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Carmen de Bizet

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« Comme inventeur, lisons-nous dans le IVe volume des Œuvres et des Hommes par M. Barbey d’Aurevilley, M. Mérimée n’a jamais été immense. » Ce jugement, tout en étant un peu sévère, rend bien l’impression du lecteur arrivé à la dernière page de Carmen. Mon Dieu, oui ! Mérimée a l’air de renfermer une quintessence de n’importe quoi dans un flacon grand comme le pouce ; en réalité, la liqueur renfermée ne comportait pas un autre flacon. Toutes les imaginations de l’auteur se tournaient en récits de courte haleine, parce qu’après quelques trottes de ci de là le souffle manquait. Je suis loin de nier le mérite de l’écrivain ; je regarde Mérimée non point comme un domestique de Stendhal, mais comme un compagnon du même rang, comme un égal de son maître par la naissance et par le talent littéraires ; je le trouve même moins brusque, plus uni de ton, surtout moins insupportable ; car, entre nous, avec ses offusquants paradoxes et sa fatuité débordante, Stendhal vous donne des envies de l’étrangler.

Malheureusement, les qualités et les tours de style qui font le charme de Colomba, du Vase étrusque, sont des choses indifférentes dès qu’il s’agit du théâtre. Ce n’est pas le style en général qui est indifférent, qu’on m’entende bien ; c’est ce style-là, ce style travaillé, limé, ébranché de tout, bon à regarder avec une loupe, comme une miniature de Mme de Mirbel, ou un émail de Petitot. Le style dramatique a besoin, au contraire, de l’éloignement, de la distance. Suivez de près Corneille et Molière, vous verrez comme leurs efforts se dirigent sur tel ou tel point particulier, au lieu de s’appliquer indistinctement à toutes les phrases. Dans le Qu’il mourût des Horaces, le second vers est abandonné au courant de l’onde ; le poète ne s’en préoccupe plus ; il a abordé au rivage dans l’instant qui lui a semblé propice, et puis il a laissé dériver son bateau. M. Mérimée, lui, ne se remuant que dans un espace très circonscrit, a toujours pris plaisir à visiter les coins et les recoins de son œuvre. Ce souci est très louable sans doute ; seulement il n’a rien de commun avec l’art de la scène. Placez dans un décor une assiette en porcelaine de Sèvres ou une assiette de carton, je ne vous chercherai pas querelle au sujet de la matière employée ; l’important est qu’il y ait une assiette, je ne vous demande rien de plus.

Chez Mérimée, l’assiette manque, et voilà pourquoi le début de ce sénateur à la Comédie-Française fut une chute dont il se releva avec des bosses au front – mais non pas avec la bosse de Shakespeare ou de Lope de Vega. Carmen, sous forme de nouvelle, vous attache, vous saisit, vous secoue ; sous forme d’opéra comique, elle vous répugne presque. Qu’y a-t-il, en définitive, au fond de cette histoire ? Il y a les amours d’un soldat et d’une dessalée, dans le genre de celles de Mathurin Régnier ; il y a une mauvaise copie de Manon Lescaut, et jamais Manon n’a paru plus cynique, jamais Des Grieux n’a paru plus vil. José Lizzarabengoa glisse dans la boue, se vautre jusqu’au cou dans le vice, sans excuse aucune ; il descend de degré en degré jusqu’au déshonneur et va tirer la langue sous les étreintes du garrot, alors qu’il lui eût été si facile d’éviter ces désagréments. Carmencita, d’autre part, n’inspire guère plus de pitié que les horribles créatures, incarcérées pour cause de débauche, dans les prisons de salubrité publique. Quel monde hideux que celui-là ! À la lueur de la rampe, les difformités s’accusent mieux, les laideurs éclatent davantage. On recule effrayé, comme la vague qui apporta le monstre destiné à tuer Hippolyte.

Et, en effet, telle crudité de langage, inaperçue dans le cours d’un roman, frappe l’oreille et déconcerte l’auditeur pendant une représentation. Quand on voit apparaître avec ses torsions de hanches, son regard provocant, ses allures effrontées, la Carmen entrevue dans la pénombre du souvenir, on se retourne avec dégoût ; cette Messaline de bas étage cause des nausées et des hauts le cœur. Elle distribue des coups de couteau à ses compagnes de la manufacture des tabacs à Séville, et vraiment rien n’est plus étonnant que l’aisance avec laquelle Mérimée, à chaque instant, joue du poignard corse ou de la navaja andalouse. Un poste de dragons vient mettre le holà dans la dispute des cigareras ; la délinquante est liée solidement avec des cordes de deux doigts d’épaisseur et confiée à ce grand nigaud de José, qui déjà ressent les atteintes du dieu Cupidon : — Où me menez-vous ? dit Carmen. — À la prison, ma pauvre enfant. — Hélas ! que deviendrai-je ? Seigneur officier, ayez pitié de moi. Vous êtes si jeune, si gentil !... Laissez-moi m’échapper, je vous donnerai un morceau de la bar lachi, qui vous fera aimer de toutes les femmes. — Et pour avoir un morceau de la bar lachi, José Lizarrabengoa délivre sa prisonnière, ce qui le fait casser aux gages et mettre au cachot, naturellement ; après quoi, on lui enlève ses galons de brigadier.

