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Carmen de Bizet

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L’Opéra-Comique vient de donner une pièce en quatre actes, tirée par MM. Meilhac et Ludovic Halévy d’une nouvelle de Mérimée, et mise en musique par M. Georges Bizet. C’est la première fois que les auteurs de tant de comédies parisiennes par excellence abordaient l’Opéra-Comique : on comptait sur eux pour ranimer un peu ce théâtre que consume une lente anémie. Tous les éléments de succès semblent réunis dans le sujet de Carmen : L’Espagne et Séville, les gitanos, les posadas, les castagnettes, les contrebandiers dans la montagne, un ballet de bohémiennes, un combat de taureaux, des chœurs d’Andalouses fumant la cigarette, un combat à la navaja, des scènes de jalousie et de fureur avec le coup de poignard final, que sais-je encore ? ce qu’il y a de plus piquant dans la banalité, tout ce qui peut, ce semble, réveiller le goût bourgeois sans le dérouter et lui complaire en l’excitant. On avait confié la partition à un musicien dont les adeptes font cas, déjà presque célèbre, bien qu’il n’ait son article ni dans Vapereau, ni dans Didot, ni dans Larousse, ni dans Fétis, qui jouit d’une grande réputation d’avenir, et qu’on a décoré la veille de la représentation, tant on était sûr de son succès, — à moins pourtant que ce ne fût par prudence. La direction a fait brosser quatre beaux décors ; elle a demandé les costumes de sa Bohémienne et de ses dragons à deux peintres connus dont l’un est même tout à fait à la mode, MM. Clairin et Detaille. Enfin elle a donné aux auteurs le dessus du panier de sa troupe, — ce qui n’est pas beaucoup dire, il est vrai, car, depuis le départ de madame Miolan-Carvalho, qui en était l’étoile de première grandeur, ce n’est plus guère qu’une collection de nébuleuses. Hélas ! tant d’efforts ont abouti à un résultat médiocre, et je crains bien que toutes les espérances fondées sur la nouvelle œuvre ne s’évanouissent prochainement en fumée.

MM. Meilhac et Halévy ont pris soin d’adoucir les tons crus et violents de la nouvelle de Mérimée. Ils ont donné au brigadier José une mère et une fiancée afin de détendre l’esprit du spectateur et de varier le ton de l’ouvrage en y introduisant un élément de tendresse. Ils ont considérablement abrégé le tableau des crimes auxquels l’amour de sa Manon bohème conduit ce Des Grieux d’un nouveau genre, et enlevé à Carmen, pour en sauver du moins les côtés les plus repoussants, son hideux mari, forçat et borgne, et ses associés de grand chemin, à qui elle sert d’appeau. Malgré ces précautions et ces atténuations, la cynique créature nous répugne à la scène beaucoup plus encore que dans le livre, parce que nous la voyons se mouvoir en chair et en os sous nos yeux. L’effet de cette traduction est immanquable : en matérialisant la création du conteur elle la rend plus brutale ; les façons déhanchées et provocantes de mademoiselle Galli-Marié, dont le zèle a dépassé le but, portent plus d’une fois jusqu’aux confins du dégoût le sentiment que cause l’abjection du personnage. Heureusement, l’excellente chanteuse fait oublier la comédienne triviale.

M. Bizet appartient à cette jeune école de l’avenir qui date de Wagner la découverte de la musique et traite de haut les maîtres adoptés par le public, sans qu’on voie au juste ce qu’elle a fait pour les remplacer. Jusqu’à présent, elle a été plus féconde en théories qu’en ouvrages, et ses hautes prétentions n’ont accouché que de réalités fort mesquines. Ce qu’il y a de meilleur dans Carmen, c’est l’orchestration, où l’on sent une main souple, habile et sûre : le mérite de cette école est d’avoir relevé l’importance de l’orchestre, qui n’était généralement, dans le répertoire de la rue Favart, qu’un accompagnement subalterne ; son tort est d’en exagérer le rôle jusqu’à changer parfois une œuvre dramatique en symphonie et non seulement à mettre, comme Grétry le reprochait faussement à Mozart, le piédestal sur la scène et la statue dans l’orchestre, mais à ciseler, à fouiller, à orner le piédestal plus que la statue.

Quant aux airs, aux duos, aux chœurs largement prodigués par M. Bizet, j’en ferais volontiers deux parts : d’un côté, surtout dans le domaine de la musique expressive et dramatique, des morceaux laborieusement cherchés et rarement trouvés ; de l’autre, particulièrement sur le terrain de la musique bouffe, des mélodies communes, sur un rythme sautillant et facile, sans originalité, sans accent. Quelquefois, comme dans la chanson du toréador au deuxième acte, très bien dite par M. Bouhy, où la banalité du refrain contraste avec la recherche des couplets, les deux caractères se trouvent réunis dans le même morceau. Çà et là sans doute, dans le rôle de José et de sa fiancée Micaëla, dans les airs auxquels mademoiselle Galli-Marié prête le brio piquant de sa voix et qu’elle anime encore de l’étrange expression de sa physionomie, on peut signaler quelque élégance, un peu de sentiment ou de couleur, du mouvement et de la crânerie ; mais ces exceptions trop rares ne rachètent point ce que l’ensemble a de mortellement long, pénible et froid. Le compositeur se perd à la poursuite des détails. Jamais une phrase qui se déroule avec ampleur, ou même qui se dessine nettement. Tout est morcelé, décousu ; tout manque de franchise et de souffle ; tout manque surtout du caractère puissant et sauvage, de la haute saveur que demandaient le cadre et le sujet. Je me déclare, du reste, très humblement impropre à sentir les beautés de cette musique savamment fastidieuse, et devant les perles de M. Bizet je déclare, comme le coq de la fable, que le moindre grain de mil, la plus petite mélodie d’Auber, – mon Dieu, oui, ferait bien mieux mon affaire.

Victor Fournel

Persone correlate

Compositore, Pianista

Georges BIZET

(1838 - 1875)

Opere correlate

Carmen

Georges BIZET

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Henri MEILHAC Ludovic HALÉVY

Permalink

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data di pubblicazione : 18/09/23