Audition des envois de Rome
Audition des envois de Rome.
Cette séance annuelle a eu lieu jeudi. On sait que les « envois de Rome » sont des compositions musicales que les lauréats de l’Institut adressent, de la Ville éternelle, au Ministre des Beaux-Arts.
Ces compositions ont souvent peu de chemin à faire pour arriver au port, car il n’est pas rare qu’elles partent de Paris. Ainsi, l’un des jeunes compositeurs applaudis l’autre soir assistait à la séance. Son « envoi de Rome » n’avait donc pas risqué de s’égarer en traversant le mont Cenis.
Pour nettement parler, disons que la séance annuelle a été cette fois peu éclatante : c’est la plus froide à laquelle nous ayons assisté.
Comme les jeunes gens dont les œuvres sont entendues dans ces petites solennités ministérielles ne jouent pas là une partie bien importante pour leur avenir, on peut leur dire franchement la vérité ; nous pensons même que la leur dire est un devoir. Eh bien, nous n’avons été que médiocrement satisfait de l’audition de jeudi. Les œuvres de jeunesse peuvent pêcher par l’équilibre, la mesure juste, le plan ; mais on aime à y trouver la chaleur, l’idée, allât-elle jusqu’à l’exagération.
Ce n’est malheureusement pas par l’idée, la verdeur, la fougue que brillent M. Broutin ni surtout M. Hue, dans ce que nous avons entendu toutefois, et s’il fallait par cela juger de leur avenir musical, on ne saurait leur prédire d’immense succès. Mais ils feront mieux, soyons-en convaincu.
Ne nous montrons pas trop sévère cependant : M. Broutin, premier prix de 1878, a été applaudi à juste titre. Le commencement de son Ouverture symphonique, fortement inspirée de Mendelssohn, est d’une belle venue. La pensée dominante s’y développe hardiment et avec clarté. Les dessins d’orchestre sont intéressants et se dégagent avec une netteté remarquable. Quant à sa Suite d’orchestre, elle contient deux fragments qui nous ont plu beaucoup : la Pastorale, d’un très bon sentiment, et le Cantabile, qui charme par son allure paisible, assez poétique. Le Scherzo est moins bon. Le Finale est très bien présenté : l’idée est fine, élégante, mais nous trouvons que la péroraison se prolonge outre mesure et se noie dans des sonorités excessives que rien ne justifie dans ce qui précède. Il y a là, ce nous semble, un manque évident d’équilibre : l’effet est trop cherché ; il est presque brutal.
M. Broutin orchestre avec une sûreté et un talent très appréciables ; il y a en lui l’étoffe d’un symphoniste. C’est pour M. Broutin qu’a été le succès relatif de la soirée.
M. Georges Hue, premier prix de 1879, n’a pas dû réfléchir longtemps avant d’écrire cet acte du Tsarewitch : on dirait de la musique composée à la hâte pour ne pas manquer l’heure du courrier. Les idées sont vagues, comme vague est le plan des morceaux. Les effets, ou du moins la recherche des effets ne marque pas une étude préalable suffisante des caractères et du drame.
Les récits pourraient être moins écourtés et plus expressifs. Les voix sont durement traitées : leur besogne est fatigante au possible, autant par la tessiture des rôles que par la vigueur des accompagnements. Enfin ces mélodies hachées, tourmentées, sont de véritables écueils pour leurs interprètes. Ce n’est pas ainsi, à notre sens, qu’il faut écrire l’opéra quand on veut satisfaire des chanteurs et intéresser le public. M. Hue, qui a du talent et qui est dans l’âge où les idées abondent, devrait se recueillir et chercher sa voie ; tout porte à croire qu’il la trouverait.
Le premier morceau est long, bruyant ; les mots : Il est parti, reviennent avec une persistance féroce et fatigante. On trouve, un peu plus loin, un chœur avec cloches qui est bien supérieur à la page précédente. La scène entre la Tsarine et le Tsarewitch dénote un grand effort chez le compositeur et contraint à un effort aussi grand la chanteuse ; mais le morceau est mal venu : il n’a produit aucun effet. Bien meilleur est le numéro suivant : une vieille chanson avec accompagnement de harpe qui a beaucoup de caractère, mais qui est, comme tout le reste, horriblement difficile à chanter. Mlle Simonnet s’en est assez habilement tirée pour se faire applaudir. Le grand duo d’amour qui vient après nous a laissé absolument froid. Le finale ramène les cloches et s’égare dans des sonorités effroyablement écrasantes.
Tout cela sent l’effort, la recherche d’une inspiration rebelle et nous semble peu scénique. Souhaitons que les autres actes du Tsarewitch soient supérieurs à celui que M. Hue a fait entendre jeudi.
Ch. G.
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data di pubblicazione : 12/07/23