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Le Chacal

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LE CHACAL

— Ah ! monsieur Pompon. Entrez donc ! J’aurais parié que j’allais avoir votre visite aujourd’hui dans mon magasin.

— Et vous auriez gagné, madame Manchaballe. Vous devez, en effet, savoir un tas de choses sur Thaïs, puisque Rebecca fait partie du divertissement de la Tentation.

— Parfaitement, même que ça nous coûte une paire de chevaux, ce divertissement, et tout cela à cause du cri du chacal.

— Ma digne amie, je vous pratique depuis longtemps, et j’ai pris, j’ose le dire, l’habitude de vous comprendre assez vite, malgré les écarts très fantaisistes de votre éloquence. Mais, sapristi ! qu’est-ce que c’est que ces chevaux et ce chacal ?? Expliquez-vous.

— Eh bien, Rebecca avait lu aux petites annonces : Départ, grande occasion. À vendre, très jolie paire de chevaux alezan brûlé (1 m. 60), (papiers). S’adresser, 15, avenue de Messine, cocher Léon. Ma fille a un faible pour les blonds et pour les chevaux alezans ; de plus, voilà le printemps qui s’avance, et c’est le moment de se remonter. Précisément, notre petit hussard des Esbroufettes était venu de Rouen en permission de quatre jours. Rebecca le prend par le bras, et les voilà partis tous deux avenue de Messine. À la vue des deux alezans, des Esbroufettes, qui s’y connaît, s’exclame : « — Superbes ! de la branche, du bouquet, du cerceau, de l’air sous le ventre !… « que sais-je ! « Combien ? — Cinq mille francs. — C’est donné ! » s’écrie le lieutenant. (Pour ce que ça lui coûtait, vous comprenez…)… « Ma chère, il faut te faire offrir cela par Palingridaine, et tu seras la femme la mieux attelée du Bois. » Cela tombe bien, dis-je à Rebecca : précisément, le marquis vient dimanche soir, après la répétition de Thaïs : à ta place, je lui demanderais cela, la tête sur l’oreiller, entre minuit et demie et une heure moins le quart. Ce sera le bon moment. « Bravo ! maman, tu as raison, riposte ma cadette dans une effusion de joie filiale. J’aurai mes alezans brûlé. »

— Mais le chacal ? Je ne vois pas le chacal.

— Attendez donc, monsieur Pompon. Vous voulez toujours voir trop vite. Donc, dimanche soir, la répétition commence à huit heures et demie. Il y avait là M. Massenet, M. Bertrand, et M. Gailhard dans le trou du souffleur. Il faut vous dire que Thaïs, c’est un peu le sujet d’Izeyl, avec plus de danse, plus de musique et une courtisane plus potelée. Au premier acte, après une première apparition de Thaïs dans un songe, une place publique de la ville de Thèbes, Alvarez, un joyeux viveur, annonce à ses amis qu’il va donner une grande fête où Thaïs, la célèbre courtisane, exécutera ses danses les plus voluptueuses. Bon. Au deuxième acte, nous sommes devant la maison de Thaïs. Elle rencontre Delmas et lui demande ce qu’il vient faire en ces parages. « Convertir votre âme ! » répond Delmas. « Elle est bien bonne ! » répond en musique Thaïs (Sanderson). Jolie, oh ! jolie comme on ne l’est pas, avec ses épaules à fossettes et son rire d’enfant. Et, entr’ouvrant un moment son manteau, elle dévoile ses formes impeccables à Delmas, qui détourne la tête… Mais les abonnés regardent, eux, je vous en réponds. Au troisième acte, nous sommes dans la chambre de Thaïs, et, sur une petite colonne, il y a une statuette représentant Vénus. Alors Sanderson fait une invocation à la déesse. Elle l’adjure de la laisser toujours belle, de ne jamais flétrir les roses de sa bouche, ni l’or de ses cheveux, ni rien, enfin. C’est ravissant.

— Allez, allez, madame Manchaballe, je me suspens à vos lèvres.

