Thaïs de Massenet
Dernière Heure
Une Première.
Hier soir a eu lieu à l’Académie nationale de musique la première représentation de Thaïs, opéra en trois actes, de Louis Gallet, musique de Massenet.
Louis Gallet a inauguré un nouveau genre de libretto ; trouvant que la pièce lyrique jusqu’ici en usage renferme le compositeur dans des limites trop étroites qui nuisent à l’expansion de ses idées musicales, il supprime le vers et le remplace par ce qu’il appelle un poème mélique (?) nom nouveau et bizarre qu’il explique en disant que c’est un poème où est affranchie l’obligation absolue de la rime, qui recherche la sonorité et l’harmonie des mots, observe le rythme, s’efforce de contenir l’idée dans les limites métriques et pense établir ainsi entre les contours de la phrase musicale une solidarité plus constante.
L’essai, en tous cas, ne peut être regardé comme concluant, car il n’empêche pas une certaine monotonie dans le ton général de l’ouvrage où cependant le compositeur avait ses coudées franches d’après le librettiste.
L’action s’ouvre par une réunion de cénobites au bord du Nil ; un d’eux, Athanael, est allé à Alexandrie. Il trouve la ville remplie d’un scandale provoqué par la beauté et les désordres d’une courtisane nommée Thaïs et voudrait gagner cette âme à Dieu !
Le vénérable Palémon lui conseille de ne pas se mêler aux gens du siècle, de craindre les pièges du démon ! Athanael s’endort ; un songe lui fait voir Thaïs sur un tertre, excitant l’enthousiasme du peuple par ses danses lascives et offrant son beau corps à la vue de tous.
Il se réveille plein de colère, résolu à délivrer cette femme des liens de la chair ; il arrive à Alexandrie et se rend chez un de ses anciens amis, Nicias, actuellement l’amant de Thaïs. Athanael lui fait part de son projet.
— Crains d’offenser Vénus ; la déesse se vengera, lui dit Nicias.
Le cénobite persiste, et pour approcher Thaïs, au milieu des moqueries et des provocations de jeunes et belles esclaves, Myrthale et Crébila, il revêt un galant costume.
Thaïs paraît, aperçoit Athanael ; on lui fait part de son dessein, elle en rit et lui offre le plaisir de l’amour.
Il ira, dit-il, lui porter le salut dans son palais et lui parle en effet de l’amour du divin éternel ; Thaïs lui répond par l’amour terrestre.
Cependant, la parole du saint homme a frappé la courtisane qui, saisie de la grâce, lui demande de l’emmener dans une maison de retraite tenue par la sœur Alhine.
Athanael est revenu dans sa Thébaïde ; il n’a plus de repos, confesse au vieux Palémon que la beauté de cette femme hante ses visions ; en Thaïs, il voit la source de tous les bonheurs et de toutes les voluptés et se couche en priant avec ferveur !
Aussitôt les esprits du mal s’emparent de son âme et nous assistons à une immense tentation de Saint-Antoine. Des groupes de femmes l’entraînent ; un moment brille pour lui l’étoile de rédemption au son des orgues sacrées succédant à celui des danses voluptueuses, mais l’image de Thaïs apparaît, il est perdu.
Thaïs est réellement entrée au couvent et va mourir. Par sa sainteté, elle est devenue un objet de vénération pour ses compagnes. Athanael arrive, appelle Thaïs, elle s’éveille.
— Tu m’as fait comprendre l’amour divin par les saintes paroles, dit-elle.
— J’ai menti, répond-il. Le ciel n’existe pas. Rien n’est vrai que la vie et que l’amour des êtres.
Thaïs voit dans son extase des anges, des saints, des séraphins ; elle entend le son des harpes divines, voit Dieu et meurt.
Athanael pousse un cri terrible et tombe à ses genoux.
La partition de Massenet ne comprend que deux rôles : Thaïs et Athanael, les autres n’existent pas ; les chœurs sont très peu développés, la mélodie est rare et remplacée par des récitatifs chantés, soulignés par l’orchestre.
Au milieu d’un ensemble trop uniforme, nous avons remarqué les imprécations d’Athanael contre Alexandrie, avec un joli accompagnement d’harpes, les reproches de Thaïs contre la sévérité du cénobite ; au deuxième acte, une très belle symphonie religieuse contient un superbe solo de violon, magistralement exécuté par M. Berthelier ; la reprise avec chœurs dans la coulisse est du plus heureux effet.
Le couplet de Thaïs à Eros est la plus gracieuse partie du rôle. L’orchestration en est délicieuse ; la mort de Thaïs avec quelques phrases d’Alhine est pleine de mélancolie.
Les airs de ballet, gracieux, terminent par un sabbat terriblement bruyant.
Mlle Sybile Sanderson débutait à l’Opéra dans le personnage de Thaïs, elle y a obtenu un grand succès de beauté, de grâce et de charme ; sa voix se fait bien entendre dans cette vaste salle ; les notes aiguës prodiguées par le compositeur dans ses fins de phrases sonnent avec une pureté exquise.
M. Delmas a un terrible rôle avec Athanael ; il le supporte vaillamment.
Alvarez (Nicias), Delpouget (Palemon) s’acquittent avec talent de leurs rôles sans importance.
Dans une seule scène, Mlle Beauvais (Alhine) a fait apprécier une voix de très joli timbre.
Mlles Marcy et Heglon n’ont également que quelques phrases à dire.
Mlle Mauri, dans le ballet, a été vivement applaudie ; c’est une délicieuse tentatrice et l’on comprend facilement qu’avec ses jolies camarades, le corps de ballet triomphe de l’esprit faible d’Athanael.
La mise en scène est très belle, les apparitions sont admirablement réglées, l’orchestre, qui a un rôle prépondérant dans cette œuvre de Massenet, mérite tous les éloges pour sa finesse d’exécution.
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/Louis GALLET
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data di pubblicazione : 18/09/23