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Semaine théâtrale. La Jacquerie

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SEMAINE THÉÂTRALE
Opéra-Comique. La Jacquerie, opéra en quatre actes, paroles de M. Édouard Blau et de Mme Simone Arnaud, musique d'Édouard Lalo et de M. Arthur Coquard. (Première représentation, le 23 décembre 1895.)

Il semble que depuis quelque temps nos théâtres aient pris à tâche de nous faire un cours très serré d'histoire de France, « depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, » selon la formule consacrée. En quelques semaines nous avons eu Duguesclin à la Porte-Saint-Martin. Frédégonde à l'Opéra et la Jacquerie à l'Opéra-Comique. M. Sardou avait pris les devants avec Madame Sans-Gêne, qui n'est que de l'histoire intime, mais tout fait espérer que la série ne s'arrêtera pas là et que notre instruction sous ce rapport sera bientôt complétée.

Tenons-nous-en pour aujourd'hui à la Jacquerie, dont le titre est un peu trop ambitieux parce qu'il est trop général. Les auteurs ne pouvaient en effet, dans un livret d'opéra, avoir la prétention de nous faire connaître en son ensemble ce chapitre si émouvant et si dramatique de notre histoire nationale. Je ne les chicanerai pas pour si peu. Je ne les chicanerai pas davantage, ainsi que l'ont fait quelques-uns de mes confrères, pour avoir introduit dans leur action une intrigue amoureuse, évidemment destinée à en augmenter l'intérêt. Est-ce que la passion amoureuse n'est pas au théâtre le levier le plus puissant, celui qui soulève le plus l'émotion du spectateur, et qui, au point de vue purement lyrique, est le plus apte à exciter l'inspiration du musicien ? Est-ce que M. Sardou a négligé l'amour dans Patrie, qui ne me semble pas un drame à dédaigner ? Est-ce que Scribe ne s'en est pas servi dans le livret superbe des Huguenots – dont nous ne serions vraiment pas fâchés d'avoir aujourd'hui un pendant ?

En vérité, ce qu'on doit demander surtout à un auteur dramatique, et par conséquent à un librettiste, c'est d'exciter l'intérêt et l'émotion. C'est peut-être cet intérêt et cette émotion qu'on ne rencontre pas à un assez haut degré dans la Jacquerie, en dépit des amours du plébéien Robert et de la belle Blanche de Sainte-Croix, qui y sont présentées d'une façon un peu trop banale. Il se trouve que l'acte le meilleur de l'œuvre, le second – qui est superbe, scéniquement et musicalement – est précisément celui où il n'est nullement question de ces amours. Le reste est un peu trop « quelconque, » pour me servir d'un mot à la mode ; car si le reste était à la hauteur de cet acte vraiment bien venu, nul doute que le succès eut été triomphal. Je me hâte de dire que l'ouvrage a été d'ailleurs très favorablement accueilli, et qu'il le méritait à beaucoup d'égards. Et si les librettistes ont quelques reproches à se faire, on peut dire du compositeur, tout en faisant certaines réserves de détails, qu'il a affirmé cette fois son talent de la façon la plus heureuse.

L'insurrection paysanne si terrible connue sous le nom de « la Jacquerie » tirait son nom, on le sait, de celui de Jacques Bonhomme, sous lequel on désignait le paysan de France. C'était à la suite des revers et de la captivité du roi Jean. Ceux des nobles, si cruellement décimés à la bataille de Poitiers, qui avaient échappé au désastre, avaient d'énormes rançons à payer à l'Anglais. Ils ne trouvèrent rien de mieux que de pressurer les paysans, déjà écrasés sous le poids des impôts, et qu'ils réduisaient à la misère et à la faim. Tandis que les bourgeois, excités par Étienne Marcel, se révoltaient à Paris contre le dauphin, les paysans de l'Ile-de-France se soulevèrent en masse contre leurs seigneurs. « Quand les paysans, dit Duruy, apprirent que les bourgeois avaient commencé la guerre contre les nobles, ils crurent l'occasion bonne de se venger de leurs longues souffrances. Ils s'armèrent, se réunirent et se jetèrent sur les châteaux. Ceux de Beauvais donnèrent le signal... »