— Monsieur Pompon, avouez que ça ne vous ferait aucun plaisir.

— Parce que vous n’avez sans doute pas adjuré à temps la blonde déesse. Mais c’est une figure : je veux dire que je bois vos paroles.

— Je me disais aussi. J’avais eu comme un moment de fol orgueil. Mais revenons à Thaïs. Delmas entre, et, avec des grands bras et des mains levées vers le ciel, sans se laisser séduire par la joliesse de la courtisane, il la terrorise — oui, monsieur — il la terrorise en lui chantant tout ce qui l’attend plus tard si elle ne revient pas à Dieu. Un moment, Thaïs se laisse convaincre et tombe à genoux ; mais les joyeux viveurs l’appellent du dehors. Elle entend leur voix et elle s’écrie :

« — Je suis Thaïs, la courtisane, et je te chasse d’ici. »

Si elle avait une mère, c’est elle qui se chargerait de la besogne ; mais, comme elle n’en a pas, Delmas répond :

« — Je resterai la nuit entière au seuil de ton palais et je t’attendrai. »

Ah ! monsieur Pompon, si j’avais été là, ce que je lui aurais dit : « Houste ! »

— Ce ne serait pas mal du tout de voir madame Manchaballe mère à la scène : il y aurait là un joli rôle pour M. Pluque, en travesti.

— Vous trouvez que M. Pluque me ressemble ! Allons donc ! Il a bien plus de moustaches que moi.

Au second tableau, on revient devant la maison de Thaïs, où Delmas, couché sur le seuil, attend. Sanderson sort et lui déclare qu’elle est prête à se rendre dans un monastère où elle se purifiera. Au moment où ils vont partir, les fêtards font irruption et barrent le passage ; mais la courtisane supplie tant et tant Alvarez que celui-ci cède et jette de l’or au peuple pour lui livrer passage. C’est alors que nous arrivons à la Thébaïde, c’est-à-dire à l’histoire du chacal.

— Ah ! ah ! voilà qui est intéressant.

— Eh bien, monsieur Pompon, dans cette Thébaïde, il paraît qu’on doit entendre le cri du chacal, et ce n’est pas commode, allez ! Depuis une semaine, on envoie les choristes au Jardin des plantes, dans l’après-midi, avec de grosses trompes. Ils se placent, avec leur instrument, devant la cage et, quand le chacal crie, ils essayent de faire « la même chose que lui ». Les premiers jours, ça n’allait pas du tout. D’abord, il y avait toute la bande des basses qui s’étaient trompés de jardin et qui, sous la direction de M. Colleuille, avaient été au Jardin d’acclimatation, et, là, ils n’avaient trouvé à imiter que le phoque ! M. Colleuille s’agitait en disant : « Papa ! Papa ! » Pas chacal pour deux sous, M. Colleuille ! Quant aux barytons du Jardin des plantes, ils soufflaient, paraît-il, trop fort et donnaient l’impression de chacals monstres. Alors on envoya des femmes pour obtenir des sons plus aigus, plus filés, et, pendant toute la journée de samedi, à la grande joie des badauds, mais à la grande terreur des fauves, le Jardin des plantes retentit des efforts de ces malheureux choristes, hommes et femmes, s’époumonant à rendre le cri du chacal. Déjà, pour Izeyl, vous avez, je m’en souviens, raconté l’histoire de Sarah Bernhardt imitant le cri du perroquet auquel le singe arrachait les plumes. Mais ça, c’était relativement facile.

Bref, dimanche soir, l’heure avançait, et l’on était en pleine Thébaïde. Les trompes retentissent dans la coulisse, et M. Massenet, très nerveux, s’écrie :

« — Ce n’est pas encore ça ! »

Même Gailhard sort du trou du souffleur et demande :

« — Bertrand, reconnaissez-vous le cri du chacal ? »

Et M. Bertrand se récuse d’un geste vague, avec l’air résigné d’un homme qui voit qu’il est une heure du matin et qu’il a encore tout le ballet et la mort de Thaïs à avaler avant de regagner le boulevard Pereire.

