Salta al contenuto principale

Revue musicale. Carmen

Categoria/e :
Editore / Giornale :
Data di pubblicazione :

REVUE MUSICALE
Opéra-Comique. – Carmen, opéra-comique en quatre actes, d'après la nouvelle de Mérimée, paroles de MM. Henry Meilhac et Ludovic Halévy, musique de M. Georges Bizet.
Folies-Dramatiques? – Clair-de-Lune, opéra-bouffe en trois actes, de MM. E. Dubreuil et H. Bocage, musique de M. A. Cœdès.

Lorsque j’eus à parler ici-même de Djamileh, le dernier ouvrage produit à la scène par M. Georges Bizet, il y a près de trois ans, je crus devoir présenter au lecteur ce musicien de mérite comme celui dont le talent était le plus exercé, le plus mûr, parmi tous les compositeurs qui forment ce qu’on est convenu d’appeler la jeune école française, de préférence même à M. Massenet, qui a su se plier davantage aux préférences du public et, par conséquent, conquérir plus vite ses suffrages. J’expliquai aussi la froideur du public et les sévérités de la presse, prise en général, vis-à-vis de M. Bizet, par ce fait qu’il était classé, sans raison d’ailleurs, mais à coup sûr d’une façon irrémédiable, parmi les musiciens français qu’on soupçonnait d’adhérer tant soit peu aux doctrines wagnériennes, non pas qu’ils mettent en œuvre les théories qu’ils sont censés approuver, mais uniquement parce qu’ils ne suivent pas tranquillement la route battue. Pareille audace équivaut chez nous à un brevet de wagnérisme.

Je racontai enfin les coquetteries échangées entre le musicien et ses juges dans un paragraphe que je demande permission de reproduire, pour bien exposer la situation respective des deux parties : « Depuis le jour où M. Bizet a fait représenter ses Pêcheurs des perles, il se joue entre lui et la critique une singulière comédie. À chaque nouvel ouvrage, la presse, qui le traite avec bienveillance à contrecœur, se plaît à reconnaître en lui un musicien heureusement doué, mais elle déplore amèrement qu’il se soit laissé prendre aux pièges d’une école réprouvée. À l’entendre, le vrai moyen pour M. Bizet de bien faire et de réussir (deux choses essentiellement distinctes) serait de répudier ses idées. À l’ouvrage suivant, le musicien ne manque pas d’accuser ses préférences, et la critique de déplorer de plus belle l’aveuglement de ce nouvel enfant prodigue. Cette fois, M. Bizet a comblé la mesure en enchevêtrant comme à plaisir les harmonies les plus bizarres, les tonalités les plus disparates.

« Il est plus wagnérien que Wagner ! » s’écrient de bonne foi certaines gens qui ne connaissent à coup sûr, ni Tristan et Iseult, ni Les Maîtres chanteurs. Et la critique de recommencer ses tristes lamentations. Il n’y a vraiment pas lieu de tant gémir et le nouvel ouvrage ne méritait « ni cet excès d’honneur ni cette indignité ».

Le dernier acte de cette comédie vient de se jouer à propos de Carmen, et cette conclusion inattendue peut tourner tout à l’avantage de M. Bizet, s’il en veut bien étudier la cause, s’il reconnaît que lui-même n’a fait que déprécier et rabaisser en pure perte son talent, sans rencontrer, je ne dirai pas un succès plus franc, mais même une approbation plus sincère. Le musicien s’est naïvement figuré qu’il lui suffirait d’atténuer ses préférences, de répudier ses juvéniles audaces, si timides et si modestes, de se rallier franchement au genre de l’opéra comique, dont il avait cru pouvoir étendre ou varier les formes consacrées selon les exigences de ses livrets ; d’écrire enfin force couplets guillerets et refrains faciles à retenir, pour conquérir ces éloges si précieux que la plupart des critiques lui refusaient obstinément. Ils lui commandaient de s’amender et de rejeter ses propres idées pour adopter les leurs ; il jugea qu’il avait assez longtemps résisté et se courba humblement sous cet ordre formel. Qu’arrive-t – il ? C’est que ses juges, tout fiers d’avoir aussi facilement humilié ce superbe, élèvent de nouvelles exigences, et, la faiblesse momentanée du justiciable doublant leur assurance, ils le traitent encore plus durement pour ses erreurs passées sans lui savoir gré de les avoir répudiées. Leur siège est fait d’avance, et

M. Bizet ferait jouer demain, sous son nom, tel opéra oublié de Grétry ou de Philidor, qu’il se trouverait encore des gens délicats pour le juger convaincu de wagnérisme aussi justement que par le passé, et pour le vouer à une réprobation universelle.

