Séance annuelle d’audition des envois de Rome

C’est jeudi qu’a eu lieu, dans la salle du Conservatoire, la séance annuelle d’audition des envois de Rome. Au programme étaient inscrites deux œuvres seulement : une Suite pour orchestre de M. Gabriel Pierné, grand prix de 1882, et un « poème dramatique,» Merlin enchanté, de M. Georges Marty, grand prix aussi de 1882. La Suite d’orchestre de M. Pierné, qui comprend quatre morceaux (1. Entrée en forme de menuet vif ; 2. Marche funèbre ; 3. Intermezzo ; 4. Tarentelle), est une composition fort distinguée, ou plutôt un assemblage de morceaux élégants, car ce n’est point par l’unité qu’elle brille. Tout au contraire, on se demande quelle suite logique peut avoir une œuvre qui commence par un menuet et finit par une tarentelle, après avoir fait, entre les deux, entendre une Marche funèbre. Cette réserve faite en ce qui concerne le caractère général de la composition, qui est précisément de n’en pas avoir, des éloges sont à adresser à l’auteur pour trois au moins de ses morceaux. Le menuet, écrit en style fugué et dans une forme archaïque, st d’une excellente couleur, d’un rythme très franc et d’un très bon effet. La Marche funèbre est intéressante, surtout dans sa seconde partie ; l’orchestre en est riche, et le sujet se développe de la façon la plus heureuse. Quant à l’intermezzo, très élégant, d’une jolie forme mélodique et rempli de détails piquants et ingénieux, il a obtenu auprès du public le succès le pus vif et le plus mérité. Le morceau le moins heureux est justement le dernier, la Tarentelle, qui manque essentiellement d’originalité. Quant à M. Marty, il faut bien avouer qu’il s’est complètement trompé en écrivant son Merlin enchanté. Non que l’œuvre soit sans qualités ; le jeune artiste a déjà donné des preuves d’un talent très réel et sur lequel on peut fonder de solides espérances ; mais c’est le style général de sa composition, c’est le système même dans lequel elle est conçue qui démontrent l’erreur où l’auteur s’est laissé entraîner, sans même peut-être en avoir conscience. M. Bouvet l’a défendue néanmoins avec un rare talent, en chantant magistralement la partie de Merlin, tandis que M^me Caron prêtait l’appui de sa belle voix et de son phrasé superbe au personnage de Ganiéda. C’est M^lle Levasseur, une jeune élève de la maison, qui chantait Korig, tandis que les chœurs étaient dits par tous les autres élèves, hommes et femmes, des classes de chant, dont les voix fraîches et pures sont un véritable régal pour les oreilles. L’orchestre, dirigé par M. Jules Garcin, s’est distingué surtout dans la suite de M. Pierné.

A.P. [Arthur Pougin]