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Carmen de Bizet

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Cet opéra comique devrait s’appeler L’Amour à la Castagnette, car les principaux incidents s’y produisent aux sons clinquants de cet instrument anti- mélodieux, qui n’est supportable qu’à la condition que l’on en use très modérément. Oh ! la castagnette ! Il me semble depuis que j’ai entendu la musique de Carmen, que mes oreilles, mon nez, ma bouche, sont changés en castagnettes, et ne fonctionnent qu’en faisant claquer ces petits morceaux de bois si chers aux Espagnols. La guitare peut encore se supporter, à la condition qu’on ne voie pas l’artiste qui en pince, mais la castagnette !

Soyons sérieux.

Voici longtemps que dure la plaisanterie des apôtres de l’avenir ; il faudrait y mettre un terme. Le chef de l’école, puisque école il y a, M. Richard Wagner est expulsé de nos théâtres et de nos salles de concert. Sans la guerre qui a révélé à notre pays les sentiments de ce musicien à notre égard, nous serions aujourd’hui envahis par les trompettes allemandes qui sonneraient le glas de la musique. Fort heureusement on n’ose plus s’enthousiasmer publiquement pour les excentricités de M. Richard Wagner. La musique communarde est, il faut l’espérer du moins, réduite chez nous à sa plus simple expression. S’il existe quelques adeptes, ils sont tellement pauvres d’idées et en si faible minorité qu’ils semblent n’exister que par le bruit confus qu’ils font personnellement autour de leurs produits.

Mais M. Richard Wagner a laissé des germes nuisibles dont il faut empêcher l’éclosion ; ces germes, on les retrouve dans les œuvres de quelques jeunes compositeurs dont on a trop flatté les premiers essais, et qui, par genre maintenant, se prétendent appelés à démolir ce que les grands maîtres ont élevé : l’art, le grand art qui a pour base l’inspiration. Rossini, et ils le disent à haute voix, n’a été qu’un vulgaire faiseur de cavatines, Donizetti qu’un faiseur de cabalettes et Auber un faiseur de chansons.

Si M. Wagner est le grand coupable, il y a un musicien, dont certes nous ne nierons pas le talent, M. Charles Gounod, qui peut revendiquer une part des désastres lyriques dont nous sommes les témoins. M. Gounod, à l’exception de Faust, qui est une œuvre, a toujours fait fausse route lorsqu’il a entrepris d’écrire de la musique pour la scène. À l’opéra, Sapho, La Reine de Saba, La Nonne sanglante, ont coûté à peu près un million à la direction ; au Théâtre-Lyrique, Roméo, Mireille et plusieurs autres partitions, qui avaient pourtant Mme Carvalho pour principale interprète, n’ont pas peu contribué à ruiner M. Carvalho ; il en a été de même à la salle Ventadour, où l’on avait essayé de galvaniser ces mêmes partitions. Enfin Roméo et Mireille, donnés à l’Opéra – Comique, encore avec Mme Carvalho, ont fait un grand vide dans la caisse de M. Du Locle. Ce sont là des vérités contre lesquelles viennent se briser toutes les admirations fausses ou sincères. M. Charles Gounod n’a jamais écrit un trio, un quatuor, un morceau d’ensemble.

Il y a dans ses partitions des morceaux de musique remarquables, mais ces morceaux s’isolent en général de la situation. La vie, le mouvement dramatique, l’unité de conception n’existent pas. M. Gounod trouve une petite phrase, il la tourne, la retourne, la fait répéter par l’orchestre, l’enjolive par des ciselures, mais cette ornementation n’élargit pas la pensée du compositeur, qui croit avoir donné une importance plus grande à sa petite idée en la faisant précéder ou suivre d’une ritournelle maniérée. Non, M. Gounod, ce n’est pas là du théâtre, vous êtes un mystique, vous avez conservé dans votre musique, cette exaltation cérébrale dans laquelle se confondent, chez le séminariste, l’amour divin et le regret du monde.

Mendelssohn vous a fourni une bonne portion de vos petits motifs et de vos petits arrangements. Lorsque vous ne l’avez pas copié, vous l’avez imité. Le véritable créateur, c’est lui et non pas vous.

Après M. Gounod, et dans un ordre inférieur, sont venus d’autres musiciens qui, procédant de M. Wagner et de M. Gounod, ont fait de la musique dramatique bâtarde, supprimant presque entièrement la phrase mélodique, et pour cause ; et à part les ouvrages de deux jeunes maîtres, MM. Léo Delibes et Guiraud, qui n’ont pas transigé avec les principes qui constituent la musique scénique, à savoir la clarté mélodique appropriée à la situation et l’intérêt saisissable de l’orchestre ; nous n’avons vu apparaître, depuis quelques années, que des partitions informes, difformes et tout à fait dépourvues de sens dramatique, et d’idées mélodiques franchement inspirées.

C’est de là que vient véritablement le mal.

