Académie royale de musique. Le Vaisseau fantôme
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE
Le Vaisseau fantôme, opéra en deux actes de M. Paul Foucher, musique de M. Dietsch.
[résumé de l’intrigue]
Cette légende présentait sans doute pour un opéra des chances de succès ; les situations en sont musicales ; je crois seulement qu’on ne s’est pas assez préoccupé du soin d’en varier le ton et la couleur. C’est trop constamment triste. À l’exception du marchand écossais (ou shetlandais, on a transporté l’action dans une des îles Shetland), à l’exception, dis-je, du vieux marchand père de Mina (c’est le nouveau nom de la femme fidèle), tout le monde souffre, tout le monde se plaint, tout le monde est triste. Mina est triste avant d’avoir vu le capitaine, elle est plus triste encore après qu’elle l’a vu. Celui-ci est triste tant qu’il n’aime pas Mina, sa tristesse redouble dès qu’il est sur de l’aimer et d’en être aimé. Un jeune Shetlandais, Magnus, à qui la main de Mina était promise avant l’arrivée du Vaisseau-Fantôme, n’a pas lieu de se réjouir, puisque sa maitresse s’abandonne pour un vagabond. Magnus devient même si triste qu’il se fait moine ; et le public s’attriste alors par contre-coup de toujours voir maintenant sur la scène de l’Opéra cagoules et capuchons, et sandales et bourdons, et moines et moinillons. Il ne songe pas ; ce triste public, qu’il n’a pas plus moyen, dans la mise en scène des opéras tirés de l’histoire du moyen-âge, d’éviter la gent monacale, qu’il n’y avait de possibilité autrefois, quand la tragédie lyrique occupait seule la scène, de ne pas retrouver les temples de Diane, ou de Jupiter, ou d’Apollon, ou de Vesta, et leurs éternels grands-prêtres, et leurs vieilles jeunes prêtresses. Il est vrai seulement que sous le rapport de la beauté, l’avantage est resté aux temples et aux costumes antiques.
Cette tristesse constante répandue sur toute l’action du drame devait étendre nécessairement un coloris sombre et peu varié sur la partition ; à moins de suivre l’exemple donné par quelques grands maîtres, et qui consiste à ne tenir aucun compte des paroles, ni de la situation, ni du caractère des personnages, et à faire de la musique riante et gaie en dépit de toutes les exigences scéniques, lorsque le besoin de changer de style se fait sentir ; à moins de supposer qu’il est, dans certains cas, plus agréable au public de voir danser le sacré collège que de le voir siéger gravement, et qu’un auditoire intelligent peut écouter un chœur d’anges chantant comme une troupe de petits polissons. Cette supposition peut être très vraie ; mais en l’adoptant il n’est pas moins vrai aussi qu’on érige en principe le mépris de toutes les convenances dramatiques, le mépris de l’expression, le mépris du bon sens. Faut-il faire un reproche à M. Dietsch de les avoir respectés ? Je ne le crois pas.
L’ouverture du Vaisseau fantôme est un morceau d’orchestre bien écrit et bien instrumenté ; sa forme n’est peut-être pas assez arrêtée ; il vaut toujours mieux je crois, surtout pour les ouvertures de théâtre, adopter un plan plus simple. Celle-ci contient, entre autres choses de mérite, plusieurs effets orageux motivés par le sujet et bien rendus.
Les couplets en chœur de la veillée : « Sur cette terre, aux milites du monde » ont un accent calme et mélancolique tout-à-fait local. J’aime moins la ballade de Mina : « De Satan mobile royaume », la mobilité n’en est ni bien nette ni bien colorée. Cette ballade était d’autant plus difficile à faire que ses strophes sont trop longues. Le compositeur ne réussit bien, en pareil cas, que si les vers sont courts et peu nombreux.
Il y a de la douceur et des accents tendres dans le duo entre Mina et Magnus : « De nos beaux jours d’enfance. »
La prière de la jeune fille pendant l’orage est un de ces morceaux qu’on supporte à peine, s’ils ne sont que convenables et bien écrits ; le public alors veut absolument qu’on le remue ; s’il reste calme, il est furieux.
L’air empanaché de Mme Gras est de ceux, en revanche, qui se font toujours applaudir, lors même qu’ils ne seraient que bien faits, pourvu que la cantatrice les porte la tête haute ; tel est le prestige qu’exerce sur un auditoire français le roulement des notes vocalisées et tant nous aimons en général voir les virtuoses bien danser sur la phrase !
La chanson du vieux Barlow est assez ordinaire ; le refrain surtout
Vive l’enfer ! s’il m’apporte
L’opulence et le bonheur !
pourrait être jeté d’une façon plus vive et plus naturelle. Mais un bon morceau qui seul suffirait à prouver la valeur du talent et de la science musicale de M. Dietch, c’est le double chœur des Shetlandais et des matelots suédois. C’est vigoureux, sonore, dramatique. Les voix d’ailleurs y sont employées avec une grande habileté et une entente parfaite de l’expression de leurs divers timbres ; et la réunion des deux chœurs de caractères différents est ménagée avec art. Ce morceau est très applaudi ; il mériterait de l’être davantage.
