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Musique. Carmen

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MUSIQUE
Opéra-Comique. – Carmen, opéra-comique en quatre actes, de MM. Meilhac et Halévy, musique de M. Bizet. 

Lorsque Djamileh eut terminé sa courte carrière, M. Bizet répondit à un de ses amis qui lui reprochait de s’être trop incliné devant Wagner : « J’ai écrit ma partition pour les vingt personnes qui, à Paris, sont capables de la comprendre. »

Je constate avec plaisir le changement qui paraît s’être opéré dans l’esprit de ce compositeur, qui a fait de visibles efforts pour que sa Carmen fût comprise par d’autres que par les vingt juges dont il accepte la décision. Il n’y a cependant réussi qu’en partie, car M. Bizet appartient à l’école du civet sans lièvre ; il remplace par un talent énorme et une érudition complète la sève mélodique qui coulait à flot de la plume des Auber, des Adam, des Hérold et des Boïeldieu.

Disons cependant, pour être juste, que, étant donnée la pénurie de chanteurs dont nous souffrons, il n’est pas étonnant de voir nos jeunes compositeurs sacrifier ainsi l’intérêt vocal aux effets d’orchestre.

Et c’est peut-être à cette cause qu’il faut attribuer les tendances malheureuses à M. Bizet, comme beaucoup de ses confrères, à mettre le chant dans l’orchestre et l’accompagnement dans les voix. Si les voix sont en décadence, les instruments sont en progrès ; et le théâtre, pour beaucoup de symphonistes, devient un pis-aller dont ils se servent, parce que le public a l’habitude d’y aller et qu’on y joue tous les soirs.

Espérons pourtant que l’expérience d’hier démontrera à M. Bizet l’inanité de ses tendances nébuleuses et la nécessité de sacrifier davantage à la mélodie, que le public aime par-dessus tout. Chaque fois, en effet, qu’un motif se détachait, fringant et rythmé, du nuage harmonique qui obscurcit la partition, il était applaudi avec ardeur ; et c’est le morceau qui se rapproche le moins de la manière ordinaire du compositeur, celui qu’il doit considérer comme le moins réussi, l’air du Toréador, chanté par M. Bouhy, qui a obtenu le plus de succès.

De même pour les séguidillas, les boléros, et tous les airs à castagnettes, dont il s’est montré peu chiche ; on les a accueillis un peu en vieilles connaissances, et on les a salués sympathiquement ; mais dès que le chant se perdait dans le vague où se complaisent les musiciens de l’avenir, l’attention fatiguée cherchait ailleurs des distractions et laissait le compositeur continuer tout seul sa route dans les brouillards.

Le sujet de libretto était de nature cependant à fournir au musicien tous les développements possibles, car il y a de tout dans cette nouvelle de Mérimée, arrangée pour la scène par MM. Meilhac et Halévy : du pittoresque, de la gaieté, de l’amour et du drame.

La cigarera de Séville est un type comme la manola de Madrid ; il faut la voir le dimanche ou le jour de la course aux taureaux, avec sa basquine frangée d’immenses volants, ses manches garnies de boutons de jais, et le puro dont elle aspire la fumée et qu’elle passe de temps en temps à son galant.

Théophile Gautier, qu’il faut toujours lire quand il s’agit de l’Espagne, car il est un des rares écrivains qui l’aient vue, raconte ainsi sa visite à la manufacture des tabacs :

« L’on nous conduisit aux ateliers où se roulent les cigares en feuilles. Cinq à six cents femmes sont employées à leur préparation. Quand nous entrâmes dans leur salle, nous fûmes accueillis par un ouragan de bruit. Elles parlaient, chantaient et se disputaient toutes à la fois. Je n’ai jamais entendu un vacarme pareil. Elles étaient jeunes, pour la plupart, et il y en avait de fort jolies. Le négligé de leur toilette permettait d’apprécier leurs charmes en liberté. Quelques-unes portaient résolument, à l’angle de leur bouche, un bout de cigare, avec l’aplomb d’un officier de hussards ; d’autres – Muse, viens à mon aide ! — d’autres chiquaient comme de vieux matelots ! »

Eh bien, c’est une cigarera qui est l’héroïne de la pièce. Non pas une cigarera adoucie à l’eau de rose ; au contraire, c’est une cigarera compliquée d’une bohémienne et d’une fille. Quel autre nom donner, en effet, à cette Carmen qui se bat à coups de couteau avec ses camarades, promet son amour au premier soldat venu qui la délivre et l’empêche d’aller en prison – Lazare est-il un saint espagnol ? – séduit les douaniers pendant que ses amis les contrebandiers passent la frontière, et fait en un mot tout ce qui concerne son état de gourgandine ?

