Cendrillon d'Isouard
THÉÂTRE DE L’OPÉRA COMIQUE : Reprise de Cendrillon, opéra-comique en trois actes, d’Etienne, musique de Nicolo. […]
Cendrillon, représentée pour la première fois le 22 février 1810, obtint un succès extraordinaire. Longtemps, dans les couloirs de théâtre, on parla de la petite Alexandrine Saint-Aubin, qui s’y illustra en jouant du tambour de basque. Très longtemps aussi la romance : Je suis modeste et soumise, resta clichée sur le programme de tous les concerts.
Cependant, quand on reprit Cendrillon, en 1845, pour complaire à Mlle Darcier, tant d’eau avait passé sous les ponts, et tant de musique rossinienne avait secoué les nerfs des dilettantes, que la partition de Nicolo-Isouard eût paru vieille et fade. Mais on alla chercher Adolphe Adam, qui était passé maître dans l’art d’accommoder les restes. Adam y introduisit des trombones et autres instruments à sons âpres, comme on jette un filet de vinaigre dans un plat de l’avant-veille dont on veut réveiller la saveur.
Quelques pédants crièrent au scandale, à la profanation, comme si les ariettes de Nicolo fussent des choses saintes.
Je ne veux point prendre parti aujourd’hui dans la polémique ni tenter de la faire renaître. Il est bien évident qu’en principe il faut avoir de l’audace de reste pour corriger ainsi une œuvre consacrée par le succès ; mais on peut se demander si, dans l’espèce, ces retouches ne procurent pas un nouveau bail de vie à une partition devenue débile par l’effet du temps.
Quand un artiste, érudit et adroit comme l’était Adam, se charge d’une opération aussi délicate, il tient compte du régime auquel nos oreilles sont soumises pour le moment, de la quantité de son qu’elles peuvent supporter, et il met les choses au point voulu. Son art consiste à deviner, par intuition, ce que l’auteur, auquel il se substitue, eût fait lui-même s’il eût vécu assez vieux pour être notre contemporain.
Ce qui est certain, c’est que la pièce du vénérable Etienne n’eut point perdu à être un peu (comment dire ?)… réorchestrée aussi. Elle se déroule encore d’une façon assez amusante ; mais le style maniéré, phraseur, ennemi du mot propre dans lequel elle est écrite, paraît aussi suranné qu’une fable de Viennet ou qu’une lettre de Demoustiers faisant part à Émilie de ses aperçus sur la mythologie.
On y entend des choses dans ce goût :
« Depuis longtemps la renommée m’avait entretenu de vos charmes…
Il est plus facile de lire dans les astres que dans le cœur des femmes ; on ne peut faire à cet égard que des épreuves morales…
Il n’y a que les petits esprits qui s’oublient dans la grandeur…
Que ces deux femmes sont vaines ! On va pourtant proclamer qu’elles sont les plus belles, les plus aimables… et je le souffrirais !...
Simple écuyer, je n’ai qu’un cœur à offrir. » Etc.
Ce sont ces manières de dire, vraiment trop jolies, dont notre pauvre ami Henry Monnier avait composé le jargon de son Joseph Prudhomme.
Par exemple, il faut reconnaître que la direction de l’Opéra-Comique a présenté Cendrillon au public d’une façon qui appelle les applaudissements. Elle a commandé des décors et des costumes aux meilleurs faiseurs ; elle a embelli le second acte d’un ballet archaïque ; et, comme s’il était vrai que les bonnes intentions et les louables efforts dussent trouver leur récompense en ce monde, elle a été assez heureuse pour découvrir une jeune cantatrice qui convient admirablement au rôle principal.
Avantage précieux au théâtre, Mlle Julia Potel est en effet, le portrait vivant de son personnage. On ne se figure pas autrement Cendrillon quand on a lu Perrault, ou qu’on se souvient des contes à dormir couché de sa nourrice. Mlle Potel a, d’ailleurs, débité son rôle de début avec toute l’ingénuité qui sied à ses dix-sept ans, mais aussi avec un commencement d’acquis très-notable, et qu’elle doit aux conseils de Mme Carvalho.
Le ballet, réglé par Mlle Louise Marquet, a plu infiniment. La musique, qui en est ancienne, a été choisie et remise en état par l’érudit M. de Lajarte, bibliothécaire de l’Opéra. Cette petite partition additionnelle que nous avons sous les yeux se compose d’une pavane de Lulli (qui a été jouée trop lentement, si on nous permet cette remarque) ; d’un pas d’action ; d’un pas de canaris de Lulli ; de deux rigodons de Desmarets ; d’une passacaille de Mion ; d’une gavotte de Lulli, et d’un forlane de Gossec.
Pour un aussi plaisant travail, M. de Lajarte eût peut-être reçu de Louis XIV une pension et le cordon de ses ordres. De nos jours, il touchera des droits d’auteur, et on pourra le faire officier d’académie… nationale de danse.
Sommaire biographique de Nicolo :
Nicolo Isouard, né d’un père français, à Malte, en 1775 ; — fit ses études à Paris, et fut reçu dans la marine avec le grade d’aspirant ; — aux premiers grondements de la Révolution, retourna à Malte, où il apprit l’harmonie et le contrepoint ; — fit jouer, en 1794, à Florence, son premier opéra : Avoiso ai mariti, puis à Livourne, l’année suivante, Ataserse ; — revint encore dans son pays, où il occupa, jusqu’à la conquête française, la place de maître de chapelle des chevaliers de Malte ; — le général Vaubois le ramena à Paris en qualité de secrétaire. — Il donna, excité par la rivalité de Boieldieu, de nombreux opéras-comiques, dont les plus notables sont Michel-Ange, le Médecin turc, Léonce, l’Intrigue aux fenêtres, les Rendez-vous bourgeois, Cendrillon, Jeannot et Colin, Joconde, etc. — Nicolo est mort à Paris, en 1818, âgé de quarante-trois ans. […]
ALBERT DE LASALLE.
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date de publication : 15/09/23