Le musicien dont nous devons nous occuper, M. Bizet, nous a fait faire ce pas rétrospectif. Revenons à Carmen :

Cet ouvrage n’est pas dépourvu de mérite. À coup sûr on y sent la main d’un musicien expérimenté, qui connaît son art à fond, mieux vaudrait qu’on y sentît davantage son cœur. Par moments, on y rencontre une chaleur apparente qui ressemble à de l’inspiration, mais, lorsque le compositeur a fini son morceau, on reste froid. C’est que M. Bizet a trop calculé son effet, qu’il a troublé sa pensée première en y mêlant des ornements frivoles ; il avait entrevu une perle, en la montant il a oublié la perle pour ne songer qu’à la ciselure.

Incontestablement, il y a un grand savoir dans cette partition ; dans ses détails on y trouve de charmantes choses, perdues dans des touffes d’harmonie, fort habilement conçues sans aucun doute, mais à travers lesquelles l’oreille cherche vainement des chants qui la séduisent. Dans La Jolie Fille de Perth, dans Les Pêcheurs de perles, il y avait, croyons-nous pus de laisser-aller et de naturel ; les idées se détachaient plus clairement. Ici, à force de vouloir paraître savant, M. Bizet est devenu lourd et souvent confus. Systématiquement, il n’arrête presque jamais sa pensée, et l’on court sans cesse après une fin de phrase qui se perd dans une obscurité insaisissable. Mais livrez-vous donc au public, laissez votre plume tracer ce que le cerveau ou le cœur lui envoient naturellement ; vous pourriez être agréable, sympathique, vous devenez long et ennuyeux de parti pris.

On a applaudi et l’on a eu raison des pages symphoniques très réussies qui se détachent de l’action ; on a aussi applaudi des airs de ballet d’une couleur charmante, orchestrés avec beaucoup d’art. Parmi les morceaux de chant, il y a à citer, au premier acte, l’introduction et chœur et une chanson havanaise ; au second, un air du toréador, un peu commun à la vérité, mais bien rythmé, et que M. Bouhy a admirablement interprété. Au troisième acte, un trio et une romance de Mlle Chapuy d’une expression touchante. N’allons pas plus loin ; nous croyons, en citant ces passages, avoir fait à l’auteur de Carmen une assez bonne part d’éloges.

Nous finirons par où nous aurions dû commencer, par le poème.

Nous avons pour le talent de MM. Meilhac et Halévy une sincère sympathie. Leurs noms, synonymes de succès, brillent sur les affiches de nos principaux théâtres ; toujours, ou presque toujours, ils ont réussi. Cette fois, MM. Meilhac et Halévy ont été moins heureux que d’habitude. Ce n’est pas que leur pièce ne soit bien charpentée, que les scènes n’en soient conduites avec beaucoup d’habileté et de logique, mais c’est le sujet qui est antipathique, ou plutôt les deux principaux rôles, celui de Carmen et celui de José, le soldat réfractaire. La nouvelle de Mérimée, intéressante à la lecture, n’est pas possible à la scène. Cette bohémienne de mauvais lieu, qui promène son cœur et le donne à qui veut le prendre, est une créature abjecte qui fait mal à voir. Et il faut dire que l’interprète, Mme Galli-Marié, en a encore exagéré la puanteur. Les gestes de l’actrice suent le vice, et sa voix, rauque par moments, a quelque chose de si trivial, de si horriblement repoussant, que l’on finit par éprouver le besoin de ne plus voir la comédienne et de ne plus entendre la chanteuse. Si c’est là ce que l’on appelle la vérité dramatique, nous plaignons Mme Galli-Marié d’avoir à interpréter un pareil rôle.

Je ne décrirai pas ce personnage de Carmen, pas plus que celui de Don José. La femme passe des bras du soldat dans ceux du toréador, et, à la fin, le soldat jaloux tue la femme ! Voilà en deux mots la pièce. J’épargne les détails à mes lecteurs.

Deux interprètes ont surnagé dans l’exécution : Mlle Chapuy, artiste de goût, qui, dans un petit rôle, a soulevé les applaudissements, et M. Bouhy, chanteur d’un véritable talent, voix superbe, qui a été le véritable héros de la soirée.

Ce qu’il faut louer sans restriction aucune, ce sont les décors et les costumes. M. Du Locle a monté Carmen avec un soin et un luxe extrêmes, et si quelque chose, dans cet ouvrage, est de nature à attirer le public, c’est la mise en scène. Il y a quatre superbes toiles ; ce sont de véritables tableaux, merveilleusement peints et merveilleusement éclairés.

Léon Escudier

Persone correlate

Compositore, Pianista

Georges BIZET

(1838 - 1875)

Giornalista, Editore

Léon ESCUDIER

(1815 - 1881)

Opere correlate

Carmen

Georges BIZET

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Henri MEILHAC Ludovic HALÉVY

Permalink

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data di pubblicazione : 18/09/23