Théâtre des Bouffes-Parisiens. Le Pont des Soupirs
THÉÂTRE DES BOUFFES-PARISIENS
LE PONT DES SOUPIRS
Opéra bouffon en 2 actes et 4 tableaux, paroles de MM. HECTOR CRÉMIEUX et LUDOVIC HALÉVY, musique de M. JACQUES OFFENBACH
Première représentation le 23 mars 1861.
Le Pont des Soupirs est un drame, mais quel drame ! C’est, autour d’une action ténébreuse, une succession inouïe de folies et extravagances, si bien que les malheurs du grand amiral Cornarino Cornarini, qui, contés sérieusement, pourraient épouvanter les habitués de la Gaîté, font mourir de rire le public des Bouffes-Parisiens. Raconter cette pièce est impossible, et cependant il y a une pièce qui commence, qui se continue, qui se dénoue. Mais une analyse ne pourrait montrer tout ce qu’il y a de neuf et d’original dans cette incomparable bouffonnerie. Disons seulement quelques mots sur la couleur et l’ensemble de chaque tableau.
Au lever du rideau, c’est une piazzetta à Venise. Il fait nuit, et la lune éclaire un décor charmant, pendant que, dans le lointain, chantent les classiques gondoliers. Paraissent le grand amiral Cornarini et son écuyer Baptiste, enveloppés dans de larges manteaux, et les voilà qui chantent sous un balcon la barcarolle obligée. Ce balcon, c’est celui de Catarina, la femme du grand amiral. Défait par les Matalosses, Cornarini a vu sa tête mise à prix, et, n’osant se montrer au grand jour, il fredonne, en tremblant, une romance connue de Catarina. Mais à Venise une barcarolle en amène une autre, et successivement entrent, toujours avec accompagnement de guitares, Amoroso, le sigisbé de la belle dame, et le farouche Malatromba, le tyran de la pièce. Il y a assaut de barcarolles. Les sbires de Malatromba entraînent Amoroso, Catarina tombe évanouie sur l’appui de son balcon ; le traître pénètre dans le palais Cornarino, et à sa suite le grand amiral, toujours suivi de son fidèle Baptiste.
Au deuxième tableau, ce ne sont que trappes, fausses portes, hommes masqués, oubliettes, coups de poignards échangés sur les airs les plus bouffes, scènes de folie les plus joyeuses. Le mari, la femme, le traître, l’écuyer, le sigisbé, tous viennent, courent, se cachent dans une horloge et dans un baromètre… Il faut renoncer à raconter.
Le troisième tableau est une séance du Conseil des Dix ; mais aux Bouffes-Parisiens les membres de ce terrible tribunal ne sont plus ces personnages sinistres qui ont rempli de leurs indélicatesses tant de gros mélodrames ; ce sont d’excellentes gens, aimant à rire, aimant à boire, aimant à chanter, et leur discussion n’est qu’une série de folies plus extravagantes les unes que les autres. Et quand la marche de l’action exige absolument que ces aimables conseillers condamnent à mort le grand amiral Cornarini, ils rédigent et rendent leur arrêt d’une manière tellement étrange, que la salle entière en crève de rire. Quant au grand amiral, il se jette, à l’occasion de sa mort prochaine, dans des réflexions philosophiques qui amènent une nouvelle explosion d’hilarité.
Le quatrième tableau c’est le carnaval de Venise. Des cris, des chants, des danses, des masques, Pierrot, Arlequin, Colombine et tous les personnages des la comédie italienne. C’est, dans un décor merveilleux, tout le mouvement et toute la gaieté imaginables. Au milieu des réjouissances publiques, la lutte entre le traître Malatromba et l’honnête Cornarino se termine par une joute sur l’eau. La vertu l’emporte dans cette épreuve nautique, le crime est puni ; des feux de Bengale éclairent le théâtre, et tel est le cadre excellent, musical, plein d’entrain, d’originalité et d’esprit, que MM. Hector Crémieux et Ludovic Halévy ont donné à M. Offenbach.
Le compositeur a fait merveille ; il faudrait, pour être juste, citer tous les morceaux de sa partition. Indiquons au moins les principaux.
