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Théâtres. Carmen

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Théâtres 
Carmen, opéra-comique en quatre actes, tiré de M. Mérimée, par MM. Henri Meilhac et Ludovic Halévv, musique de M. Georges Bizet.

La nouvelle de Prosper Mérimée intitulée Carmen est assez connue de tout le monde pour qu’il nous paraisse superflu d’en rappeler ici le sujet. Chacun a lu le récit tragique et accidenté des amours de Don José, ce soldat devenu contrebandier, puis brigand, pour les beaux yeux d’une bohémienne, hélas ! aussi séduisante que volage. Nous aurons d’ailleurs l’occasion de nous occuper tout à l’heure de cette donnée, lorsque nous examinerons le parti qu’en ont su tirer MM. Meilhac, Halévy et Bizet. Laissons donc de côté, pour le présent, les détails et les épisodes, et bornons-nous à poser une simple question. En respectant la pensée de l’écrivain, y a-t-il dans Carmen le sujet d’un opéra comique, ou seulement d’une véritable pièce de théâtre ? Évidemment, MM. Meilhac, Halévy et Bizet, et d’autres encore, nous n’en doutons pas, répondront oui. Nous pensons le contraire. Ah ! s’il suffisait, pour composer un bon poème, d’accumuler situations sur situations, incidents sur incidents, de varier à l’infini, grâce à d’habiles contrastes, l’intérêt scénique, certes nous serions de l’avis de ces librettistes, et nous n’hésiterions pas à les remercier chaleureusement d’avoir présenté Carmen aux feux de la rampe. Mais les éléments que nous venons d’énumérer, tout indispensables qu’ils sont, ne peuvent constituer à eux seuls un bon ouvrage. Pour qu’une œuvre théâtrale soit bien faite, il lui faut non seulement de la vie, mais des caractères bien tracés et surtout intéressants. Y en a-t-il de semblables dans l’œuvre de Mérimée ? Peut-on réellement s’attacher au théâtre, aux faits et gestes de ces deux personnages, dont l’un n’est à proprement parler qu’une courtisane aventureuse, cynique et sans grandeur, même dans ses crimes, et l’autre un pauvre héros qui, par faiblesse, se laisse dépouiller de l’honneur d’abord, de son amour ensuite, et enfin y laisse jusqu’à sa vie ? Dans un récit, dans une nouvelle à la main, de telles descriptions, savamment habillées par la richesse et la coloration d’une forme exquise, peuvent être acceptables, – et encore faut-il avouer que le récit de Mérimée demeure froid, malgré ses côtés dramatiques, – mais, au théâtre, il faut autre chose. La forme s’efface devant les caractères. Et alors, s’ils ne sont pas bien trempés, tout l’édifice, quelque habilement construit qu’il soit, s’effondre. Le mauvais côté de la conception apparaît flagrant dans une nudité froide, et le mirage disparaît.

Voilà, suivant nous, les raisons qui auraient dû prévaloir dans l’esprit des auteurs de la Carmen de l’Opéra-Comique. On comprend facilement pourtant qu’ils aient été séduits. L’Espagne, son soleil et ses passions fougueuses, des brigands, des bohémiens, des toréadors, des combats au couteau, en voilà certes plus qu’il n’en faut pour allécher des esprits avides des effets dramatiques et romanesques, toujours à la piste de ce qui peut passionner le public. Et puis, n’y a-t-il pas dans tout cela mille prétextes à spectacle et n’est – ce point une belle occasion de faire de la couleur locale, si recherchée au théâtre à notre époque ? En outre, que de musique diverse et bizarre à composer sur un ensemble de situations aussi riche et aussi varié ! Tout cela était bien tentant, il faut l’avouer, pour les trois auteurs. Mais, nous le répétons, la splendeur du fourreau devait-elle faire oublier que la lame était de plomb ?

Laissons ces considérations. Telle quelle, avec ses défauts et ses qualités, Carmen, opéra comique, existe. C’est maintenant un fait accompli : parlons un peu de l’ouvrage en lui-même.

