Chronique musicale. La Montagne noire
CHRONIQUE MUSICALE
OPÉRA : La Montagne noire, drame lyrique en quatre actes ; poème et musique de Mme Augusta Holmès.
L’auteur de la partition que vient de représenter l’Académie de musique, a conquis dès longtemps parmi les compositeurs, une place honorable.
Les grands concerts ont fait connaître ses poèmes symphoniques fort appréciés, dont les titres sont familiers à tous ceux qui suivent le mouvement musical. Il n’est pas de salon où l’on n’entende les nombreuses mélodies dues à son inspiration féconde. Enfin, l’on se souvient qu’à l’occasion de l’Exposition de 1889, elle écrivit spécialement l’Ode Triomphale à la gloire de la République, qui fut exécutée dans l’immense vaisseau du Palais de l’Industrie.
Le bagage artistique de Mme Holmès est, on le voit, fort respectable, et sans l’augmenter, elle aurait pu se contenter d’une notoriété enviable et bien faite pour satisfaire une ambition moins audacieuse que la sienne.
Après le surintendant célèbre, elle s’est écriée à son tour : « Où ne monterai-je pas ? » et dès lors, l’Opéra lui est apparu comme le sommet où elle irait planter son drapeau de conquête.
Mais ce n’est pas tout que de se hisser jusqu’aux cimes. Il faut pouvoir s’y maintenir, et tandis que le génie seul peut respirer librement dans l’atmosphère des culminantes altitudes, le simple talent y perd le souffle et à peine a-t-il abordé les sommets, qu’il retombe aux régions inférieures d’où jamais il n’aurait du s’écarter.
Mme Holmès a beaucoup de talent cela est incontestable, et elle est une artiste d’un extrême mérite ; mais elle a entrepris une tâche au-dessus de ses forces, et encore qu’elle y ait succombé, elle peut tenir cet échec pour un honneur.
N’y a-t-il pas en effet une très crâne vaillance à se dire : « Je m’expose à me casser le cou », et à risquer tout ce qu’il faut pour se le rompre, sans hésitation et sans faiblesse ?
Or, toutes les chances étaient pour que l’auteur de la Montagne noire essuyât cette disgrâce.
Ce que nous connaissions de Mme Holmès jusqu’à ce jour, — et son œuvre dernière nous confirme dans ce sentiment, porte l’empreinte d’une habileté voisine de la maîtrise ; mais toujours l’inspiration de la musicienne est le reflet d’autres inspirations.
Tels les lacs transparents, passifs et merveilleux miroirs qui reproduisent les grands spectacles de la nature, et qui n’ayant pas de couleur propre, empruntent celle du ciel qui plane au-dessus d’eux.
Mme Augusta Holmes reflète tour à tour Richard Wagner et Massenet dont elle procède directement, et du mélange de ces deux influences si diverses et si contradictoires, surgit une forme indécise et dépourvue de personnalité.
Pourtant, que de nobles efforts, que de vaillant labeur, que de conviction et d’énergie !
En vérité, on ne peut s’empêcher de regretter que tant de dons et de qualités n’aient pas valu un succès à la courageuse jeune femme, et au lendemain d’une bataille qu’elle était digne de gagner, on éprouve beaucoup de sympathie pour cette vaincue qui reste l’une des plus intéressantes et des plus fortes physionomies féminines de l’époque actuelle.
Mme Holmès a poussé l’imitation de Wagner, — le dieu qu’elle encense et qu’elle trahit, a dit plaisamment quelqu’un, avec l’auteur d’Hérodiade, — jusqu’à écrire elle-même le poème sur lequel elle a établi sa partition.
N’est-ce pas tout simplement l’aventure d’Hercule, arrêté sur le chemin par la vertu et par la volupté, et mis en demeure de choisir entre elles deux, dont elle nous donne une paraphrase développée ?
Hercule est ici revêtu d’un costume de Monténégrin, et il se nomme Mirko.
Au retour d’une escarmouche contre les Turcs qui cherchent à forcer les défilés de la Montagne noire, il doit épouser une fille de son village, Heléna qui l’adore et l’appelle : « L’or de son âme ».
Or, voilà qu’une danseuse, une ribaude musulmane, est amenée par les soldats chrétiens. On la soupçonne d’espionnage et l’on réclame sa mort. La belle éplorée tombe aux pieds de Mirko, et sa grâce lascive touche le jeune homme qui prie sa mère de la sauver en la prenant pour esclave.
Telle est à peu de chose près la matière du premier acte.
C’est affaire à la perverse créature de faire perdre la tête au fils de sa maîtresse, de le décider à abandonner sa fiancée et de l’entraîner à sa suite par les chemins, oublieux de ses serments, de son pays, du devoir, de tout, enfin.
Le second acte s’achève sur le départ des fugitifs.
