Musique. La Montagne noire
MUSIQUE
ACADÉMIE NATIONALE DE MUSIQUE. — La Montagne noire, drame lyrique, poème et musique de Mme Augusta Holmès.
Il est beau de tenter des choses inouïes, comme dit le héros de notre vieux Corneille. Mme Augusta Holmès partage volontiers son avis. Les « volontés trahies » ne sont pas pour la déconcerter ni même pour faire fléchir son courage. C’est d’une foi ravie et comme transportée qu’elle chantait naguère la verte Irlande, sa terre de prédilection :
Pays natal, on te retrouve
Plus cher après t’avoir quitté ;
C’est comme une amitié qu’éprouve
La distance ou l’adversité.
Elle entonnait alors l’hymne de la Délivrance avec une autre ardente patriote, Marie Gjertg, qui lançait elle-même aux échos, dans l’Enthousiasme, les plaintes inécoutées de sa Norvège bien-aimée. Dans cet ordre de conception, l’une et l’autre ont eu des élans superbes et de véritables poussées d’inspiration. L’éloquence du cœur leur a fait atteindre le grand art. Il n’est pas douteux, par exemple, que Mme Augusta Holmès s’est approchée sensiblement des maîtres dans sa « Symphonie », exécutée à merveille aux Concerts Colonne, et pareillement dans son « Ode triomphale », composée à l’occasion du Centenaire. Mais il faut bien convenir que, visant moins haut, elle n’a pas touché si juste dans sa Montagne noire. Et remarquez qu’on ne saurait, dans le cas présent, reprocher à Mme Augusta Holmès d’avoir mal choisi son parolier.
C’est elle-même, non sans crânerie, qui s’est substituée à lui, imitant en cela Richard Wagner, qui a conquis de vive force son admiration et déterminé ses préférences en tant qu’initiateur. Le malheur est que, tandis que le chantre de Lohengrin et de Parsifal se plongeait à corps perdu dans la légende, Mlle Holmès a essayé d’évoquer l’histoire, une histoire un peu embrouillée.
Nous avons quelque idée, — peut-être ne sommes-nous pas juge expert en ces matières — que ce serait un mince compliment à lui adresser que de lui en faire compliment sérieusement.
Cela est bénin comme adaptation au théâtre et d’un intérêt médiocre comme intrigue. Entrevue à distance de plusieurs centaines d’années, par le gros bout de la lorgnette, la guerre entre les Monténégrins et les Turcs n’aurait chance de fixer notre attention et de nous émouvoir à un degré appréciable que si des épisodes, juxtaposés à point au sujet, y ajoutaient un élément suggestif que nous avons le regret de ne point trouver dans la Montagne noire. C’est ainsi que nous nous sentions disposés à suivre de près les chevaleresques combats de Mirko et de son alter ego Aslar contre leurs ennemis naturels, les Ottomans. Mais voilà que la bataille gagnée, le vaillant soldat Mirko, fiancé avec la belle Héléna, tombe instantanément en extase devant Yamina, une esclave turque qui l’hypnotise et dont il fait facilement la conquête. Le cœur humain a de ces faiblesses ; elles nous surprennent chez ce guerrier qui ne paraissait rêver qu’au salut de sa patrie. À partir de ce moment Mirko devient incompréhensible, quelque désir qu’on ait de s’intéresser à sa personne. Il est fluctuant et divers autant qu’homme peut l’être. De la brune à la blonde, de sa fiancée Héléna à l’esclave qui l’a subjugué, il va inconsidérément, n’ayant d’autre guide que son instinct du moment. L’armée monténégrine devait avoir une pauvre idée de ce chef roucoulant amoureusement aux pieds de Yamina, alors que son devoir l’appelait aux armes. La mission d’Aslar devient, en présence d’un tel alanguissement passionnel, terriblement difficile. Il succombera à la tâche, tout nous le fait pressentir, jusqu’à son amitié trahie mais indéfectible pour Mirko. Le malheureux ne trouvera de repos que dans la mort, car après avoir été frappé d’un coup de poignard par la voluptueuse Yamina, qui ne veut pas lâcher sa proie, il occira lui-même son frère d’armes pour qu’il ne survive pas à son déshonneur.
Il n’est pas besoin d’entrer dans des détails plus amples pour raconter le scénario très sommaire de la Montagne noire. La vérité est qu’il n’a plu que médiocrement au public, pourtant très sympathique à l’œuvre et à l’auteur, de la première et de la seconde représentation. Cela vient de ce qu’en dehors du sujet, la musique, si elle s’élève parfois jusqu’au lyrisme bat le plus souvent de l’aile.
Les pages d’album y abondent, et il en est dans le nombre d’une note exquise, comme l’air de Yamina, au premier acte : « Parmi les fleurs », et au second la mélodie délicieusement attendrie : « Blanche vierge ». Nous pourrions citer encore, dans la gamme sentimentale, modulé à ravir, le duo de Mirko et Yamina : « Repose-toi sur mon bras qui t’enlace ». Mais ce sont là trouvailles de second plan. Il manque à la Montagne noire le coup de griffe du lion. L’horizon que tend à nous dévoiler l’œuvre semble étroitement borné et de rares aspects nouveaux et saisissants nous y apparaissent. Par surcroît, l’instrumentation ne révèle pas en Mme Augusta Holmès une adepte fervente et informée de Richard Wagner, voire de son maître César Franck. On y surprend, au passage, de vagues réminiscences de Massenet, le Massenet du Roi de Lahore. N’ayons garde d’oublier, d’ailleurs, que la Montagne noire date déjà de quinze années. C’est sans doute pourquoi elle nous a semblé prématurément vieillie.
Alvarès a de la désinvolture et du « galoubet », comme on dit à Bordeaux, dans le personnage bizarre de Mirko. Renaud, le type accompli du fâcheux — dans la Montagne noire seulement — lui donne la réplique avec sa voix solide et d’un métal sonore. Quant à Gresse, il ne fait que paraître et disparaître. Il tient, selon sa coutume, fort honorablement sa place.
Il y a lutte de virtuosité entre Mlles Bréval (Yamina) et Berthet (Héléna). Nous comprenons à merveille qu’entre ces deux charmantes femmes, le trop fortuné Mirko hésite et balance dans son choix. C’est là sa seule excuse. Mme Augusta Holmès n’ignore point que dans les temps reculés dont elle nous raconte les hauts faits, les Orientaux, Monténégrins et Turcs étaient friands de danses provocantes : elles étaient par excellence la fête des yeux. Ils professaient conséquemment le mépris du costume, simple affaire d’habitude. Vous pensez bien qu’à l’Opéra, ces divertissements, d’un si capiteux laisser-aller, se sont légèrement transformé, légèrement est le mot ; mais il faudrait avoir l’esprit chagrin pour s’en courroucer, d’autant que les pas de ces nouvelles et éthérées aimées sont rythmés et ponctués de délicieux accords.
Est-il besoin de parler des décors de la Montagne noire ? Peut-être. Ils sont brossés de main d’artiste. Le goût éclairé de Gailhard s’y révèle de brillante façon.
ELY-EDMOND GRIMARD.
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data di pubblicazione : 31/10/23