Dans ce livret aussi long qu’accidenté, nous nous plaisons à reconnaître que MM. Meilhac et Halévy ont respecté, autant que cela était possible, les idées et le plan tracé par Mérimée. La majeure partie des dialogues se retrouvent même littéralement dans la nouvelle. De place en place, on peut signaler quelques changements heureux. Ainsi, les librettistes ont fondu dans un seul rôle, celui du toréador Escamillo, le personnage de Garcia le Borgne et les autres amants de la bohémienne. Mais ce sont là des transformations nécessitées par la scène et d’ailleurs sans grande importance. Un rôle épisodique, celui de Micaëla, sœur de lait de Don José, sorte de bon ange comme l’Alice de Robert le diable, a seul été ajouté, sans doute pour jeter de temps à autre une note honnête dans ce foyer resplendissant de haines, de crimes et de hontes. Au point de vue général les deux premiers actes, puis le troisième, sont les plus intéressants et les mieux coupés. Le quatrième a paru médiocre et écourté. La faute en est au dénouement, qui est à peu de chose près celui de la nouvelle. Il est brutal, sans être ni scénique ni réellement dramatique. Nous ne raconterons pas le poème en détail, Mérimée s’étant chargé de ce soin avec une habileté et un talent devant lesquels nous devons nous effacer ; cependant il nous paraît utile d’en esquisser les données principales. Carmen, jeune bohémienne, courtisane, contrebandière, voleuse, et commettant assez facilement tous les crimes lorsque le cœur lui en dit, possède cependant deux qualités : elle est habile et abhorre le mensonge. Carmen a fasciné un jeune brigadier de dragons, Don José, chargé de la conduire en prison. Pour l’amour de cette furie bizarre, le pauvre soldat laisse d’abord échapper la coupable, se fait dégrader, emprisonner, puis déserte et devient contrebandier et voleur lui – même, afin de pouvoir suivre sa fringante amoureuse.

Mais Carmen joint à ses vices d’être volage. L’amour de Don José lui pèse bientôt, et d’autant plus qu’un beau toréador rôde autour d’elle en quêtant ses regards. José, furieux de rage et de jalousie, ne se contient plus. Après un duel au couteau sans résultat, avec son rival, il supplie une dernière fois Carmen de le suivre, et, comme celle-ci le refuse et le nargue en lui jetant à la face les présents qu’elle tient de lui, il l’étend à ses pieds, mortellement frappée de deux coups de sa navaja. Ajoutez à cela les rôles épisodiques de trois bohémiennes, du contrebandier Dancaire, de Micaëla, du toréador, et du colonel de dragons ; et l’on pourra se faire une idée, bien sommaire à la vérité, de la nouvelle pièce de MM. Meilhac et Halévy. Le grand défaut de ce livret, nous le répétons, est de ne point assez attacher le spectateur aux principaux personnages. On ne peut aimer Carmen. Don José intéresse peu. Micaëla et le Toréador pourraient peut-être attirer à eux les sympathies, si on les voyait plus souvent, mais ils sont si rares et placés tellement au second plan qu’ils restent dans l’ombre. De la sorte on est pendant plusieurs heures dans l’attente d’une émotion puissante ou d’un sentiment entraînant, on halète sans discontinuer, et l’on est tout étonné après le coup de couteau final d’être demeuré froid, de n’avoir presque rien ressenti, tout en ayant été tenu comme sous le charme.

Cependant, pour être juste, il nous faut dire que le seul fait d’avoir osé présenter un sujet aussi accentué sur une scène habituée généralement à des données plus anodines, est une tentative louable. Le genre de l’opéra comique demande en effet, depuis longtemps, à être transformé ; et cette transformation est d’autant plus nécessaire que, si elle ne s’accomplit pas, le genre peut mourir d’inanition. Aussi, malgré les critiques que nous venons de faire plus haut, nous ajouterons qu’il faut savoir gré à MM. Meilhac et Halévy d’avoir tenté cette révolution.