Il est sur la mauvaise pente, il roulera loin. Un jour qu’il a donné rendez – vous à sa belle dans une posada mal famée, il surprend Carmen en conversation avec un lieutenant du même régiment que lui ; le lieutenant lui ordonne de se retirer ; José met le sabre à la main. Dans tous les pays connus, cette offense envers un supérieur entraîne la peine de mort. Il ne reste plus à Lizarrabengoa qu’un parti à prendre, celui de se faire contrebandier. Carmen le guide dans les montagnes où il va rejoindre les gibiers de potence pour la société desquels il n’était pas né (à ce qu’il dit). On entend des coups de fusil ; à toute minute, ce sont alertes sur alertes ; là-dessus, Escamillo, toréador qui choisit mal ses lieux de promenades, tombe juste au milieu des brigands et déclare que Carmencita est l’objet de sa passion. Vous devinez comme il est reçu ; José lui propose un duel à pied et à cheval. On se déchire les côtes, un petit peu ; les couteaux de M. Mérimée sont de nouveau tirés de leurs gaines. Par bonheur, l’avantage ne reste à personne ; mais la cigarera, qui change d’amour comme de mantille, suit le bel Escamillo aux courses de taureaux et y est suivie elle-même par José Lizarrabengoa (quel nom, juste ciel ! à mettre en musique !). Dans une crise suprême, l’ex-dragon, pour la troisième fois, tranche avec son éternel couteau les questions en litige et assassine Carmen. Moralité : les jeunes personnes qui embrassent la profession de fille perdue doivent s’attendre à finir ainsi.

On comprend qu’une pareille série d’aventures ne soit pas faite pour égayer un public habitué au Voyage en Chine et aux Noces de Jeannette. Les librettistes se sont efforcés d’égayer la situation en y introduisant une espèce de Fra Diavolo dont toutes les plaisanteries consistent à faire claquer un fouet avec accompagnement de jurons : ce genre de lazzis peu étincelants n’a produit qu’un effet médiocre. Un autre défaut du livret était l’accumulation uniforme de coquins et de coquines, sans éclaircie dans le tableau. MM. Meilhac et Halévy se sont souvenus à temps de Robert le diable ; ils ont créé une seconde Alice qui vient apporter à José une lettre écrite par la vieille mère d’icelui, et qui, pour un peu, chanterait la célèbre romance :

Va, dit-elle, va mon enfant...

Alice, dans le cas présent, se nomme Micaëla, laquelle apparaît soudainement et s’éclipse de même : nul ne s’informe où elle est passée ; après le troisième acte, on n’entend plus parler d’elle...

Le flot l’avait portée et le flot la remporte !

Plus de Micaëla ! C’est dommage ; elle seule jetait quelque apparence d’intérêt sur ce tissu de crimes affreux ou ridicules.

Je croyais, dans ma simplicité, que Micaëla avait été tirée du néant à seule fin d’infuser dans le poème de Carmen les traditions de l’opéra comique ; j’étais persuadé qu’elle épouserait José au dénoûment et que la cigarera s’en irait au diable, seul père que puisse revendiquer cette demoiselle fort déconsidérée. Eh bien, non ! Micaëla ne se montre que pour roucouler une cavatine et un duo ; à vrai dire, elle tire son fiancé de l’entregent des bandits, mais il est probable que le jeune homme ne la suit pas très loin, puisque, quelques instants après, nous le retrouvons seul. L’hymen de rigueur n’est pas conclu ; l’action tourne à la tragédie, et, à ce sujet, il est bien permis de remarquer qu’on ne rit plus guère, salle Favart. Roméo et Juliette s’y empoisonnent à qui mieux mieux ; une procession de noyés y défile sous les yeux du dompteur Ourrias ; le palais des Atrides ne recélait pas de forfaits plus épouvantables, sans compter que sur la scène illustrée par Grétry, Dalayrac, Berton, Paër, Chérubini, on chante maintenant la messe des Morts. C’est navrant ! Vous sortez de l’Ambigu où Rose Michel a surexcité vos nerfs ; vous entrez à l’Opéra-Comique pour vous reposer, et vous vous trouvez en face des filets de Saint-Cloud ou d’un Requiem. Quel plaisir !

