, deux mois avant de disparaître. La partition de Cléopâtre frappe par son efficacité d’enchaînement des récits et airs, ainsi que par sa progression continue. Sa puissance dramatique et la clarté de sa construction portent l’ouvrage à un point d’équilibre qui rappelle la tragédie lyrique classique. Dans une lettre du 12 mai 1912, Massenet désigne Lucy Arbell comme créatrice du rôle-titre, entièrement écrit à son intention. Pourtant c’est Maria Kousnezoff qui incarne Cléopâtre lors d’une première hautement mondaine à l’Opéra de Monte-Carlo. Intentant un procès et faisant constater les 288 changements apportés à l’ouvrage pour qu’un soprano puisse le chanter, la contralto, ultime muse du compositeur, est à son tour reine d’Égypte sur les scènes de Nantes et de Bordeaux.