La musique de M. Bizet s’est ressentie de l’état particulier du livret. Admirablement travaillée, fine, délicate, bizarre et variée, comme les tumultueuses et diverses passions du monde étrange qu’elle exalte et qu’elle veut peindre, elle est toujours élégante, quelquefois chaude, mais elle demeure d’un bout à l’autre dans une teinte grise qui, sans être monotone, ne laisse pas de causer à l’esprit une sorte de fatigue vague. C’est bien là, il est vrai, du style espagnol, on peut le reconnaître à chaque instant ; mais des harmonies trop cherchées attiédissent malheureusement ce que ce style possède de pétillante clarté.

On voudrait plus de lumière, plus de simplicité, plus d’éclatante grandeur dans certains moments. Et puis, qu’on nous permette cette expression, il y a peut-être trop de musique dans la partition de M. Bizet. Une seule phrase : « Toréador ! toréador ! » revient à plusieurs reprises et malheureusement elle frise la banalité. Cela est regrettable. Cependant, hâtons-nous de le dire, Carmen est une œuvre de valeur réelle et qui dénote chez le compositeur un grand fonds de science, d’idée et d’originalité. Son unique défaut tient au livret, car, malgré tous ses efforts, on voit que M. Bizet n’a jamais pu s’éprendre sérieusement de sa Carmen, pas plus qu’il n’a pu s’incarner suffisamment dans le personnage du bandit Don José.

Le rôle de Carmen a été un véritable triomphe pour Mme Galli-Marié. Il nous paraît impossible de se montrer plus comédienne et meilleure cantatrice qu’elle ne l’a été d’un bout à l’autre de l’ouvrage. La tâche était ardue. Donner au personnage de la bohémienne sa couleur endiablée et ardente, se montrer à la fois folle et fatale, tout en restant dans les limites du respect que l’artiste doit au public qui l’écoute et l’admire, était chose difficile et scabreuse. Mme Galli – Marié a su y réussir avec un tact et un art dignes des plus grands éloges. Aussi les applaudissements qu’elle a recueillis ont-ils été enthousiastes.

Nous regrettons de n’avoir pas les mêmes félicitations à adresser à M. Lhérie (Don José). Soit que le rôle ne lui convînt pas, soit pour toute autre raison que nous n’avons pas à apprécier, cet artiste s’est montré chanteur passable, mais comédien médiocre du commencement à la fin. Ses fureurs jalouses, ses éclats, son amour même ont été gauchement exprimés. Peut-être, avec le temps, arrivera-t-il à s’identifier davantage avec le rôle qu’il a à interpréter. Il faut le désirer, sans cependant trop y compter. Quant à Mmes Ducasse et Chevalier, les deux bohémiennes, elles ont été pleines de verve, de charme et d’entraînante gaieté. M. Bouhy, le toréador Escamillo, a parfaitement rempli son bout de rôle ; chanteur excellent comédien distingué, ayant de plus une belle prestance, il a su s’attirer de légitimes bravos. Pour Mlle Chapuy, elle a été remarquable de sentiment dans le rôle de Micaëla ; sa voix et son charme ont su émouvoir profondément l’auditoire. Enfin citons encore MM. Dufriche et Potel, l’officier de dragons, et le contrebandier Dancaïre, qui se sont acquittés convenablement de leurs personnages.

En résumé, et malgré la critique peut-être un peu sévère que nous avons cru devoir faire sur la nature même de l’ouvrage, cette représentation a été l’une des bonnes soirées qu’ait données l’Opéra-Comique depuis longtemps. Décors, costumes et mise en scène méritent à M. Du Locle des félicitations, et il n’est pas jusqu’à M. Deloffre, le chef d’orchestre, qui n’ait paru sortir de son apathie habituelle et communiquer aux musiciens qu’il dirige un peu de l’entrain qui leur manque généralement.

Persone correlate

Compositore, Pianista

Georges BIZET

(1838 - 1875)

Opere correlate

Carmen

Georges BIZET

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Henri MEILHAC Ludovic HALÉVY

Permalink

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data di pubblicazione : 23/09/23