C'est en effet près de Beauvais, au village de Saint-Leu-de-Cérent [sic], au fond duquel on voit un château féodal, celui du comte de Sainte-Croix, que se passe l'action de la Jacquerie, en 1358. Le comte s'apprête à marier sa fille Blanche à un certain baron de Savigny, qui nous est présenté tout bardé de fer ; mais il entend que ce soient ses vassaux qui fournissent la dot de la fiancée, et il le leur fait dire brutalement par son sénéchal, qui est bien le monsieur le plus désagréable qu'on puisse imaginer et qui s'y prend de telle façon qu'il exaspère les paysans. Ce brave homme parti, ceux-ci, qui s'étaient bornés en sa présence à protester, songent à se révolter, et sont excités à la résistance par l'un d'eux, le bûcheron Guillaume, dont il semble que les auteurs aient voulu faire comme une personnification symbolique de Jacques Bonhomme. Mais à ces révoltés il faut un chef. Quel sera-t-il ? Ce sera Robert, le fils de la fermière Jeanne, qui arrive à l'instant de Paris, et qui semble tout désigné pour se placer à la tête des mécontents. Mais une fanfare annonce l'approche du comte, et l'on prend rendez-vous pour le soir, dans la forêt.

Le second acte nous mène en effet dans une clairière, au milieu des bois, où les paysans sont rassemblés. Ils jurent de se soulever contre leurs oppresseurs et de lutter jusqu'à la mort pour échapper au servage. Robert enflamme leur courage, mais à Guillaume, qui crie « Vengeance et mort ! » il réplique : « Non ! mais loyauté, pitié, justice ! » Les paysans l'acclament alors pour chef, et il accepte, lorsqu’arrive Jeanne, sa mère, qui, effrayée de la responsabilité qu'il prend, des dangers qu'il doit courir, prétend s'opposer à la volonté de tous : « Toi, leur chef, dit-elle, non, jamais ! Ta mère le défend. » C'est une lutte alors entre le fils, qui veut faire ce qu'il considère comme son devoir, et la mère, qui craint pour sa vie et lui reproche son ingratitude envers elle. Il y a là une scène fort belle et d'un superbe sentiment dramatique. Les objurgations de Jeanne sont coupées par les réponses de son fils, qui finit par lui montrer le calvaire élevé sur la route, en lui disant que si la Vierge Marie a consenti à laisser périr Jésus sur la croix pour le salut du genre humain, elle ne peut se refuser à le laisser se mettre à la tête de ses compagnons pour les arracher à la servitude et à la faim. Jeanne, vaincue alors, finit par céder, et comme elle s'agenouille au pied de la croix pour implorer la Vierge en faveur de son fils, tous se prosternent en entonnant le Stabat Mater. L'effet est puissant, grandiose, et l'impression est saisissante. Enfin, les conjurés se séparent après avoir fixé l'heure de l'action.

C'est au château du comte de Sainte-Croix que nous transporte le troisième acte. Là, tout d'abord, une fête de jeunes filles, dont je n'ai pas très bien saisi le sens, si ce n'est qu'elle est le prétexte d'un ballet qui arrive on ne sait pourquoi et qui n'a vraiment que faire en la circonstance. Cette petite fête terminée, vient un entretien du comte avec sa fille, qui n'est guère plus utile, et qui n'a pas plus de raison d'être. Tout cela est long, froid, sans intérêt. Pur remplissage. Il y avait, semble-t-il, mieux à faire pour préparer la scène maîtresse de l'acte, celle de l'envahissement du palais par la foule des paysans, qui, renversant tout sur leur passage, pages, serviteurs et valets, se ruent enfin dans le manoir et pénètrent jusqu'au comte sous la conduite de Robert. Les révoltés veulent imposer leurs conditions à leur seigneur, qui refuse avec hauteur et joint l'insulte au mépris. C'est alors que la bagarre commence. Blanche, attirée par le bruit, accourt auprès de son père, qu'un des conjurés étend à ses pieds d'un coup de hache. Elle veut mourir avec lui, et Guillaume se prépare à la frapper, lorsque Robert reconnaît en elle une jeune fille qui, à Paris, lui a sauvé la vie dans une émeute où il a été blessé. Il la couvre de son corps et la défend contre tous, au risque de passer pour un traître aux yeux des siens dont une partie se livre au pillage.