Qu’a-t-il servi à M. Bizet de se plier au goût de personnes dont il doit se rire par derrière et railler les façons de voir en musique, si différentes des siennes, de celles du moins qu’il s’est laissé gracieusement attribuer ? La presse lui marque encore moins de faveur, et le public moins d’empressement. Le seul résultat de cette regrettable évolution sera de retirer au compositeur l’approbation et l’appui des rares personnes, amateurs ou critiques, qui, sans le porter droit aux nues, aimaient au moins à rendre justice à ses tentatives sérieuses, à la justesse de ses vues artistiques, et auguraient bien de cette sévérité du musicien vis-à-vis de lui-même. Du reste, cet opéra comique n’est qu’une longue suite de compromis, aussi bien dans le poème que dans la musique, et en matière d’art, les compromis n’ont jamais servi ceux qui y ont recours, et qui se sont vus bientôt repoussés à la fois par les deux écoles qu’ils voulaient ménager.

J’accorde que le sujet de Carmen ne convenait guère au genre opéra comique, qu’il n’offre aucun caractère sympathique et ne présente à tous les plans que des âmes viles et de vilaines gens ; mais il fallait ou le laisser dans le livre, ou le présenter tel quel. Il était impossible, quoi qu’on fît, de le rendre aimable et gracieux ; au moins fallait-il le laisser émouvant et terrible comme il est dans la nouvelle. On pouvait et on devait en tirer un drame vigoureux, répugnant peut-être par cette série de honteux forfaits, mais un drame propre à intéresser le public qui désire de ces émotions poignantes, au lieu de l’atténuer et de la transformer en vulgaire opéra comique, avec une pointe de pathétique et un meurtre final peu explicable. Dans le roman, en effet, le trépas de Carmen n’est que la juste punition de tous les crimes qu’elle a fait commettre à José, c’est la farouche vengeresse de tous ceux qu’elle lui a fait tuer ; ici, au contraire, n’ayant jamais causé mort d’homme et n’ayant fait que débaucher un soldat facile à l’amourette, elle meurt presque injustement, car le véritable coupable, c’est celui qui la tue. Que signifie encore cette jeune Micaëla, qui vient soupirer ses fades romances dans ce drame sauvage et terrible ; cette douce enfant, cette sœur de lait qui, depuis Alice, a reparu dans vingt opéras-comiques, à la grande joie des âmes tendres et des cœurs sensibles ? En un mot, une pièce tirée de Carmen pouvait offrir un intérêt poignant et une sombre terreur. Les arrangeurs ont voulu l’atténuer de façon à amuser ceux qui veulent rire et à intéresser ceux qui veulent pleurer : ils ne feront qu’ennuyer les uns et les autres.

La musique de M. Bizet cadre bien avec ce poème par ses défaillances voulues, par ses justes aspirations aussitôt réprimées et par ses concessions inutiles. Le principal mérite de M. Bizet, celui dont il n’a pu se dépouiller, quoi qu’il fît, est de savoir remarquablement manier l’orchestre. Ses combinaisons d’instruments, ses jolis accouplements de timbres, ce curieux travail de l’orchestre brillant sans conteste dans les intermèdes symphoniques, et relèvent singulièrement plusieurs morceaux vocaux où la phrase mélodique est d’une banalité bien faite pour séduire les oreilles les moins musiciennes. Il s’efforce à la vérité, de rendre avec justesse l’expression des paroles et la situation dramatique, mais cette préoccupation d’instinct cède souvent devant la préoccupation réfléchie de ne pas effaroucher les amateurs de phrases carrées et de gracieux refrains. Si j’énumérais page par page cette longue partition, j’aurais trop souvent à condamner très sévèrement un musicien duquel j’attendais beaucoup mieux ; mais cette façon de procéder me déplairait vis-à-vis d’un artiste sur lequel on peut encore fonder quelque espoir. Ces graves réserves une fois posées, je me contenterai donc de rechercher dans quelles pages de l’œuvre se retrouve encore le compositeur de L’Arlésienne et de Djamileh.

