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Encore un mot sur le concours de composition musicale à l'Institut (suite et fin)

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ENCORE UN MOT
SUR LE CONCOURS DE COMPOSITION MUSICALE À L’INSTITUT,
EN RÉPONSE AU DERNIER ARTICLE DE M. GERMANUS LEPIC.
Suite et fin

Si le mode de jugement imposé aux lauréats est injuste et déraisonnable à notre avis, le genre d’exécution que doivent subir leurs ouvrages ne l’est pas moins. Ici, monsieur, la divergence de nos opinions ne porte pas précisément sur le fait en lui-même, car vous convenez qu’exécuter au piano des compositions écrites pour l’orchestre est un très-grand inconvénient, qui ne peut s’expliquer que par la dépense énorme à laquelle donneraient lieu la réunion d’un orchestre et les répétitions de dix cantates différentes ; mais vous ajoutez à la défense de cet article du réglement académique, qu’un pianiste accompagnateur habile sait faire comprendre jusqu’à un certain point la différence de caractère des instrumens, et que les gens dont l’oreille est exercéedistinguent fort bien, même à l’audition au piano, un travail où l’instrumentation est traitée avec soin, de même qu’il, reconnaissent à la nature des mélodies, rentrées, phrases incidentes, etc., à quels instrumens ces détails sont confiés.

D’abord, monsieur, je suis convaincu que vous ne regardez pas les peintres, sculpteurs, graveurs et architectes comme devant nécessairement avoir l’oreille exercée, et ensuite je vous avouerai que, dans le cas même où ils seraient doués au degré le plus éminent de la finesse d’organes et de l’intelligence musicale, je me refuse absolument à croire à la possibilité d’une pareille appréciation. Supposons, en effet, que la tâche de réduire les partitions du concours et de les exécuter soit confiée au plus habile pianiste, supposons Listz par exemple ; supposons en outre que vous soyez appelé (comme les peintres, statuaires, graveurs, etc.) à décider du mérite d’un orchestre ainsi représenté par le plus puissant piano connu ; si vous entendez une mélodie douce et tendre dans le haut du clavier, pourrez-vous dire avec quelque motif de certitude que cette mélodie a été écrite pour les violons, pour une flûte, pour un hautbois ou pour une clarinette ? S’il s’agit d’une phrase exécutée dans le médium, distinguerez-vous s’il s’agit d’un cor, d’un alto, d’un violoncelle, d’un cor anglais, d’un cor de basset ou d’un basson dans le haut ? Si vous entendez, au contraire, un dessin remarquable au grave, saurez-vous si l’auteur l’a placé dans les basses, ou dans les trombonnes, ou dans l’ophicléide, ou dans l’échelle inférieure des bassons ? franchement, je n’en crois rien. Pour mon compte, je suis assuré que s’il m’arrivait de répondre juste à une question ainsi posée, c’est au hasard seul que j’en serais redevable ; car malgré toutes les ressources de l’immense talent de Listz, je sais fort bien qu’il ne lui est pas plus possible qu’à tout autre de changer le timbre de son instrument, au point de faire reconnaître les différences qui caractérisent les voix si diverses de l’orchestre. Et les effets résultant de l’éloignement et de l’entrecroisement des parties, des sons tenus, enflés, des sons individuels (c’est-à-dire sortant d’un instrument seul) opposés aux sons unis d’une masse homogène, comme la masse des violons, où retrouver tout cela ? Comment concevoir la possibilité de reproduire sur un piano, quelque bon et quelque bien joué qu’il soit, ces mille et une finesses, ces nuances fugitives, ces piquantes oppositions, ces éclats terribles, ces vastes ondulations, qui font de l’orchestre une puissance gigantesque et réellement sans rivale dans notre monde musical ? Non, rien n’est plus chimérique qu’une pareille prétention ; et je crains bien, monsieur, que le parti de défendre cet article du réglement n’ait été pris par vous dans un de ces momens où vous avouez aimer un peu la contradiction. Je croirais même que vous avez tant soit peu raillé, en disant que le mode de jugement du concours de musique à l’lnstitut n’est probablement pas le meilleur, absolument parlant, mais bien le plus raisonnable EN ATTENDANT MIEUX. Cet en attendant est bien ironique, car il n’y a guère que trente ans qu’on attend, et vous n’ignorez pas qu’on désespère, alors qu’on espère toujours.