Au début du troisième acte, et presque autant qu’il dure, c’est un duo d’amour entre Yamina (la danseuse) et son amant, dans une riante forêt qu’ils ont choisie pour y faire halte. Tandis qu’ils dorment enfin paisiblement, sous le bienveillant regard des étoiles, un Monténégrin, frère d’armes de Mirko, Aslar, sort d’un fourré, et réveillant son compagnon, il cherche à l’arracher à d’indignes amours.
Réveillée à son tour, au bruit du débat, l’énergique aimée qui n’entend pas que l’on entrave ses caprices, plonge un couteau dans le flanc du fâcheux qui désormais ne sera plus à craindre. Au dernier acte, la perte du lâche Monténégrin Mirko est un fait accompli. Le voilà vautré sur des coussins moelleux, dans un jardin de rêve, grisé par l’amour de sa folle compagne, ivre de vin et tout au spectacle de danses troublantes.
Tout à coup surgit celui que l’on avait cru mort. Aslar, une dernière fois, vient tenter de sauver son ami ; mais rien n’ayant prise sur cette âme avilie, il poignarde le lâche tandis que les Monténégrins, vainqueurs enfin des Turcs, pénètrent tumultueusement sur la scène et que la belle danseuse se sauve à toutes jambes, en criant : « J’ai peur ! »
Le canevas est fort sommaire et les épisodes manquent totalement de nouveauté.
Il en est toutefois qui ont un certain charme original.
De ce nombre est le chant de Dara, la vieille Monténégrine, au premier acte :
Si mon fils meurt…
Les joueurs de guzla boiront à sa santé de brave.
Un accompagnement fort ingénieux et fort original souligne la phrase.
Les chants de Yamina, aux premier et deuxième actes, évoquent malheureusement le souvenir de l’air de Vahreda au 1er acte du Mage et celui des mélodies persanes de Rubinstein. Ils sont en outre écrits de façon bien déconcertante pour l’interprète chargée de les détailler.
Tandis que nous relevons les pages les plus colorées, voici le chœur et la danse du dernier acte, d’un orientalisme certes conventionnel, mais nullement déplaisant.
Les scènes d’amour, — il y en a plusieurs, mais celledu second acte est capitale, au point de vue de la dimension,— sont traitées avec mièvrerie et le tour élégant qui y domine n’est pas de mise à l’Opéra.
Toute banalité n’est pas écartée des airs patriotiques, chants de victoire, hymnes de guerre, etc., et l’orchestre dont le rôle était de rehausser ces défaillances de style, n’a jamais cherché à les masquer.
Somme toute, la partition désignée comme drame lyrique est bien plutôt conforme aux formules du vieil opéra, et cela est fait pour étonner, surtout de la part de Mme Holmès dont les théories nous promettaient tout autre chose qu’une œuvre rétrograde.
C’est à Mlle Bréval qu’est échu le rôle de Yamina.
Son généreux organe y a sombré, tandis qu’elle manquait totalement du charme exquisement pervers, indispensable à son personnage, et dont sa belle camaradeMme Héglon nous donne un si complet et si parfait modèle dans sa superbe création de Dalila.
Mlle Berthet (Héléna) a paru bien terne en fiancée délaissée.
Quant à Mme Héglon (Dara), en acceptant avec un dévouement qui est tout à la louange de cette véritable artiste, un court rôle de vieille femme, elle a su trouver de nobles et beaux accents et forcer les applaudissements unanimes. M. Alvarez (Mirko) est bien, comme il faut toujours, même pour un Monténégrin de race, et la belle voix de ce chanteur est malheureusement gâtée par sa prononciation maniérée.
M. Renaud a dépensé tout son art à mettre en lumière la partie effacée d’Aslar, et si le rôle reste sans intérêt, il n’en est pas de même du jeune artiste dont les progrès comme chanteur et comme tragédien sont incessants.
M. Gresse tient avec une autorité magistrale un bref rôle de pope, et nous n’aurons oublié personne en vantant la grâce irrésistible de la toute belle Béatrice Torri, idéale aimée dont la poétique danse rayonne sur leQuatrième acte.
Faut-il parler de la mise en scène, des costumes et surtout des fusils dont sont armés les Monténégrins ?
Ces armes sont, paraît-il, d’une exactitude qui fait la joie des connaisseurs.
Ce qui n’a pas fait celle des habitués de l’Opéra, c’est de retrouver, derrière les remparts d’une forteresse du Monténégro, la Maladetta, toute blanche, et jurant terriblement avec l’étiquette de montagne noire dont on l’a affublée à tort pour la circonstance.Ces questions de détail, auxquelles la direction de l’Opéra semble attacher une si médiocre importance, en ont pourtant beaucoup pour les spectateurs, et ne serait-il pas à désirer qu’on n’eut point à les relever sur une scène qui devrait être la première du monde, et où tout devrait être absolument parfait ?
A. BOISARD
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data di pubblicazione : 01/11/23