Les Bayadères de Catel
La 2e représentation des Bayadères a confirmé le succès de cet opéra. L’exécution en a été encore plus satisfaisante ; & Mme Branchu elle-même, qu’on avait si vivement & si justement applaudie, a trouvé le moyen de se surpasser.
Après avoir rendu compte du poème, il est convenable d’indiquer à nos lecteurs les principales beautés de la musique ; voici sur cet objet quelques détails qui nous ont été communiqués par un de nos collaborateurs.
L’ouverture composée de deux motifs principaux, dont l’un peint l’invasion des farouches Marattes, & l’autre l’entrée voluptueuse des Bayadères, offre une opposition de couleurs d’un effet très pittoresque. Cette symphonie est franche, animée, rapide, on voit qu’elle a été écrite d’un seul jet.
Le chœur qui ouvre le 1er acte (pour plaire, enchaînons sur nos traces), & l’air chanté & dansé qui le suit, sont d’une extrême fraicheur ; ils amènent un trio charmant des favorites, morceau remarquable par l’esprit, la grâce, & une coupe facile qui annonce une main très exercée. Le compositeur a senti qu’il ne pouvait donner trop de charme à l’air de l’intendant du harem (Pourquoi cette tristesse), & il a eu le bonheur de l’écriture d’inspiration. La mélodie naturelle en est relevée par des traits de basse du meilleur goût. Les amateurs seront partagés entre cet air délicieux & celui du rajah dans la même scène : Viens, Laméa ! un accompagnement de violoncelles plein d’expression lui donne une teinte de mélancolie & de tendresse, qui est parfaitement analogue à l’intention du poète. L’hymne à Dourga (déesse de la Volupté) imposait au musicien, par son titre seul, une obligation difficile à remplir ; son génie l’a heureusement secondé : rien de plus suave, de plus voluptueux en effet, que cet hymne à trois voix, bien que ces trois voix n’aient pas toujours été parfaitement justes. À ce morceau ravissant en succède bientôt un autre d’une couleur fortement opposée ; c’est ce bel air de mouvement que chante Laméa : Voyez-vous du haut des montagnes ; il est brillant, belliqueux, & empreint de cette force d’enthousiasme qui anime la Bayadère en ce moment.
L’entrée des Marates au 2d acte : Victoire, victoire à nos armes ! annonce dès les premières mesures, qu’un nouveau peuple occupe la scène : ses chants de triomphe ont quelque chose d’âpre & de féroce ; tel est le caractère qui domine dans le bel air d’Olkar, ce guerrier terrible jusque dans sa tendresse. L’oreille n’en est que plus délicieusement flattée de l’air tendre & passionné (Sans détourner les yeux) dans lequel Laméa se promet de sauver son amant. Mme Branchu l’a rendu avec une vérité, une expression réellement admirables.
Nourrit a fait preuve d’un talent non moins distingué dans le duo : Courbé sous le poids du malheur, morceau véhément & pathétique au dernier point. À ces scènes d’une couleur fortement dramatique, succède une foule de tableaux enchanteurs où le poète fait voir ses Bayadères parvenant, à force d’art, à désarmer leurs sauvages vainqueurs : la mélodie véritablement séduisante de leurs chants & de leurs airs de danse, suffirait seule pour expliquer ce prodige.
Le 3eacte rentre un moment dans le domaine de la tragédie : aussi le compositeur a-t-il écrit du style énergique & noble qui lui appartient, le duo Le sort m’en fait la loi, où la passion & le désespoir font entendre des accents si pénétrants & si vrais. Le trio que chantent encore dans cet acte les trois favorites, pour se disputer la main du rajah, est accompagné d’une manière aussi piquante que neuve ; il a fait regretter que des coupures jugées nécessaires à la marche de l’action, aient entraîné la suppression de la contre partie indiquée par le poète, au moment où l’on annonce à ces favorites que le prince étant mort, elles n’ont plus à prétendre qu’au partage de son bûcher. Les amateurs qui ont entendu aux répétitions le délicieux morceau : Pleurez, mais chantez ma victoire, ne pardonneront pas à la main impitoyable qui l’a retranché par le même motif. Heureusement on a bien voulu leur laisser l’air de Laméa : Cher Démaly, pour toi puisqu’il faut que je meure, air sublime, brûlant de toute la chaleur du dévouement qui conduit l’héroïne à la mort.
Nous n’avons pu indiquer dans cet aperçu que les beautés musicales les plus saillantes, celles enfin qui ont été saisies et goûtées par l’universalité des spectateurs. Les gens de l’art, & même les simples amateurs auront remarqué & admireront de plus en plus, dans cette riche partition, avec quel art M. Catel a su y fondre les genres les plus opposés, y prendre tous les tons, sans cesser jamais d’être pur, élégant & noble. Le récitatif, dans tout le cours de l’ouvrage, est d’une vérité & d’une beauté dignes d’une attention particulière. Depuis Gluck, nous ne craignons pas de le dire, on citerait avec peine une production où cette partie si difficile soit traitée avec un soin aussi soutenu. En dernière analyse, les Bayadères prouvent d’une manière victorieuse que M. Catel, reconnu depuis longtemps pour un de nos plus savants harmonistes, sait, non moins heureusement, lorsque ses sujets le comportent, parer son style de tous les charmes de la mélodie, lui donner l’expression la plus spirituelle, & le plier aux formes les plus gracieuses.
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data di pubblicazione : 21/09/23