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Encore un mot sur le concours de composition musicale à l'Institut

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ENCORE UN MOT
SUR LE CONCOURS DE COMPOSITION MUSICALE À L’INSTITUT,
EN RÉPONSE AU DERNIER ARTICLE DE M. GERMANUS LEPIC.

Vous dites d’abord. Monsieur, que cette institution a du bon, et que si elle n’existait pas, ses adversaires l’appelleraient à grands cris. Ce que je lui trouve de bon, ce sont les quinze mille francs qu’elle met en loterie tous les ans au bénéfice des jeunes musiciens ; c’est plus que rien incontestablement ; car s’il est reconnu en justice criminelle qu’il vaut mieux absoudre dix coupables que condamner un innocent, on peut dire aussi qu’il est plus noble et plus digne d’une grande nation comme la nôtre d’encourager trente médiocrités que délaisser un homme de génie, ou même seulement un homme de talent mourir de misère.

Sous ce rapport, j’avoue donc que vous avez raison ; mais si l’institution n’existait pas, je suis fort loin de croire qu’il put venir à l’esprit de quiconque s’intéresse de près ou de loin à la musique, d’en souhaiter une semblable. 

Par cette déclaration, me voilà rangé, non plus parmi les gens qui, faisant de l’art à la manière du Constitutionnel, calculent mesquinement les sommes que coûtent les récompenses, mais parmi ceux qui taquinent sur les moyens d’exécution et s’indignent de voir ces récompenses, qui pourraient être fort utiles, décernées aussi légèrement.

Vous m’accordez que, dans le concours préliminaire, l’élève ne prouve pas en faisant une fugue qu’il sache écrire pour le caractère des divers instrumens. J’ajouterai qu’il ne prouve pas même par là qu’il connaisse seulement leur étendue, ce qui est bien pis. Il ne prouve pas non plus qu’il ait les moindres notions de la prosodie française, puisque ladite fugue est écrite sans paroles. Tout en reconnaissant avec vous que la fugue est un exercice très utile, (chose que je n’ai jamais niée), et de plus, qu’en maintes circonstances elle peut être regardée comme une excellente forme musicale et comme la meilleure manière de traiter certaines idées, je persiste à croire que la faire servir à prouver l’aptitude des candidats pour la musique dramatique, qui est le véritable objet du concours, est une absurdité palpable. Il s’agit par cette épreuve de faire que les membres de la section de musique ne puissent avoir à s’occuper du barbouillage informe d’un présomptueux ignorant ; mais le but n’est pas atteint. En effet, ou il faut que les élèves prouvent qu’ils possèdent des notions suffisantes de tout ce qui constitue l’art du compositeur, ou ils devront témoigner seulement de la connaissance d’une spécialité de cet art. Dans ce dernier cas, n’est-il pas évident que le sujet de concours préliminaire, qui se rapprocherait le plus de celui du concours définitif, serait le seul convenable, et que choisir au contraire un exercice sans application directe à la grande épreuve que l’élève va subir, est le meilleur moyen d’exposer des hommes comme Chérubini, Lesueur, Berton, Auber, Halevy, etc., à perdre leur temps sur des partitions ridicules, indignes de leur attention ? 

Quant au chœur qu’on fait écrire par les élèves au concours préliminaire, son utilité ne me paraît pas contestable ; pourquoi donc avoir pendant si long-temps négligé l’exécution de cet article du règlement ? Je suis témoin que de 1826 à 1830 il n’en était même pas question. On n’exigeait de nous que la fugue pure et simple. 

