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Audition des envois de Rome

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C’est jeudi dernier que cette séance a eu lieu. La grande salle était pleine d’auditeurs et, fait à remarquer, on a commencé cinquante minutes après l’heure fixée par le programme. La loge officielle n’a daigné s’ouvrir qu’après un retard exagéré ; c’est regrettable, car il nous semble que le public qui se rend à ces auditions, public composé d’artistes et de journalistes, mérite bien quelques égards, quoiqu’il ne paie pas ses places. Il les occupe et écoute avec indulgence, c’est bien quelque chose, surtout quand l’exécution est aussi défectueuse que jeudi.

A neuf heures et demie, enfin, on a commencé par le Sinaï, composition de M. Broutin. Nous avouons n’avoir pas compris grand-chose au vacarme orchestral qui a résonné pendant près d’une demi heure. M. Broutin est, sans nul doute, un musicien de talent qui manie l’orchestre avec beaucoup d’habilité ; mais pour démêler l’idée du bruit, dans son Sinaï, il faudrait une seconde audition ; encore nous ne répondons pas qu’on découvrirait des merveilles d’originalité dans ces pages à grand fracas. De l’effet, de la recherche harmonique, des sonorités, toujours, toujours et encore ; étrange musique ! Autre reproche : il nous a semblé que le compositeur avait donné un développement exagéré, au point de vue scénique, à son duo entre Aaron et Marie ; l’intérêt se fond, s’éparpille, dans ces longueurs que la situation ne comporte pas. Disons à la louange de M. Broutin que l’on ne peut nier à son œuvre une grande puissance, une sonorité énorme et enfin une volonté inflexible de produire l’effet qui s’est produit. Seulement, dans l’intérêt de son avenir, M. Broutin fera bien de vouloir autre chose, parce que jamais il ne fera partager au public son opinion sur pareille musique.

Interprétation faible. MM. Jourdain et Lorrain ont fait de leur mieux. La voix pointue, le style sans grâce et le pincement de Mlle Mézeray n’ont pu donner du charme au Sinaï.

Kaddir, légende hindoue, musique de M. Samuel Rousseau, grand prix de 1878 comme M. Broutin, est une œuvre bien plus mélodique et agréable que le Sinaï. M. Rousseau ne dédaigne pas la mélodie ; il ne pense pas que la musique soit du bruit plus ou moins organisé. Malgré cela, le public a, sans hésiter, donné la préférence à Kaddir. Or, comme M. Rousseau n’a pas plus de talent que M. Broutin, comme tous les deux sont des musiciens connaissant leur art, des musiciens très forts, il faut croire que le public persiste à penser que la musique mélodique est supérieure au bruit plus ou moins organisé.

Dans Kaddir, il y a deux chœurs ravissants, dont l’un, celui de la Cange, a été bissé par tout l’auditoire ; il y a un récit fort bien conduit, un chœur de sirènes très pittoresque, et enfin des couplets charmants d’idées, écrits de la façon la plus pure et que M. Auguez a chantés magistralement ; ils lui ont du reste valu un succès d’enthousiasme.

Kaddir a plu beaucoup ; c’est une composition ravissante, pleine de poésie et dans laquelle on sent le musicien théâtral : tout est expressif, concis, d’un sentiment vrai, et le pittoresque donne dans l’ensemble une note juste. Au théâtre, Kaddir serait un acte charmant.

À part Auguez, complimenté plus haut, l’exécution na pas été meilleure que celle du Sinaï. Mme Montalba ne sait pas assez chanter pour le Conservatoire ; M. Laurent ne chante pas assez juste.

Les chœurs sont toujours excellents et l’orchestre, formé d’éléments de premier ordre, ne laisse pas plus à désirer qu’à l’Opéra. On voudra bien remarquer que nous ne lui adressons qu’un tout petit éloge en disant cela, car il est certain que l’orchestre du premier théâtre de France devrait être…

Mais il s’agit ici du Conservatoire. Eh bien ! nous dirons carrément que dans le sanctuaire de l’Art musical français, des artistes étrangers à l’École ne devraient pas être admis à venir chanter faux ou avec une méthode incomplète. Que doivent penser les élèves qui écoutent ?

Ce qui précède est une simple réflexion, absolument juste, du reste, qui ne s’adresse pas le moins du monde au Conservatoire, lequel est obligé de subir bien des choses, même les retards de la loge officielle, en attendant qu’on lui impose les plans de M. Garnier.

Jules Ruelle.

Persone correlate

Direttore d’orchestra, Compositore

Samuel ROUSSEAU

(1853 - 1904)

Compositore

Clément BROUTIN

(1851 - 1889)

Permalink

https://www.bruzanemediabase.com/it/node/666

data di pubblicazione : 12/07/23