Notes parisiennes. Augusta Holmès
Notes Parisiennes
AUGUSTA HOLMES
L’Académie nationale de musique donnera vendredi la Montagne Noire, opéra en quatre actes, poème et musique de Mme Augusta Holmès. Pendant ces quelques jours, la personnalité du célèbre compositeur, sera le sujet de fortes conversations artistiques et mondaines ; on dira d’elle, et l’on a dit, dans des milieux très différents, tout ce que l’on sait déjà : son adolescence musicale, sa carrière si brillante et si remplie, ses succès à l’étranger, son incomparable tempérament d’’artiste, la prodigieuse volonté qu’il a fallu à cette femme pour affronter, combattre et vaincre toutes les jalousies qui se déclarent ou se cachent et que son admirable sincérité, son impérieuse énergie ont fait soudain se résoudre en une admiration indiscutée.
Je voudrais ici apporter le modeste tribut de mon hommage personnel, en rappelant brièvement quelques traits, quelques anecdotes intimement liées au développement du caractère et du génie de Mme Augusta Holmes.
Née en France de parents irlandais, naturalisée Française, Mme Holmès a toujours gardé pour son pays d’origine, la tendresse apitoyée qui lui inspira cette admirable symphonie Irlande, et qui nous donnera bientôt la joie d’entendre, sous quelque forme qu’elle puisse la concevoir, la douloureuse légende de Saint-Patrick, le patron de la verte Erin.
Toute la jeunesse de Mme Augusta Holmès se passa dans Versailles — il vaudrait mieux dire dans le parc de Versailles — et toujours quelque attendrissement se joint aux souvenirs évoqués des fougueuses courses de sa robuste enfance, à travers les grands arbres du vieux parc. C’est pourquoi l’on ne s’étonne guère de l’y voir, quelque dimanche, chercher l’écho de ses jeunes rires ; et ne craignez pas qu’elle y soit oubliée : le souvenir de la « belle anglaise », comme on l’appelait alors, n’a point manqué de s’y garder.
Parmi les habitants de la royale ville, rassemblés sur la grand’ place, a souvent retenti la première composition d’Augusta Holmès, cette Marche militaire que, toute petite fille encore, elle enseigna elle-même aux vieux soldats de la garnison.
Elle grandit ainsi, au milieu de la surprise nettement hostile de quelques-uns des siens et de l’adoration extasiée de quelques autres.
Je ne voudrais pas oublier d’indiquer la lueur sublime que jeta, dans les premières années de la jeune Augusta, la haute et pure figure d’Alfred de Vigny ; et Mme Holmès possède encore les affectueuses dédicaces que le poète jetait à la première page des somptueux livres de contes qu’il donnait à la petite fille.
À l’époque où nous atteignons, Mme Augusta Holmès avait déjà la beauté radieuse qu’elle conserve aujourd’hui : physionomie complexe et simple. Orphée semblable aux lions qu’il domptait, Néron et la Valkyrie ; le grand œil bleu sombre, le nez hardiment busqué, sur la bouche aux lignes très pures. Cette jeune tête romaine, que sa chevelure, depuis longtemps, a couronnée de lauriers d’or, se dresse robustement sur le cou aux puissantes attaches ; le triomphe que promet le rayonnement de sa face est dans sa personne tout entière, et sa démarche hardie semble toujours un pas vers la victoire.
Avant d’arriver à la réalisation définitive de sa pensée musicale, Mme Augusta Holmès travailla longtemps sous la direction du grand musicien César Franck, qui lui enseigna la fugue et le contrepoint ; elle donna plusieurs mélodies, toujours d’après son poème, plusieurs symphonies, entreprit des vers opéras, Héro et Léandre, Lancelot du Lac, restés inachevés.
Quelques-unes de ces œuvres sont signées, détail curieux, Hermann Zenta et plus tard encore, A.-Z. Holmès. C’est alors que, voyageant, elle connut Richard Wagner, qu’après les événements de 1870, elle ne revit jamais, malgré son admiration.
Enfin sa carrière se dessine nettement. Pasdeloup, dont elle a conservé un souvenir attendri, joue ses premières symphonies, triomphalement accueillies. Aux mêmes concerts, les Argonautes où l’on entendit Mmes Caron et Richard, M. Talazac, etc., puis Lutèce couronnée par le jury de la Ville deParis, jury dont peu de temps après elle fait partie.
Ensuite viennent les succès inouïs de l’Ode Triomphale, où cinq fois consécutives, vingt-cinq mille spectateurs acclamèrent son nom.
C’est à la suite de l’une de ces auditions que le populaire, enthousiasmé, voulait dételer les chevaux de sa voiture, qu’une femme lui présentait son enfant afin qu’elle le bénît, qu’elle recevait des lettres adressées, à la Vérité, à la Justice. Puis l’Hymne à la paix, son glorieux voyage d’Italie — Florence, où les grandes dames de la ville venaient, dès la première heure, semer des fleurs sur l’escalier dont elle foulerait les marches.
Cependant, la Montagne Noire était faite.En 1881, déjà, le poème était achevé et ces dernières années, après de nombreuses démarches, malgré de multiples jalousies, Mme Auguste Holmès vainquit, avec le concours de MM. Colonne, Bertrand et Gailhard, qui, directeurs de l’Opéra, reçurent son œuvre.
Mme Augusta Holmès me pardonnera peut-être, si je me permets de parler maintenant de sa vie, toute de travail et de pensées persévéramment poursuivies. Dès le matin son labeur commence, très peu de temps interrompu par un repas très frugal, quelques leçons, bien qu’elle y consente rarement, et se continuent les grandes œuvres.On ne voit jamais Mme Augusta Holmès aux premières parisiennes, de quelque genre qu’elles soient ; elle est de la vraie race des purs artistes, immobiles dans leur vouloir, que sont les Puvis de Chavannes et les Rodin, auxquels il faut la longue solitude et les simples amitiés dénuées d’intérêts et intrigues.
Parfois, cependant, tout de noir vêtue, elle paraît dans le monde, et les habitués des salons artistiques de Mmes la vicomtesse de Trédern, la baronne Molitor, gardent le souvenir de sa venue.
Mme Augusta Holmès se plaît quelquefois à dire les vieilles histoires du pays de ses ancêtres ; elle aime les vieux héros, qui furent des rois, farouches et sanglants ; et je crois bien que sa prédilection se pose davantage sur l’un d’eux, plus antique, Réginald Dent-de-Fer, dont l'on raconte qu’étant prisonnier d’un rival victorieux, il sut, ayant une mâchoire très solide, déferrer de ses dents les énormes clous qui scellaient les portes de sa prison.
C’est de telles images que s’est formée l’inspiration populaire et simple de Mme Augusta Holmès, et ceux qui la connaissent bien, et ceux qui veulent bien la connaître, savent qu’en ce conte elle est toute entière, comme en cette devise qui est la sienne : Ad Augusta per Augusta.
Paul Roquère.
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data di pubblicazione : 31/10/23