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Premières représentations. Carmen

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PREMIÈRES REPRÉSENTATIONS
THÉÂTRE DE L'OPÉRA-COMIQUE

On ne pourra point prétendre que MM. Meilhac et Halévy cherchent à dissimuler leurs emprunts littéraires.

Depuis deux jours déjà, les affiches de l’Opéra-Comique indiquaient, en gros caractères, que le libretto confié à M. Bizet est tiré de la nouvelle de Mérimée, intitulée Carmen. Carmen, on le sait, est l’un des bijoux de cet écrin étincelant dont les principaux diamants sont : La Prise de la redoute, La Vénus d’Ille, Le Vase étrusque, La Partie de Trictrac et Colomba.

Aussi, MM. Meilhac et Halévy, respectueux de l’œuvre originale, ont-ils limité leur rôle à celui de translateurs, n’opérant que les modifications imposées par les nécessités scéniques ou lyriques, et suivant presque pas à pas, l’auteur dans ses développements.

Ils ont même poussé l’adaptation jusqu’à reproduire le plus possible les phrases mêmes de Mérimée.

Nous allons donc résumer le récit de Mérimée, en indiquant toutefois rapidement, en passant, les quelques additions ou retouches subies par la nouvelle dans le chemin parcouru par elle entre la librairie de Michel Lévy et la salle Feydeau.

À Séville, il y a une manufacture de tabacs, dans laquelle quatre à cinq cents femmes sont occupées à rouler des cigares. À l’heure où les ouvrières reprennent leur travail, après leur dîner, bien des jeunes gens vont les voir passer, et « leurs en content de toutes les couleurs ». Il y a peu de ces demoiselles qui refusent une mantille de taffetas, et – c’est Mérimée qui le prétend, – les amateurs, à cette pêche-là, n’ont qu’à se baisser pour prendre le poisson.

Au nombre des cigarières ou cigarettières, – les librettistes disent l’un et l’autre, – était Carmen, une bohémienne effrontée.

Un jour qu’elle allait rentrer, la cloche ayant sonné, Carmen avise un jeune brigadier du régiment d’Almanza (cavalerie), qui était de garde au poste de la manufacture, et se met à l’agacer. Le cavalier n’y fait guère attention d’abord, mais il y a des regards féminins qui sont comme le poison subtil, dont les dramaturges abusent si fort : ils pénètrent et tuent.

Le cœur de José est bientôt envahi par l’image de Carmen, et tandis que le pauvre garçon songe à cette singulière et fatale apparition, un événement inattendu décide à tout jamais de son sort.

S’étant prise de querelle avec une de ses compagnes, Carmen lui laboure la figure de coups de couteau. On vient chercher la garde pour arrêter la coupable, et c’est José qui est chargé de mener Carmen à la prison de la ville.

La bohémienne, d’un regard, grise, affole le brigadier : « Donnant ! donnant ! lui murmure-t-elle tout bas ; à moi la liberté aujourd’hui, à toi Carmen demain. »

Le marché est conclu ; Carmen lance un coup de poing dans la poitrine de son gardien ; José se laisse tomber exprès à la renverse, et la prisonnière se sauve à toutes jambes, protégée dans sa fuite par le peuple, qui n’est jamais fâché de voir l’autorité... roulée.

Ici finit le premier acte de l’opéra, qui contient les situations ci-dessus indiquées. MM. Meilhac et Halévy ont, dans cette partie, ajouté un personnage, celui de Micaëla, une amie d’enfance de José, appelée à faire vibrer dans l’âme du Basque les souvenirs pieux, mais passagers, du foyer et de l’amour maternel.

Au second acte, on est chez Lillas Pastia, le marchand de friture, chez qui viennent volontiers les bohémiens, ainsi que les bourgeois gourmands et paillards.

Carmen a donné rendez-vous dans cette auberge à son sauveur, et, après lui avoir payé sa dette, le décide à déserter, à quitter les drapeaux pour s’enrôler dans la troupe des contrebandiers où il trouvera comme chantent les poétiques fripons :

Le ciel ouvert ! la vie errante
Pour pays l’univers ! Pour loi, sa volonté,
Et surtout la chose enivrante,
La liberté ! la liberté !

Au troisième acte, José nous est montré au milieu des ignominies et des tristesses de sa nouvelle et infâme existence. Il est criminel et, de plus, malheureux, car son amante est infidèle. Carmen n’aime plus José ; son esprit est tout à Escamillo le torero. José est jaloux, et sa jalousie a des élans féroces qui le conduiront, lui aussi, au meurtre.

En effet, Carmen avouant sans pudeur sa récente passion et refusant de suivre José dans d’autres contrées où ils pourraient commencer une vie plus honnête, José s’irrite, s’emporte, finit par voir rouge et plonge par deux fois son couteau dans le cœur de Carmen.

Vous pouvez m’arrêter, c’est moi qui l’ai tuée !

Tel est le cri suprême sur lequel la toile tombe et l’opéra finit.

On pouvait craindre que le sujet de la nouvelle ne fût, pour la scène de l’Opéra-Comique, un peu sombre, un peu brutal. Il se ressent du caractère spécial du talent de Mérimée que bien des critiques ont accusé de dureté, et qu’Alfred de Musset, d’ailleurs, lui-même définissait ainsi, en le comparant – peut-être avec un peu trop de fantaisie – à Calderón :

L’un, comme Calderón, et comme Mérimée, Incruste un plomb brûlant sur la réalité, Découpe à son flambeau la silhouette humaine, En emporte le moule et jette sur la scène,

Le plâtre de la vie avec sa nudité.