Au premier tableau, le quintette des barcarolles, qui confond dans un même ensemble quatre romances différentes, romances qui sont chantées chacun séparément. L’une d’entre elles surtout :
Catarina, je chante
est un bijou, et sera bientôt aussi populaire que la chanson de Fortunio.
Après ce quintette vient la complainte de l’amiral Cornarini, qui est bissée tous les soirs, et dont rien n’égale la vivacité et la gaieté.
Au deuxième tableau, quatre morceaux : quatre grands effets. Le quatuor des poignards, d’abord, dans lequel des bravi s’assassinent sur le motif de polka le plus gai et le plus vif ; la romance du rêve, qui est d’une grâce charmante ; le boléro sur le mariage du doge et de l’Adriatique, et enfin le finale, qui est une page de belle et bonne musique bouffe ; le chœur
Pleurons en somme
Le podestat
est une adorable fantaisie musicale.
La musique tient moins de place dans le troisième tableau. Il y a cependant trois très-jolis morceaux à citer : la ronde des gondoliers :
Vole, vole, vole
Ma gondole.
la barcarolle chantée avec tant de sentiments par Mlle Pfotzer, et le duo des aventuriers, dit avec un brio charmant par Mmes Tautin et Tostée.
Au quatrième tableau, la musique reprend toute son importance. Il renferme une introduction pleine de mouvement et qui encadre de très-jolis couplets sur les personnages classiques de la comédie italienne ; le défi, chanté par l’écuyer Baptiste (M. Bache habillé en Pierrot et faisant son entrée en âne !), des airs de ballet tels qu’Offenbach sait les écrire, et enfin les variations pour quatre voix de femmes. Ce dernier morceau est une merveille. LE thème est chanté par Mmes Tautin et Pfotzer ; chacune d’elles ensuite le brode d’adorables variations, et quand les quatre voix combinées reprennent le motif, il y a un effet d’une harmonie et d’une douceur incomparable.
En somme, à notre avis, c’est la partition la plus complète de J. Offenbach, et la popularité de l’ouvrage nouveau est assurée. Depuis deux ans, on ne danse que sur les airs d’Orphée aux enfers ; on ne voudra plus danser, l’hiver prochain, que sur les airs du Pont des soupirs.
L’exécution est parfaite. Mlle Tautin doit être citée en première ligne ; elle a eu un double succès de comédienne et de chanteuse ; elle joue avec un esprit et un entrain du diable toute sa scène dramatique du deuxième tableau ; elle chante tout son rôle en véritable artiste. Mlle Pfotzer a retrouvé dans deux morceaux son succès de la chanson de Fortunio. C’est toujours cette voix cristalline et cette expression sympathique qui du premier jour ont gagné à la charmante enfant les applaudissements du public.
Mlle Tostée joue avec talent le rôle du page Amoroso qui, pendant l’absence de l’amiral, a prodigué à madame l’amirale les consolations de rigueur.
MM. Désiré et Bache sont parfaits dans leurs rôles de Cornarino et de Baptiste. Ils ne vont jamais l’un sans l’autre, et il faut les voir se glissant le long des murs, entrant par des trappes, le petit gros et le grand maigre, comme on les appelle dans la pièce.
Deux artistes peu connus se sont révélés, dans le Pont des soupirs, de la manière la plus heureuse ; ce sont MM. Potel et Tacova. LE premier a joué le rôle du perfide Malatromba avec une conviction qui était excessivement plaisante, au milieu de toutes ces folies ; il a en outre une charmante voix de ténor et il chante avec beaucoup de goût, ce qui ne gâte jamais rien. Le second rôle a été excellent dans le chef des Dix. Il dirige la discussion sans savoir jamais ce qui se dit et ce qui se passe autour de lui. De là de perpétuelles discussions et les facéties les plus comiques, débitées avec un admirable sérieux.
En somme, immense succès, qui remplira la salle des Bouffes-Parisiens jusqu’à la clôture de l’été, et qui reprendra aussi grand l’hiver prochain, à la réouverture.
Marie ESCUDIER.
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Le Pont des soupirs
Jacques OFFENBACH
/Hector CRÉMIEUX Ludovic HALÉVY
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data di pubblicazione : 21/09/23