Quatrième acte, dans une chapelle ruinée, au milieu de la forêt. Après un moment de stupeur, les seigneurs se sont repris. L'union fait la force. Ils se sont réunis à leur tour et ont écrasé les Jacques, qui, ruinés, vaincus, sont traqués de toutes parts. Blanche est ici, auprès de Jeanne, et les deux femmes se lamentent, l'une sur la mort de son père, l'autre sur le sort de son fils, dont elle est sans nouvelles. La scène est heureusement conçue qui réunit ces deux femmes dans une douleur commune, en dépit de la différence de race et de l'opposition des sentiments, et qui les fait implorer la pitié céleste pour tous les malheureux. Tandis que Jeanne s'éloigne pour s'enquérir de ce qui se passe, arrive Robert à la recherche de Blanche. Il a voulu la voir une dernière fois. Elle lui reproche d'avoir tué son père, et il se défend avec indignation de ce crime qu'il n'a pas commis, tout en lui dévoilant un amour qu'il ose à peine lui avouer, lui, pauvre plébéien. On voit alors entrer Guillaume, le farouche bûcheron, qui accuse Robert de trahison. « C'est toi, lui dit-il, qui as fait venir les seigneurs ; tu comptais les rejoindre avec la demoiselle. Ils viennent comme grêle. Nous sommes perdus, mais vous serez pendus. Notre bande est là, les Jacques vont venir. Elle avec toi, vous êtes pris ! » Lorsqu'elle sait qu'elle va mourir, Blanche avoue à Robert qu'elle lui rend amour pour amour. À ce moment, on entend les Jacques qui s'approchent, ils font irruption, mais au moment où ils vont s'emparer des deux amants, les seigneurs arrivent à leur tour pour délivrer Blanche. Guillaume, alors, fond sur Robert, et lui plonge un poignard dans le cœur. En voyant tomber mort celui qu'elle aimait, Blanche jure de se retirer dans un cloître. Pour avoir été fait, défait et refait dix fois, et une dernière fois le soir même de la première représentation, pendant l'entr'acte qui le précédait, ce dénouement n'en est pas meilleur, et a quelque peu surpris le public. Il faut l'accepter tel quel.

On voit ce qu'est ce poème : très inégal, avec des scènes bien venues et d'une large envergure, et d'autres d'un caractère enfantin. Quant à la forme, bien qu'elle me laisse un peu indifférent et que je la sacrifie volontiers au fond lorsqu'il s'agit d'un drame lyrique, je ne puis m'empêcher d'y relever certains vers d'une rare incorrection au point de vue de la langue, tels que celui-ci :

Je voulais t'épargner, mais tu ne veux pas l'être...

ou cet autre encore :

Il a fait que je n’ai plus de père.

Mais passons, et arrivons à la musique, qui, je le déclare, fait le plus grand honneur à M. Coquard. Je dis bien à M. Coquard, car Lalo n'avait écrit que le premier acte, sans même avoir eu le temps de l'orchestrer entièrement. Or, malgré le profond respect que j'ai pour le talent et la mémoire de Lalo, je suis bien obligé de déclarer que cet acte est le plus faible, et je suis convaincu qu'il l'aurait modifié lui-même s'il l'avait pu voir à la scène. D'autre part, M. Coquard a écrit les trois autres actes, parmi lesquels le second est superbe et le quatrième fort remarquable. C'est donc sur lui que, pour ma part, je reporte le succès.

Je ne vois à signaler, dans ce premier acte, que la mélopée de Jeanne : Monsieur le sénéchal..., qui est d'un bon accent et d'un caractère heureusement expressif. L'objurgation de Guillaume : Jacques Bonhomme, courbe le front, courbe le dos ! manque absolument de personnalité, et remplace la couleur par la violence. La scène de Jeanne et de Robert est sans intérêt, et quant à l'air de Blanche, il est absolument insignifiant. Vraiment on ne retrouve, dans cet acte, aucune des qualités qui avaient brillé d'un éclat si vif dans la rayonnante partition du Roi d'Ys.

L'impression change avec le second acte, dont presque toutes les pages sont à signaler et dont l'ensemble est d'une rare beauté. La scène de la conjuration entre Robert, Guillaume et les chœurs est énergique et ferme. On souhaiterait sans doute un accent plus personnel, plus accusé, plus farouche au chant révolté de Guillaume : Sont-ils plus durs que les grands chênes ?mais le chœur qui suit, dans lequel les paysans acclament Robert pour chef, est bref, net et plein d'énergie, et toute la scène de la lutte de Jeanne contre son fils et les Jacques est largement traitée, bien conçue et vraiment théâtrale. Il y faut remarquer la belle mélodie si expressive de Jeanne : Ô mon enfant, quel sacrifice ! et la réponse de Robert : Mère, pardonne-moi le mal que je te fais, qui est d'un sentiment très dramatique et que les larges tenues de l'orchestre accompagnent merveilleusement. Et ce qui est vraiment très beau, c'est la scène chorale de la prière, où la voix de Jeanne, aux accents douloureux, plane sur l'ensemble du chœur qui chante le Stabat Mater. Ceci est absolument émouvant et d'un effet poignant.