Eh bien, pour être juste, il faut reconnaître que MM. Meilhac et Halévy ont – toujours en modifiant le moins possible le modèle primitif – réussi à tirer du sujet même les agréments, les oppositions les plus propres à former d’agréables contrastes ; nous citerons notamment le chœur des gamins :

Avec la garde montante
Nous arrivons, nous voilà ;

l’ensemble des Cigarettières :

La fumée
Parfumée
Monte en tournant vers les cieux,
Dans l’air nous suivons des yeux
La fumée ;

le trio des cartes, et l’apparition de la quadrilla.

Au reste, l’indication des principaux morceaux de l’opéra montrera ce que les librettistes ont fourni au musicien.

1er acte.

Outre le chœur des gamins, très applaudi, le chœur des cigarières, la chanson de Carmen, d’un rythme étrange, a été fort goûtée.

La reprise finale de chaque couplet (en majeur) produit l’effet le plus original.

Le duo de Micaëla et José est d’un sentiment très poétique, rehaussé encore par la voix si sympathique et si chaude de Mlle Chapuy.

Enfin, le duettino :

Près de la porte de Séville,
Chez mon ami Lillas Pastia,
J’irai danser la séguedille
Et boire du manzanilla,

qui continue et se termine par une fugue, amène une chute de rideau très vive et laisse une excellente impression.

2e acte.

Les couplets du toréador sont la partie capitale de cet acte. Bouhy les a chantés avec un charme et un entrain remarquables.

Aussi les a-t-il fait bisser – un bis sincère – par toute la salle. Le quintette à trois temps :

En matière de tromperie,
De duperie,
De volerie,
Il est toujours bon, sur ma foi,
D’avoir des femmes avec soi.

est piquant et léger. Nous aimons beaucoup moins l’air de José dans la coulisse, qui est d’un contour indécis et d’une harmonie prétentieuse.

3e acte.

La romance de Micaëla, en mi bémol :

Je dis que rien ne m’épouvante,

a encore valu un nouveau succès à Mlle Chapuy, qui, par son talent, a mis sur le premier plan un rôle secondaire.

Le duo du duel au couteau est traité magistralement et l’ampleur en ressort d’autant mieux qu’il succède à un petit ensemble pimpant (le douanier, c’est notre affaire), dont le public a apprécié l’esprit et la vivacité.

Toutefois, si nous ne nous trompons, le motif de cet ensemble est pour nous une ancienne connaissance, et je le soupçonne d’avoir servi déjà, dans L’Arlésienne, pour un chœur de femmes.

4e acte.

Au lever du rideau, encore un chœur très réussi :

Des éventails pour s’éventer,
Des oranges pour grignoter.

Puis le défilé de la quadrilla, picadores, banderilleros, spada, etc., et enfin le dernier duo entre Carmen et José, qui s’ouvre par une belle phrase :

Je ne menace pas, j’implore, je supplie.

Voilà, d’après nos rapides et immédiates impressions, ce qui est surtout à remarquer dans cette partition touffue.

Elle est écrite dans le style de l’école à laquelle appartient M. Bizet : nous nous plaisons cependant à constater que le compositeur ne s’est point tenu dans la rigide austérité qui lui a été souvent reprochée. À coup sûr, M. Bizet n’a point exagéré les concessions, et l’on chercherait en vain, dans ces quatre actes, quelqu’une de ces mélodies faciles à retenir que les élus des premières sont tout fiers de fredonner au sortir du théâtre, mais il est incontestable qu’il a voulu, avant tout, la clarté et qu’il n’a point dédaigné ce que les purs appellent avec mépris la formule, le procédé.

L’orchestration est même parée et coquette, – si l’on nous permet ce mot, – et l’on y reconnaît la prodigalité d’un symphoniste millionnaire, n’ayant souci de ménager avec avarice ses effets.

À cet égard, le passage où Carmen invite José à partir pour la montagne (Là-bas, là-bas) est un enchantement qui n’a point échappé à nos oreilles au milieu de tant de richesses diverses.

L’interprétation a été déjà, en partie, jugée dans ce qui précède.

Le succès a été incontestablement pour M. Bouhy – un Faure d’il y a quinze ans – et pour Mlle Chapuy.

Le rôle de José exigerait une puissance supérieure à celle que possède M. Lhérie.

Quant à Mme Galli-Marié elle ne comptera pas la création de Carmen parmi ses meilleures. Est-ce la faute du personnage ? Est-ce la faute de la comédienne ?

Le type de Carmen n’a pas reçu de Mme Galli-Marié cette empreinte d’originalité qui a, par exemple, assuré la vogue de Mignon.

Au 2acte, seulement, dans la scène de séduction, elle a soulevé les bravos, et, malheureusement, c’était peut-être aux dépens du goût, car la situation est vive, et il est facile de la rendre bien vite trop... scabreuse.

Les décors sont pittoresques ; la posada a beaucoup plu.

En somme, et à dire vrai, l’auditoire a manifesté plus d’intérêt sympathique que d’enthousiasme ; mais on peut conjecturer que l’opinion générale sera favorable, et affirmer que la majorité des présents a contresigné ce soir le décret nommant M. Bizet chevalier de la Légion d’honneur.

Henri de La Pommeraye

Persone correlate

Compositore, Pianista

Georges BIZET

(1838 - 1875)

Opere correlate

Carmen

Georges BIZET

/

Henri MEILHAC Ludovic HALÉVY

Permalink

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data di pubblicazione : 03/11/23