On recommence dix fois, vingt fois ce coup de trompe, et enfin, devant la lassitude générale, M. Massenet finit par se déclarer à peu près content. Pendant ce temps, Rebecca s’énervait en pensant : « Qu’est-ce que va dire le marquis de Palangridaine, qui m’attend à la maison ? Qu’est-ce qu’il va dire ? » Moi, je me suis proposée pour aller le faire patienter ; mais ma fille m’a dit que ça l’exaspérerait encore davantage. Alors je n’ai pas insisté, et ça m’a permis de voir le ballet de la Tentation. Delmas, endormi, a une vision : Des jardins à perte de vue, avec des guirlandes de roses formant arceaux, rattachées entre elles par de grandes voiles de gaze noire transparente voilant légèrement les roses. Six grands sphynx, occupant toute la hauteur du théâtre, forment un cercle colossal. Alors les esprits de la nuit arrivent et montrent à Delmas, endormi, des nymphes couchées dans des roses. Il se débat, il veut fuir : mais de grandes lames de tulle simulant les flots lui barrent la route, et de ces flots surgissent les tritons et les sirènes, jusqu’au moment où Mauri arrive pour représenter la Tentation, avec Rebecca à la tête des sphynges. On croyait toujours que ce pauvre M. Hansen prononçait mal et qu’il disait sphynges au lieu de sphynx, et l’on riait. Alors, un beau soir il a dit à Rebecca :

« — Mademoiselle, je vous prie de croire que je sais mon français aussi bien que vous. Vous êtes une sphynge.

« — Et vous un singe, a riposté ma fille. »

M. Hansen, toujours courtois, n’a pas entendu…

— Mais, sapristi ! madame Manchaballe, continuez donc le ballet !

— Eh bien voilà. Ça rappelle Robert le Diable et la Tentation de saint Antoine, avec le cochon en moins… et le chacal en plus. Delmas faiblit, mais il appelle Dieu à son aide ; son étoile apparaît, lumineuse. Cependant, la bacchanale continue, effrénée, des flammes sortent de terre ; il va succomber quand, au fond, une apparition vient à son aide. Un cri formidable s’élève : « Thaïs ! » Et tous les esprits disparaissent, et la vision s’évanouit.

Au cinquième acte, Thaïs meurt au monastère. Mais je n’ai pas vu ça, car je me dépêchais de déshabiller bien vite Rebecca, exaspérée — il était deux heures du matin — pour qu’elle pût rejoindre en hâte le marquis de Palangridaine.

Hélas ! de guerre lasse, celui-ci s’était endormi ! En vain, ma fille a fait tout ce qu’il fallait pour le réveiller — et elle s’y connaît, la mâtine ! — le marquis ne répondait que par des grognements sourds : gnron ! gnron ! gnron ! et il se retournait dans la ruelle. Elle n’a rien pu en tirer, et, évidemment, dans ces conditions-là, il a été impossible d’aborder la question des alezans brûlé.

— Eh bien, madame Manchaballe, le matin, le lendemain matin ?…

— Le lendemain matin, ma fille dormait, éreintée par sa répétition. Et puis, quand même, cela n’aurait servi à rien, parce que, le matin, Palangridaine n’a pas le réveil gracieux. Et, hier, le cocher Léon nous a fait dire que l’attelage était vendu. Une occasion superbe, comme disait le petit des Esbrouffettes. Voilà, monsieur Pompon, comment nous avons perdu une paire de chevaux à cause du chacal. Avouez que c’est du guignon.

— Bah ! Rebecca reprendra cette conversation hippique sur l’oreiller, un de ces soirs. Sans adieu, madame Manchaballe.

POMPON

Persone correlate

Compositore, Pianista

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

Opere correlate

Thaïs

Jules MASSENET

/

Louis GALLET

Permalink

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data di pubblicazione : 31/10/23