M. Georges Bizet appartient à une école dont je constate les ambitions louables sans pouvoir affirmer, jusqu’à présent, qu’elles aient été entièrement réalisées. L’école du néo-germanisme en musique est certainement la plus savante que nous ayons eue ; elle suit le progrès et elle lutte sans désavantage contre les imitateurs de M. Verdi aussi bien que contre les sectateurs irréconciliables de l’opérette. Ce qui devait advenir est advenu ; à force d’étudier les symphonistes, Weber en tête et M. Wagner en queue, nos jeunes compatriotes ont négligé l’élément dramatique proprement dit ; ils ont oublié d’éclairer leur lanterne, ou plutôt ils ont cru que les maîtres du temps passé n’avaient aucun mérite et qu’il était inutile de consulter ces ancêtres, fort pauvres harmonistes quelquefois, mais fort riches mélodistes souvent. Ayant à gloser sur le dictionnaire, ils ont négligé l’a b c. Aussi avouerai-je à M. Bizet que son éducation qu’il croit très complète me paraît à moi très négligée par certains côtés ; il ressemble à l’astronome de la fable qui avait appris à lire dans les astres et qui avait oublié d’apprendre qu’on ne marche pas dans les puits.

Je n’accuse pas le musicien de manquer d’inspiration et je fais grand cas des moyens ingénieux dont il dispose. Tout ce que je reproche à la partition de Carmen, c’est d’être en dedans ; les airs ne mettent pas assez le nez à la fenêtre. On voudrait les approcher de plus près ; ils sont enfermés derrière de triples grilles et de triples verrous ; ils ne vous accostent pas familièrement, ils ne s’insinuent point dans vos bonnes grâces ; ce sont des Harpagons qui défendent la clef de leur cassette. Ne vous obstinez pas ; cette clef, vous ne l’aurez jamais, et Carmen vous bourrera dès l’abord de quelques havanaises, comme l’Avare de Molière bourrait ses convives avec quelque haricot bien gras ou quelque pâté en pot bien garni de marrons.

Oh ! la havanaise du premier acte ! ne l’aurai-je point entendue ailleurs par hasard ? Ma foi, si ! Elle fait partie des Échos d’Espagne où elle s’appelle Les Fèves vertes : Ni jeune mousse, ni tendre pousse..., etc., etc., avec beaucoup de castagnettes. Je ne déteste point la ronde militaire de l’introduction, bien que ces effets de garde montante et descendante aient été fort utilisés. Le duo de Micaëla et de José n’est point sans mérites non plus ; il manque seulement de naïveté. On sent très bien que l’homme qui a traduit en notes les doléances d’un conscrit regrettant son toit de chaume s’est moqué, au fond, de Dumanet et de sa payse. M. Bizet a l’air de murmurer en sourdine : Tiens, tiens, public niais ! voilà ce qu’il te faut ; voilà ce qui te fera pleurer, puisque tu aimes ces sensibleries stupides ! Quant à moi, je ne suis pas ta dupe. Je te donne ce que tu me demandes, mais je proteste au fond du cœur.

À mon tour, M. Bizet me permettra bien de protester. Pour suivre la même veine, il a introduit dans son œuvre une chanson de toréador qui est assurément la merveille du genre poncif et que M. Paul Henrion ne désavouerait pas. Est-ce bien la peine d’avoir tant crié contre Adolphe Adam pour en être réduit à l’imiter d’une façon si piteuse ? Est-ce bien la peine d’avoir déclaré qu’on n’estimait que les suffrages de vingt personnes pour venir ensuite mendier l’approbation de milliers d’ignorants ? M. Bizet n’est plus assurément le même compositeur que celui de La Jolie Fille de Perth. On nous l’a changé en nourrice. Jadis il avait des idées heureuses, ni trop vulgaires, ni trop subtiles ; maintenant, quand il veut faire étalage d’érudition, il se perd dans le fatras et l’incompréhensible ; quand il veut s’adresser aux masses, il tombe au – dessous des faiseurs de boléros pour l’Alcazar ou le pavillon de l’Horloge. Du rythme ! vous en trouverez dans la romance du toréador ; mais après les foudres que M. Bizet et ses amis ont lancées contre la mélodie carrée, la mélodie rossinienne, je ne m’attendais guère à voir le parti de l’avenir sacrifier aux fausses divinités. La République vient de coudre un ruban rouge à la boutonnière de l’auteur de Carmen ; puisqu’il en est ainsi, je réclame une statue pour Théodore Labarre et un Panthéon pour Léopold Amat.