Il ne nous reste plus à débattre que l’opportunité du voyage purement poétique et fort peu musical que les lauréats doivent faire en Italie.

Disons d’abord qu’à l’époque de la fondation du prix de composition musicale, l’Italie présentait encore aux jeunes artistes des ressources évidemment supérieures à celles qu’ils pouvaient trouver à Paris. Depuis lors, l’art n’a pas rétrogradé, si l’on veut, mais il est resté stationnaire pendant qu’il faisait dans le reste de l’Europe de rapides progrès. Si cet article réglementaire, qui a certainement eu pour but, dans le principe, d’introduire les lauréats au sein d’une civilisation musicale plus avancée que la nôtre, se trouve aujourd’hui en contradiction avec son objet, ce n’est pas l’esprit qui l’a dicté qu’il en faut accuser, mais seulement le système d’immobilité et de pétrification qui rend l’Institut presque incapable de revenir sur une décision prise, bien que les motifs qui ont dû l’amener une fois, puissent ne plus exister. Mais, laissant de côté cette question, vous ne voyez, monsieur, dans le voyage de Rome qu’une occasion d’apprendre les passions de la vie, dans le pays où la vie est la plus énergique, où les émotions sont le pain de chaque jour ; bien qu’à mon avis, un artiste âgé de vingt ans et plus, auquel le séjour de Paris n’aurait pas suffi pour apprendre la vie passionnée, (si toutefois on peut l’apprendre) dût être organisé de manière à ne rien sentir au noble et triste aspect de l’Italie,

Divine Juliette au cercueil étendue,

je conviendrai cependant (et j’en ai toujours convenu) que, sous ce rapport, un tel voyage peut avoir une heureuse influence sur certaines organisations, et que si les artistes capables d’en profiter ne se trouvent que rarement, ce n’est pas la faute de l’institution. Seulement, je croirai toujours qu’il est inutile de les retenir si long-temps dans l’État romain, quand ils brûlent du désir d’explorer l’Italie du sud, la Sicile, les Calabres, la grande Grèce en un mot, cette terre antique par excellence, qui de plus a le mérite de n’avoir pas été fouillée, piétinée, dans tous les sens, dessinée et décrite sous tous ses aspects, vulgarisée enfin comme le sont Rome, Naples et toutes les stations des Touristes. En outre, je suis convaincu que le moment est fort mal choisi pour renvoyer de Paris des artistes dont la principale ambition est de se distinguer à Paris ; et si l’une des cinq années de leur pension devait être désignée irrévocablement pour les impressions de voyages, il me semble que ce devrait être la dernière non les deux premières. En effet, que faut-il à un musicien pour se faire jour ? Des libretti, s’il veut écrire pour le théâtre, et, dans tous les cas, des exécutants et un public. Le jour de son couronnement, à l’institut, le lauréat est pourvu de tout cela, pour la première fois ordinairement, et trop souvent pour la dernière. Comme les plus petites circonstances, dans notre tourbillon parisien, amènent souvent des événemens d’importance, si le jeune compositeur n’était pas obligé de s’expatrier, il se trouverait, au moment de son premier succès, dans la meilleure position possible pour en obtenir d’autres. Son ouvrage solennellement exécuté devant une assemblée où se trouvent d’ordinaire beaucoup d’hommes de lettres, peut inspirer à l’un d’eux assez d’estime pour le talent de l’auteur, pour qu’il lui confie une pièce ; si l’effet de la cantate couronnée a été vraiment saillant, il en peut résulter, pour le lauréat, des avantages de toute espèce ; des sympathies puissantes lui pourront être acquises ; chacun s’empressera de lui tendre la main ; les directeurs des théâtres lyriques, subissant eux-mêmes l’influence de cette petite puissance qui vient de poindre à l’improviste, seront peut-être tentés de lui ouvrir leurs portes ; et notre artiste enfin entrera sérieusement dans la carrière. Fort de son installation sur la scène, que les quatre premières années de sa pension et la force de son succès académique lui auront permis d’assiéger en règle, s’il ne l’a pas prise d’assaut le premier jour, l’artiste peut alors sans danger quitter Paris pour un an ; sa place y est marquée, il la retrouvera au retour. Qu’il voyage donc, c’est le cas ; il ne peut que gagner à s’exposer aux rayons vivifians d’un soleil plus ardent, à respirer une atmosphère chargée de parfums et de lumière ; qu’il aille, pieux pélerin, déposer son chaste baiser sur le front de la morte, admirer la grâce ineffable de son attitude, l’expression sublime de ses traits, la richesse prodigieuse des ornemens dont l’art s’est plu à couvrir sa tête et son beau sein ; qu’il écoute attentivement toutes ces voix sortant de la toile et du marbre pour raconter le passé ; il y a bien là de quoi échauffer et agrandir le cœur de l’artiste, j’en conviens, de quoi lui faire oublier quelque temps même la musique.