Le tout est enjolivé de tra deri dera, de ronflements de guitare et de cliquetis de castagnettes ; mais les situations sont si crûment accusées, que ce serait aller contre le désir des auteurs en cherchant même à les atténuer.

Donc, nous sommes à Séville au lever du rideau, et la tour de la Giralda s’enfonce au loin comme un mât ciselé dans le ciel bleu. La zingara Carmen se fait mettre au poste pour avoir historié à coups de navaja le visage d’une de ses compagnes ; mais comme elle a l’œil noir et provoquant, comme elle se balance effrontément sur ses hanches, comme elle promet carrément ses faveurs au brigadier chargé de la garder, le pauvre troupier perd la tête et se fait condamner à un mois de prison et à la perte de ses galons pour avoir favorisé la fuite de sa prisonnière.

C’est Mme Galli-Marié qui représente Carmen : il faut la voir s’avancer, une fleur de grenadier à la lèvre, jetant à droite et à gauche l’effronterie de ses regards lascifs et passer devant le corps de garde d’où s’élancent vers elle les cœurs des dragons enamourés.

Ces choses ne se passent pas autrement en France, dans toutes les villes de garnison. Carmen, du reste, ne cherche pas à nous en faire accroire, et dans une chanson qui est d’un rythme étrange et assez original, elle déclare formellement son intention de prodiguer à tout venant les trésors de sa banale tendresse. Le brigadier José, qui a laissé une fiancée au fond de la Navarre, se promet bien de rester insensible aux charmes de la bohémienne ; mais Carmen bientôt joue du couteau, elle se fait arrêter et elle abuse de sa puissance fascinatrice sur le malheureux dragon pour obtenir de lui sa mise en liberté.

Il y a dans cet acte d’une allure vive, plusieurs airs qui ont produit un bon effet ; j’en excepte cependant un duo entre José et Micaëla, sa fiancée, qui m’a paru absolument insignifiant.

Nous voici maintenant dans le patio d’une posada dont toutes les fenêtres flambent joyeusement et qui retentit du bruit des chansons et des guitares. Cette cour intérieure, éclairée d’un côté par les reflets pâles de la lune et de l’autre par les rouges lueurs des lanternes suspendues, produit un effet superbe. Tout autour circule un balcon curieusement ouvragé, et à travers les aloès et les lauriers-roses, plantés en pleine terre, dansent et se tordent les bohémiennes aux costumes éclatants, pour la plus grande joie des officiers en goguette. C’est dans cette édifiante société que nous retrouvons Carmen. Elle est bientôt rejointe par le brigadier José, qui a terminé son mois de prison et qui oublie l’heure de la retraite sous les baisers de flamme que lui prodigue sa nouvelle maîtresse.

Bien plus, il fait à lui tout seul un pronunciamiento, il foule aux pieds son drapeau – en Espagne, ces choses-là ne tirent pas à conséquence – et il devient contrebandier, voleur de grande route même ; au besoin, pour les beaux yeux de Carmen.

Peu de choses à citer, au point de vue musical, dans cet acte charmant de couleur locale, mais quelque peu excessif de détails croustillants, – si ce n’est le grand air du Toréador, que j’ai déjà mentionné et que M. Bouhy a chanté de manière à se le faire redemander.

Ici MM. Meilhac et Halévy se sont souvenus qu’ils étaient les auteurs des Brigands, et ils ont transporté à l’Opéra-Comique le premier acte de cette opérette. Nous retrouverons là José dans l’exercice de ses fonctions. C’est en vain que Micaëla vient le supplier de renoncer à son genre de vie : l’ancien dragon, qui, par précaution, sans doute, s’est arrangé une tête très ressemblante de forçat veut à toute force continuer à se rendre insupportable à Carmen. Celle-ci en a eu bientôt assez de cet amant qui se donne le ridicule d’être jaloux et l’empêche d’essayer sur les douaniers le pouvoir de ses charmes. En outre, elle a un caprice pour le toréador Escamillo et elle n’est pas fille à ne point satisfaire sa fantaisie.

