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Indiscrétions théâtrales. Avant Thaïs

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INDISCRÉTIONS THÉÂTRALES
OPÉRA
AVANT THAÏS

Il n’y a pas moins de trois ans — plus peut-être même — que nous est apparue cette délicieuse Thaïs, où M. Anatole France a enchâssé les plus jolies perles de son écrin d’érudit ironiste. On le sait, à cet égard, M. Anatole France procède directement de Renan, comme M. Jules Lemaître en descend, lui, au point de vue de la critique philosophique. Ainsi le grand exégète revit par moitié en chacun de ces remarquables écrivains, et, ma foi, comme on dit, les morceaux en sont bons.

Or la publication de Thaïs fut saluée, on le devine, par le ban et l’arrière-ban de la critique littéraire. La chronique s’en mêla à son tour, et M. Paul Desjardins, notamment, écrivit un article élogieux, dithyrambique, où il concluait en exprimant l’idée que Thaïs était digne d’inspirer un musicien, « Massenet », par exemple. « Mais, ajoutait M. Desjardins, Massenet travaille, et nous n’avons pas deux Massenet. »

L’article tomba sous les yeux de madame Massenet. Charmante femme, de grand sens, de tact exquis, de pensées délicates, madame Massenet fut frappée de l’allusion qui était faite à son mari. « Tiens, lui dit-elle en lui montrant l’agréable paragraphe, lis comment tes amis inconnus parlent de toi. »

Il lut, et il prit à cette lecture, en même temps qu’un rare plaisir, le désir de connaître l’ouvrage cause première de tout cela. Et, quand il connut Thaïs, il s’en éprit vivement tout d’un coup et décida qu’il mettrait en musique ce poème si exquis.

Et voilà que, précisément, M. Louis Gallet lui arriva, un beau jour, chez M. Heugel, son éditeur, avec tout un plan arrêté. Quel plan ? Celui d’une Thaïs inspirée de celle d’Anatole France. « Thaïs ! vous aussi ! s’écria le compositeur. Allons ! ils se sont tous entendus pour me forcer à succomber ! Eh bien, c’est convenu, je vais écrire Thaïs ; mais, seulement, je voudrais bien qu’on me conservât le plus possible la prose d’Anatole France. Elle est si musicale ! »

À cela M. Gallet n’avait rien à répondre. Il voyait, au contraire, un intérêt véritable à se conformer aux désirs du musicien. Celui-ci se trouvait inspiré par la prose de l’écrivain ? On lui fournirait un poème en prose. Toutefois, pas en prose quelconque, mais en une prose spéciale, rythmée, coupée à peu près à la manière des vers, sonore, où il n’y aurait pas d’hiatus, une prose que M. Louis Gallet appelle poésie mélique et qui est à peu près identique à celle de Marmontel dans les Incas. Comme on le voit, l’innovation a ses précédents.

Une fois en possession de son poème, M. J. Massenet se mit sur le champ au travail. Mais il lui fallait mener de front la composition et les voyages nécessités par les représentations de ses autres œuvres en province et à l’étranger.

Car, il n’y a pas à dire, M. Massenet est vraiment joué partout, ou peu s’en faut. Quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, son nom est universellement connu à présent, et chacune de ses partitions est étudiée dans tous les coins civilisés du monde, et aussi commentée, discutée et adoptée. À qui la faute ?

Donc, l’excellent artiste a composé Thaïs par monts et par vaux, y travaillant aussi bien dans son cabinet que dans des chambres d’auberge, depuis Paris jusqu’à Vienne. Il y a même des hôtels, là-bas, là-bas, où il a conservé un tel incognito qu’aujourd’hui encore les patrons ne se doutent nullement d’avoir eu ce célèbre musicien pour pensionnaire. Ils ignorent même qu’il soit musicien.

Un jour, un ami intime passe en un hôtel où il savait pertinemment que M. Massenet s’était arrêté ; il demande quelques renseignements sur le compositeur. « Quel compositeur ? – Celui que vous avez eu comme pensionnaire. – Nous n’avons jamais eu de musicien ici, monsieur. La maison est une maison sérieuse. — Cependant… » Interloqué, le questionneur fait le portrait de M. J. Massenet. « Oui, oui, très bien : je vois de qui vous parlez. Mais ce ne peut être un musicien. Il est parti d’ici parce qu’on jouait du piano dans la pièce voisine de sa chambre à coucher, et il n’a jamais voulu se mettre à la même table que sa voisine, celle qui tapotait l’Air suisse ou la petite valse des commençants pendant qu’il cherchait la phrase d’amour de Thaïs ou la vision d’Athanaël. Elle jouait si mal du piano que le maître craignait qu’elle ne mangeât pas mieux… Et alors, vous voyez cela d’ici ? »

D’ailleurs, jamais lui-même n’a employé de piano pour composer. Là-bas, dans ses voyages, pendant qu’il écrivait Thaïs, on remarquait qu’il marchait beaucoup, ne s’arrêtait ni devant les fossés ni devant les fondrières, et on l’avait pris pour un arpenteur !

Bref, il a écrit Thaïs en dix-huit à vingt mois, pendant qu’il faisait répéter çà et là sa délicieuse Manon, son pathétique, son poignant Werther, et, même, il s’est interrompu d’orchestrer Thaïs pour écrire une fougueuse Navarraise, un acte plein de passion fiévreuse que mademoiselle Emma Calvé va lui créer à Londres dans le courant de la saison.

Les répétitions de Thaïs ont commencé le 1er novembre dernier, et, sans l’incendie du magasin de décors de la rue Richer, il y aurait déjà au moins trois semaines que le public applaudirait le nouvel ouvrage du maître français et, en même temps, MM. Alvarez, Delmas, qui a appris son rôle avec l’auteur, et miss Sybil Sanderson, dont on dit merveille dans sa nouvelle incarnation.

Bah ! Thaïs pouvait bien attendre trois semaines ! C’est une prêtresse d’amour, et c’est le musicien de l’amour qui la présente au peuple le plus amoureux de la terre ! Elle sera aimée !

THÉODORE MASSIAC

Persone correlate

Letterato

Théodore MASSIAC

(1851 - 1914)

Compositore, Pianista

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

Opere correlate

Thaïs

Jules MASSENET

/

Louis GALLET

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data di pubblicazione : 31/10/23