La cavatine de Troil, le capitaine maudit, est empreint d’une passion douloureuse qui toucherait davantage, si le morceau était moins développé. On ne saurait, avant de l’avoir éprouvé, croire combien il est difficile de faire écouter au public de l’Opéra un andante de longue haleine. Il semble que l’attention lui soit trop pénible après les huit premières mesures, et qu’à partir du moment où le thème est exposé, entendre les développements de ce thème, quelque beau qu’il soit, devienne pour lui une fatigue intolérable. Le final cependant contient un adagio qui se fait écouter et applaudir ; l’effet en est pompeux, il offre beaucoup d’analogie par sa forme avec quelques uns des meilleurs morceaux de ce genre écrits par Donizetti et Bellini dans leurs derniers ouvrages.
Le second acte s’ouvre par un chœur de moines d’un bon caractère, et dont l’instrumentation est bien choisie. Les bassons, avec leur voix terne et un peu pénible dans le haut, y figurent avantageusement. Le basson est l’instrument monacal par excellence.
Le grand air de Troil a le malheur d’être un grand air et malgré tout le mérite de facture qu’on y remarque, et l’accent désespéré et le mouvement rapide qui en animent la péroraison, il produit peu d’effet. À l’inverse, la simple cavatine de Magnus, moine résigné, prêt à unir celle qu’il aime avec son rival, a valu à Marié un véritable succès ; c’est, je crois, le meilleur morceau de la partition.
Il y a dans cette simple mélodie autant de souffrance que de résignation ; la fin surtout :
Sous ma robe de bure
J’ai caché ma blessure,
Vous ne la verrez pas.
est attendrissante à un haut degré.
Après l’anathème lancé par Magnus contre son rival (il est bien difficile, après les anathèmes de la Juive, de réussir à cela maintenant), vient l’appel furieux de Troil :
À moi, mes compagnons !
À moi, spectres ! à moi, démons !
À moi, puissance des abîmes !
Soyons tous frères par les crimes,
Tous déchus des mêmes pardons !
Ceci, à mon sens, manque d’élan. Il n’est pas naturel que le drame place entre chaque vers de son évocation un si long silence ; son désespoir est trop bouillonnant ; il doit aussi mettre moins de pompe et plus de fureur dans le mouvement. D’ailleurs, ces réponses de trombones à l’orchestre rappellent trop, par leur tour de la modulation et par leur gravité, le passage des instruments de cuivre dans Guillaume Tell, répondant à la voix large, mais calme du vieux Melctal :
Pasteurs, que vos accents s’unissent,
Qu’au delà vos troupes retentissent ;
Célébrons tous en ce beau jour
Le travail, l’hymen et l’amour.
La dernière exclamation de Mina :
Sois donc sauvé, Troil, je t’aime
Et t’aimerai jusqu’à la mort !
est au contraire très bien jetée.
Cette production, la première de M. Dietch pour le théâtre, indique un compositeur qui a fait d’excellentes études, qui a soigneusement et longtemps médité les diverses doctrines des maîtres, objets de son admiration, mais qui n’a pas fait encore entre elles de choix bien décidé. Il a le savoir et le pouvoir, il ne lui manque plus que le vouloir.
Canaple, chargé du rôle principal, celui du capitaine Troil, possède une voix sonore et étendue, il peut l’adoucir ; il chante bien la mezza voce, il ne manque pas de sensibilité ; que lui manque-t-il donc ? La confiance, et cette chaleur communicative qui, sans la confiance, ne peut jamais se manifester chez l’artiste même qui en possède le plus.
Marié a eu de bons moments, surtout dans la cavatine dont j’ai parlé plus haut. Il est impossible de dire ce morceau avec plus d’âme et un meilleur style de chant. Il doit prendre garde, dans son anathème, à certaines notes hautes qu’il enfle outre mesure et dont cet excès de force altère la justesse et la pureté.
Mme Gras est toujours radieuse dans ses vocalises quel que soit leur difficulté, elle a mis aussi beaucoup de sensibilité et de chaleur dans les scènes pathétiques malgré la nature de sa voix qui se prête mieux au genre brillant et gracieux.
Encore un éloge qui a été mérité par Ferdinand Prevost, artiste modeste autant que soigneux et zélé, qui dans ces rôles sait toujours tirer parti du peu que les auteurs lui confient.
Quant aux décorations du Vaisseau Fantôme, il faut citer une vue intérieure de la célèbre grotte de Fingal, avec ses colonnades naturelles, ses reflets de la lumière extérieure décomposée par les ondes, sa perspective ouverte sur l’Océan, ses stalactites, etc. Certes, voilà un décor original et d’une rare beauté dont le modèle pose dans l’une des îles Orcades depuis deux ou trois mille ans. On ne l’a pas fait, il est vrai, mais on aurait pu le faire.
[...]
H. Berlioz
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Le Vaisseau fantôme
Pierre-Louis DIETSCH
/Paul FOUCHER Bénédict-Henry REVOIL
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data di pubblicazione : 30/11/23