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Théâtre de l'Opéra-Comique. Cendrillon

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THÉÂTRE DE L’OPÉRA-COMIQUE.
Première représentation de la reprise de Cendrillon, opéra-comique en trois actes, de Nicolo.

Le directeur de l’Opéra-Comique vient de se voir obligé, encore une fois, d’avoir recours à un ancien ouvrage rhabillé à neuf pour animer le mouvement de son répertoire. Il comptait sur plusieurs partitions nouvelles, une entre autres d’Auber et une d’Halévy, et, par suite de diverses circonstances qu’on ne pouvait prévoir, aucun des compositeurs n’a pu terminer son travail pour l’époque désignée. Force était donc de remettre en scène quelqu’un des vieux opéras qui eurent la vogue. Cendrillon est un de ceux qui furent le plus populaires, et que la génération actuelle a le plus complétement oubliés. Si l’on ne connaissait la rage de la mode quand, à Paris, elle s’acharne après un ouvrage ou un homme, on croirait à peine à l’énormité des sommes que la musique de Cendrillon, dans sa nouveauté, rapporta à l’auteur et au théâtre. Ce n’est cependant pas la meilleure qu’ait écrite Nicolo, mais elle contient un assez grand nombre d’agréables motifs, de jolies mélodies, peu modulées et peu développées, telles, en un mot, qu’elles doivent être pour se répandre aisément et promptement dans la foule qui croit aimer la musique. Il est probable que, tout en tenant compte d’un certain progrès qu’on ne saurait nier dans l’éducation musicale du populaire parisien, le succès de Cendrillon sera très grand encore. Le droit de retoucher les vieux maîtres, de les rajeunir, d’effacer leurs rides, étant décidément acquis aux musiciens modernes, cette question ayant été résolue affirmativement par la majorité, nous n’avons plus qu’à constater la réserve et le goût dont M. Adam a fait preuve en renforçant l’orchestre de Nicolo, tant soit peu terne et délabré, il faut en convenir. Telle qu’elle est maintenant, la partition de Cendrillon est l’une des plus jolies du répertoire ; on y trouve un trio bien en scène et d’un effet original, une délicieuse romance bien chantée par Audran, un duo de femmes très amusant et disposé de manière à faire briller l’agile vocalisation de Mme Casimir, un finale et je ne sais combien de chansonnettes fort proprettes, sans compter une introduction instrumentale élégamment écrite qui remplace l’ouverture.

Je crois pouvoir me dispenser de raconter entièrement la pièce. Tout le monde en connaît à peu près le sujet et les détails. On se souvient des trois filles du baron de Montefiascone, les deux aînées, dures et orgueilleuses, préférées par leur père, comme les filles du roi Lear, Regane et Gonerille, la plus jeune douce, bonne, compatissante et modeste, une Cordelia au petit pied, repoussée de tout le monde et réduite à remplir dans la maison paternelle les fonctions de la plus humble domesticité ; une sorte d’enchanteur chargé de l’éducation d’un roi de Padoue (royaume chimérique, dans une Italie de l’autre monde) ; un écuyer ridicule, revêtu d’habits royaux, passant pour le prince et recueillant les hommages et les œillades des jeunes beautés de la cour, qui toutes se flattent de fixer son choix et de partager son trône, pendant que le véritable souverain, sous les habits d’un écuyer, inspire une tendre affection à la plus jeune fille du baron de Montefiascone, à la petite Cendrillon. Grand bal à la cour où son père et ses sœurs lui défendent de paraître ; où elle paraît cependant, grâce à l’enchanteur Alcindor, de qui elle reçoit une rose merveilleuse qui la rend soudain parée, spirituelle, façonnée aux belles manières du grand monde et méconnaissable pour ses parens. Disparition subite de Cendrillon ; désespoir du faux écuyer redevenu roi ; pantoufle de vair (et non de verre) oubliée par la jeune fille ; proclamation du roi qui n’accordera sa main qu’à celle des jeunes personnes nobles dont le pied sera assez mignon pour chausser la pantoufle. Toutes échouent. Cendrillon reparaît, mais dans les simples vêtemens qu’elle portait au premier acte ; elle a perdu la rose merveilleuse qui lui donnait éclat, savoir et beauté ; il ne lui reste que sa douceur, sa grâce naïve, son excellent cœur et son petit pied. Elle s’avance, reconnaît sa pantoufle, la chausse, redevient parée, éclatante et reine, à la confusion de ses jalouses sœurs, à la joie du prince, à l’étonnement de tous. Il y a après cette dernière scène une cérémonie nuptiale encadrée dans une belle décoration dont l’ensemble est des plus remarquables ; on a rarement produit, même à l’Opéra, un plus magique effet de mise en scène et de décors.

L’exécution de Cendrillon est tout à fait satisfaisante ; j’ai déjà dit qu’Audran s’y faisait chaudement applaudir dans sa romance ; Mlle Darcier est une petite Cendrillon pleine de gentillesse, et passe on ne peut mieux de sa gaucherie première aux airs un peu hautains de la grande dame ; Mme Casimir exécute certes fort bien, avec une netteté, une justesse et un aplomb imperturbables, les difficultés de vocalisation dont son rôle est semé ; Mlle Revilly n’est point déplacée dans le sien ; quant à Grignon et à Sainte-Foy, ils font énormément rire ; Sainte-Foy surtout, le faux prince, est d’un ridicule parfaitement joué.

Donc Cendrillon remplira la salle jusqu’à la première représentation du nouvel opéra d’Auber, tout au moins. […]

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date de publication : 03/11/23