Le morceau de beaucoup le meilleur est la deuxième partie du prélude, une large mélodie chantée par les violoncelles, clarinettes, bassons et trompettes, sur une vigoureuse batterie des instruments à cordes ; il y a de la puissance et de l’élévation dans cette phrase, qu’on réentendra partiellement lorsque Carmen jettera la fleur au nez de José et lorsque celui-ci tuera sa maîtresse. Les divers épisodes de la scène de la place publique sont finement rendus, surtout les propos des soldats et le refrain des gamins ; le chœur des cigarières est assez gracieux, et la habañera de Carmen, chanson originale du pays est rehaussée par de jolis dessins d’orchestre. Le duo de José avec Micaëla est d’un sentiment à la fois précieux et banal, comme tout ce rôle de jeune fille, qui ne pouvait inspirer au musicien que des romances d’une fadeur insignifiante.

Le début du second acte est d’une couleur étrange et d’une animation extrême, grâce à la mise en scène et aux costumes d’une grande exactitude, et aussi à la musique, à cette romanesca qui commence en sourdine et lentement, pour finir en tourbillonnant, au bruit des éclats de rire, des castagnettes, des tambours de basque. Je louerai encore dans cet acte, l’ensemble contrasté de la retraite et de la danse de Carmen. Le musicien qui a, par trois fois, tiré un heureux parti de pareils contrastes, a très habilement écrit cette scène ainsi que le duo qui suit, où les hésitations de José, bientôt vaincues par les caresses de Carmen, sont délicatement rendues dans la phrase : Là-bas, dans la montagne.

Je ne vois, à citer, dans les derniers actes, outre ce travail d’orchestre qui offre un intérêt constant, que le trio des cartes, où les sombres pressentiments de Carmen se heurtent aux joyeuses prédictions de ses compagnes ; et enfin la scène finale du meurtre, à l’entrée du cirque, tandis qu’éclatent les cris de joie du peuple acclamant le toréador Escamillo. Il est à remarquer que les rares épisodes où M. Bizet s’est un peu relevé, sont absolument des scènes de drame, partant d’opéra ; et c’est précisément parce qu’il a pu aborder là le genre qui lui convient véritablement, qu’il a rencontré quelques élans chaleureux. Il est donc permis de croire qu’il suffisait au musicien et à ses amis de vouloir pour qu’il en fût ainsi de tout l’opéra, qu’eux-mêmes le savaient et qu’ils se sont fourvoyés à bon escient. Tant il est vrai que : autre chose est de savoir ce qu’il convient de faire, autre chose de l’oser.

Sur douze personnages, il n’y en a vraiment que deux d’importants ; aussi n’est-il pas besoin d’une grande indulgence pour accorder un satisfait général à M. Bouhy, à Mlles Chapuy, Ducasse et Chevalier, etc. M. Lhérie se dépense beaucoup dans le rôle de José ; il gesticule et se remue trop, mais enfin il joue avec feu. Il est regrettable que sa voix, suffisante mais trop accessible à l’enrouement dans les passages de demi-caractère, le trahisse absolument pour pousser les grands cris de rage et de passion qui abondent dans la seconde partie du rôle. En revanche, Mme Galli-Marié n’a droit qu’à des éloges : Carmen est et restera sa création la plus remarquable. Actrice, chanteuse ou danseuse par occasion, elle a su donner à cette étrange figure de bohémienne un cachet de vérité saisissante ; elle en fait même accepter les côtés scabreux à force de crânerie élégante. D’étude ou d’instinct, elle joue vraiment ce rôle au naturel. [...]

Ad. Jullien

Persone correlate

Giornalista

Adolphe JULLIEN

(1845 - 1932)

Compositore, Pianista

Georges BIZET

(1838 - 1875)

Opere correlate

Carmen

Georges BIZET

/

Henri MEILHAC Ludovic HALÉVY

Permalink

https://www.bruzanemediabase.com/it/node/17966

data di pubblicazione : 26/09/23