Le troisième acte est moins heureux, bien que la scène finale, celle de l'irruption des paysans dans le palais, de leur lutte avec le comte et du massacre de celui-ci soit singulièrement importante et qu'elle eût dû fournir au musicien le motif d'un épisode plein de puissance. Je n'y vois à mentionner que quelques passages intéressants dans le duo du comte et de sa fille, surtout l'andante chanté par le comte : Tout seul, quinze ans je demeurai, qui est joliment accompagné par les violons en sourdines. Quant à la scène dont je viens de parler, et qui n'est que violente, il me semble que le compositeur y est resté au-dessous de la situation.

Le quatrième acte contient d'excellentes parties. La scène des deux femmes offre un vif intérêt, intérêt qui grandit sur ces mots : Pitié ! Pardon ! et le duo se termine sur un ensemble d'un caractère touchant, dans lequel les voix, heureusement soutenues par les violoncelles, se fondent de la façon la plus harmonieuse. L'apostrophe de Guillaume à Robert ne porte pas et laisse l'auditeur indifférent, mais il faut citer encore le duo de Robert et de Blanche, surtout la partie en dialogue, dans laquelle l'intervention de l'orchestre entre les demandes de Blanche et les réponses de Robert est du plus heureux effet. Malgré son intérêt pourtant, ce morceau me semble long : si proche de la fin, on voudrait la situation serrée de plus près et moins languissante.

Telle est l'œuvre, inégale, incomplète, mais empreinte d'un profond sentiment dramatique et généralement intéressante. Ne contint-elle que son second acte superbe, qu'elle devrait attirer l'attention sur M. Coquard, qu'elle place au rang des véritables artistes. J'ai fait quelques réserves, que je crois justifiées. J’en ferai aussi relativement à l'orchestre, orchestre sans recherche, mais généralement souple, solide et plein, et d'une bonne couleur. L'auteur semble affectionner les larges tenues d'instruments à vent qui en effet, soutiennent bien le chant et lui laissent toute sa liberté. Mais ce que je lui reprocherai, ce sont les éclats fréquents et intempestifs des cuivres, qui sonnent parfois, et trop souvent, avec une énergie déchirante. Pour n'en citer qu'un exemple, je m'arrêterai au dernier entr'acte, où leur furie est d'un effet absolument déplorable. Il serait bon, je crois, d'apaiser un peu ces effroyables sonorités.

Les deux héros de la soirée ont été Mlle Delna (Jeanne) et M. Jérôme (Robert). Cette jeune femme nous étonne à chaque nouvelle création pour son prodigieux instinct de la scène et la vérité qu'elle apporte à l'interprétation de chacun des personnages qu'elle est appelée à représenter. Avec cela une voix chaude, généreuse et superbe. Il faut cependant la mettre en garde contre certains défauts, entre autres une propension à l'exagération. Certains effets sont un peu gros, un peu excessifs, et elle devra se surveiller sous ce rapport. Puis, j'ai remarqué ici une tendance de sa part à ralentir tous les mouvements, ce qui alourdit à la fois le chant et l'action. Malgré tout, elle a été admirable et d'un pathétique puissant dans le second acte, qui lui a valu un véritable triomphe. M. Jérôme, lui aussi, est digne de tous les éloges pour la façon dont il a joué et chanté le rôle de Robert, et le public lui a fort justement témoigné toute sa satisfaction. M. Bouvet est excellent, à son ordinaire, dans celui de Guillaume, qui n'est pas le mieux venu de l'ouvrage, et auquel il a su donner néanmoins une rare originalité. M. Devriès a fait briller sa belle voix et son large style dans le personnage du comte. Je n'ose me prononcer sur la débutante, Mlle Yvonne Kerlord, chargée du rôle de Blanche. Je crois que la peur étranglait un peu sa voix mince, mais agréable, et paralysait jusqu'à un certain point son action. Il faudra la revoir.

Orchestre et chœurs, comme toujours, excellents.

Arthur Pougin.

Persone correlate

Violinista, Giornalista

Arthur POUGIN

(1834 - 1921)

Compositore, Giornalista

Arthur COQUARD

(1846 - 1910)

Compositore

Édouard LALO

(1823 - 1892)

Opere correlate

La Jacquerie

Édouard LALO Arthur COQUARD

/

Édouard BLAU Simone ARNAUD

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data di pubblicazione : 16/10/23