Le refrain sauvage : Si je t’aime prends garde à toi, est brutalement modulé, mais d’un effet piquant, qui n’est point trop en désaccord avec les paroles. Bien que les fandangos de Mercédès et de Frasquita soient très déplacés sur une scène qui ne devrait pas rivaliser avec les Folies-Bergère, j’aime assez cette musique zingarienne, bariolée comme les vêtements des bohémiens. Dans le quintette en bémol, nous avons vainement cherché une pensée, nous n’avons rencontré que des dissonances.....

Des lambeaux pleins de sang et des membres affreux, Que de tristes chanteurs se disputaient entre eux.

Il faudrait aussi supprimer le duo entre José et Carmen ; duo d’amour, dit le livret. Hélas ! si deux amoureux se sont jamais parlé sur ce ton-là, je veux l’aller dire à Rome. On n’a pas idée d’une semblable psalmodie. Il y a de tout dans le morceau en question, des imprécations et des supplications, des prières et des désespoirs, des menaces et des audaces ; une seule petite chose est absente : la passion ; oui, la passion sans laquelle un duo d’amour ne se distingue pas sensiblement d’une recette pour l’onguent miton-mitaine ou d’un cours de droit féodal.

La romalis de Carmen se mêle très adroitement aux fanfares de la retraite entendues dans le lointain. Par exemple, nous confessons n’avoir point applaudi au chœur des contrebandiers, au trio des cartes, à la scène du duel ; l’air de Micaëla seul nous a paru avoir quelque tournure. Le dernier acte de l’opéra est, musicalement parlant, le meilleur des quatre ; est-ce parce qu’il est le plus court ? Nous notons au passage l’entrée des banderilleros, des chulos et des alguazils ; enfin, la scène de l’assassinat se revêt de couleurs sombres où l’imagination du musicien s’est attardée avec fruit. Carmen est une œuvre étrange à laquelle on trouve par instant des charmes bizarres ou des partis-pris désolants. Nous reviendrons peut-être un jour sur notre première impression. Pour le quart d’heure, nous estimons que M. Georges Bizet a accepté une tâche qui ne lui convenait pas. Son talent n’a nullement la fougue nécessaire pour peindre les orageuses ardeurs du Midi ; il se plairait davantage dans les clairs de lune qui baignent de leurs placides rayons les châteaux du Rhin ou les steppes de la Russie. Le tempérament artistique de M. Bizet est septentrional. Ne médisons pas des glaces du Nord ; elles ont leur beauté, ni plus ni moins que les sierras de la vieille Castille.

Madame Galli-Marié, elle aussi, a ses grâces particulières et une désinvolture originale. Cette fois-ci, on lui reproche pourtant d’avoir outré ses dons naturels ; au lieu d’être sémillante, elle est commune ; elle a photographié les gestes, la mine, le costume des señoras de carrefour ; l’unique M. Manet est capable de lui en faire des compliments. Sous prétexte d’exactitude, ne tombons point si bas, s’il vous plaît. Il y a des nuances qu’une véritable actrice observe toujours ; même quand Rose Chéri jouait la baronne d’Ange, on sentait que Rose Chéri était une honnête femme. — Mlle Chapuy tire un excellent parti des rôles qu’on lui confie ; impossible de déployer plus de séductions parisiennes. Vous, Navarraise ? Allons donc !... — Le ténor Lhérie a eu tort de déserter les emplois de comique. M. Lhérie se trompe sur sa vocation ; il ne succédera pas à Roger, il ne descend pas d’Elleviou. Si j’étais à sa place, je demanderais quelques bons conseils à M. Mocker, qui vit encore, je pense, bien qu’on n’entende plus parler de lui. — Belle voix que celle de M. Bouhy. Ce chanteur compte parmi les meilleurs de l’Opéra-Comique ; aussi faut-il ajouter que, si la troupe est nombreuse, en revanche, elle manque de brillant. Sa dernière étoile, Mme Carvalho, vient de filer à travers l’espace.

Cette décadence, hâtons-nous de le dire, ne doit pas être imputée au peu d’empressement du public. La foule, au contraire, se porte partout où elle a l’espoir d’écouter une sonate ou de saluer un rondeau.

Daniel Bernard

Persone correlate

Compositore, Pianista

Georges BIZET

(1838 - 1875)

Opere correlate

Carmen

Georges BIZET

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Henri MEILHAC Ludovic HALÉVY

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data di pubblicazione : 18/09/23