Au lieu de cela, qu’arrive-t-il au lauréat, dans l’état actuel des choses ? Son succès, s’il en obtient un, lui devient parfaitement inutile ; un poète dramatique serait-il tenté de lui confier un ouvrage, il se bornera à lui dire : « À votre retour, dans deux ans, je tâcherai d’écrire quelque chose pour vous. » Un directeur aurait envie d’utiliser un talent qu’il reconnaît lui-même incontestable, il ne pourra le faire ; il devra attendre l’expiration des deux fatales années. Et quand enfin d’exilé reviendra, le directeur aura quitté l’administration, ou, s’il y est resté, il aura complètement oublié le compositeur, et ne se souviendra pas même de son nom ; l’homme de lettre se trouvera environné de nouveaux associés ; il aura contracté avec eux de nombreux engagemens : d’ailleurs l’effet moral du succès de notre musicien aura depuis long-temps été effacé de l’esprit du poète ; des rivaux l’auront prévenu contre l’absent, la confiance aura disparu ; et quand le pauvre compositeur remettant le pied sur le sol de la patrie, croira n’avoir plus qu’à se mettre à l’œuvre pour lui montrer ce dont il est capable, tous les appuie lui manqueront à la fois ; la porte par laquelle il pensait entrer sera murée ; les amis qu’il croyait s’être faits, tendront la main à d’autres ; il se retrouvera dans Paris, faible, pauvre, inconnu, nu,

Et gros Jean comme devant.

À l’égard du dernier article du réglement, par lequel l’Académie s’engage à procurer à chaque lauréat, à la fin du temps de sa pension, un livret d’opéra, et à le faire jouer sur un théâtre, je vous répondrai, Monsieur, que si, comme vous le pensez, l’Académie n’a aucune action quelconque sur aucun théâtre, elle a grand tort de laisser subsister cette promesse formellement exprimée et imprimée dans son réglement, qui est entre les mains de tous les élèves. Il ne faut promettre que ce qu’on peut tenir. D’ailleurs il n’en est pas ainsi, et parmi les conditions du privilège de l’Opéra-Comique, le ministère de l’intérieur impose très-positivement à MM. les directeurs dudit théâtre, celle d’accorder un tour de faveur à chaque lauréat, pendant les deux dernières années de sa pension. Donc, si l’Académie voulait adresser au ministre d’énergiques réclamations, nul doute que l’autorité ne se fit un devoir d’intervenir, d’empêcher les manœuvres au moyen desquelles les directeurs actuels savent éluder cette clause de leur contrat, et de les contraindre de vive force à l’exécuter, puisqu’ils ne croient pas de leur intérêt de s’y conformer de bonne grâce.

Loin de là, l’Académie n’a pas plutôt donné à ses lauréats l’accolade maternelle qu’elle semble pressée de se débarrasser de ces nouveaux nés ; elle se hâte de les expédier pour Rome, pour les éloigner, autant que possible, de ses yeux, et n’en plus entendre parler. Ce n’est pas là, ce me semble, faire preuve à leur égard d’une bien vive tendresse. Espérons que le temps amènera les améliorations que le triste sort des artistes réclame aussi vivement que les intérêts de l’art, et que vous désirez, Monsieur, j’en suis convaincu, tout autant que moi.

Agréez, etc.

HECTOR BERLIOZ.

Persone correlate

Direttore d’orchestra, Compositore, Giornalista

Hector BERLIOZ

(1803 - 1869)

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data di pubblicazione : 02/11/23