En conséquence, abandonnant le fâcheux qui l’obsède, elle s’empresse de suivre le beau matador, et c’est à la porte de la plaza de Toros que nous voyons se dénouer cette intrigue au moins hardie.

Les majos et les manolas se pressent à l’arrivée de la quadrilla. Ce sont d’abord les chulos, leur manfero coquettement posée sur l’oreille ; puis les banderillos, avec leurs rubans de toutes couleurs ; et, enfin les picadores, au costume sombre, à la lance en l’air, et, précédant l’espada, magnifiquement vêtu de rouge.

Le défilé se termine par l’ayuntamiento (la municipalité) composé de l’alcade et de ses acolytes, que les muchachos s’amusent à couvrir de pelures d’oranges et de hudes.

La gitana accompagne son bien-aimé de fraîche date, elle veut assister au triomphe qui l’attend ; mais, caché dans la foule, José ne la perd pas des yeux, et lorsqu’à son tour Carmen veut pénétrer dans le cirque, il l’arrête, et la supplie de revenir à lui. Malheureusement le cœur de Carmen est fermé à jamais pour le misérable, qui, à bout de patience, fou de douleur et de jalousie, lui enfonce jusqu’à la garde son poignard dans la poitrine.

La zingara tombe baignée dans son sang, et Escamillo ne trouve plus qu’un cadavre en sortant de l’arène, où il vient d’expédier quelques taureaux en l’honneur de sa belle maîtresse.

Telle est en substance l’action, plus séduisante dans un livre que sur la scène, à laquelle MM. Meilhac et ont prêté leur grande expérience. Il ne fallait rien moins que l’autorité de ces deux noms aimés du public pour faire accepter de pareilles situations et de semblables caractères.

C’est un drame absolument sombre, en définitive, que l’histoire navrante de ce soldat qui, séduit par les provocations d’une zingara, oublie, pour la suivre, son devoir, sa fiancée, sa mère, et qui devient fatalement voleur et assassin. À l’Ambigu, on trouverait cela peut-être un peu fade ; mais à l’Opéra – Comique !

Les spectateurs de la première représentation, malgré leurs ardentes sympathies pour les auteurs, étaient donc légèrement dépaysés, et les applaudissements qu’ils ont accordés à l’œuvre se ressentaient d’une indécision bien naturelle.

Le succès de la soirée a été sans contredit pour M. Bouhy, qui, bien partagé d’ailleurs, s’est fait chaleureusement applaudir et rappeler.

M. Lhérie a la voix bien dure dans les moments de tendresse ; en revanche, il faiblit aux endroits qui exigent de la puissance et de la force. Le rôle de José est au-dessus des moyens de cet artiste, que nous avons apprécié dans d’autres ouvrages.

J’ai déjà parlé de Mme Galli-Marié, qui semble prendre plaisir à accentuer les côtés scabreux de son rôle si dangereux. Pour ceux qui aiment la note égrillarde, cette création lui fera honneur, car il est difficile d’aller plus loin sur la route des amours cavalières sans provoquer l’intervention des sergents de ville.

Mlle Chapuy est en possession du seul rôle sympathique de la pièce : elle y montre de la bonne volonté et une certaine habileté ; mais sa voix manque d’éclat et ne porte pas comme elle le devrait. Son air de troisième acte, un des mieux inspirés de la partition, lui a cependant valu des bravos dont le musicien doit prendre la meilleure part.

Maintenant, si la pièce et la partition excitent quelques critiques, il faut reconnaître que M. Du Locle s’est surpassé pour la mise en scène et les costumes, qui sont d’une richesse exquise et d’un goût parfait.

En résumé, livret étrange, musique honorable, interprétation suffisante, telle est l’impression que m’a laissée ce nouvel ouvrage, autour duquel on avait fait trop de bruit.

François Oswald

Persone correlate

Compositore, Pianista

Georges BIZET

(1838 - 1875)

Opere correlate

Carmen

Georges BIZET

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Henri MEILHAC Ludovic HALÉVY

Permalink

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data di pubblicazione : 26/09/23