Continuons. Nos concurrens sont choisis ; ils vont recevoir les paroles de la cantate à mettre en musique. Ici, Monsieur, sans paraître beaucoup plus que moi charmé de la prétentieuse platitude, de la classique enflure et des formes invariables des poèmes que les jeunes musiciens doivent chaque année subir à l’Institut, vous ajoutez cependant que cet inconvénient n’est qu’apparent ; car les plus belles poésies n’ont presque toujours inspiré que de très-faibles musiques, et Mozart a fait un chef-d’œuvre avec le texte de la Zauberflœte

Les plus belles productions des poètes ont rarement, il est vrai, bien inspiré les musiciens, mais cela tient seulement à ce que les poètes en écrivant les œuvres qui les ont immortalisés, ou n’ont pas pensé à les disposer pour la musique, ou n’ont pas pu y parvenir. Et si Mozart a écrit une partition sublime sur des paroles indignes de lui, c’est d’abord parce que ces paroles, dépourvues de mérite poétique, avaient au moins celui d’être disposées musicalement, et que, de plus, elles ne le contraignaient pas de vive force à écrire des lieux communs. Certes, entre des personnages tels que Zorastro, les prêtres d’Isis, etc., agissant dans les temples immortels de la mystérieuse Égypte, et ces amans imbéciles dont la passion se colore invariablement des feux de la naissante aurore[1], la distance est immense ; et je ne crois pas que Mozart eût trouvé pour un des poèmes académiques la moindre des inspirations dont il a su enrichir son modeste livret. 

À présent venons-en à la question principale, celle du mode de jugement et du mode d’exécution que doivent subir en dernier lieu les malheureux lauréats. 

Il ne s’agit plus en effet pour eux dans cette épreuve décisive d’être jugés par six musiciens aidés de deux peintres, comme ils l’ont été huit jours auparavant, mais bien par trente-deux peintres, statuaires, graveurs et architectes, aidés de six musiciens. Vous trouvez que c’est un moyen de combattre les coteries et les préférences des professeurs ; il me serait facile, si je voulais entrer dans certains détails, de vous prouver le contraire ; je me bornerai à dire que si les musiciens de l’Académie sont appelés à voir leurs élèves jugés par leurs confrères, peintres et sculpteurs, ceux-ci en revanche doivent voir les leurs jugés un autre jour par les musiciens… Et dans cet échange de bons services, je ne sais si l’on peut croire sérieusement à de l’impartialité[2].

Le seul moyen de combattre les influences personnelles serait d’empêcher absolument les juges, quels qu’ils fussent, de connaître les noms des candidats. Loin d’en rechercher les moyens qu’on pourrait trouver aisément, on exige au contraire que les manuscrits soient signés ; vous voyez donc bien qu’on a peur de se tromper et qu’on veut éviter de laisser la couronne s’égarer sur la tête d’un candidat auquel on ne la destinaitpas. 

Mais supposons à tous les membres de ce singulier jury une impartialité complète, supposons-les tous attentifs ; supposons que les peintres ne s’amusent pas, pendant l’exécution des cantates, à dessiner la cantatrice ou à faire sur une carte la charge de l’accompagnateur pour les faire passer à leurs voisins ; supposons que pendant que les uns rient, les autres ne dorment pas, et examinons seulement s’il peut tomber sous le sens d’aller choisir des peintres, des statuaires et des architectes pour décerner un prix de composition musicale. 

« Il ne s’agit plus là, dites-vous, d’apprécier la correction des morceaux, selon la grammaire spéciale de la musique. Une épreuve préparatoire y a pourvu. » En effet, il ne s’agit plus de cela, mais il s’agit certainement de juger du style et de l’invention. Car un compositeur qui n’a ni style ni invention ne mérite aucune espèce d’encouragement. Et comment des peintres, graveurs ou architectes pourraient-ils avoir cette faculté d’apprécier le style ou de reconnaître l’invention, quand nous voyons des musiciens de profession qui ne s’en doutent pas ? Le sentiment du style bas ou élevé, noble ou ignoble ne se trouve que chez des hommes doués d’une organisation heureuse, perfectionnée par l’éducation ; et pour pouvoir reconnaître dans une œuvre l’absence ou la présence de l’invention, il faut de toute nécessité avoir la mémoire meublée, il faut connaître un nombre immense de productions anciennes et modernes, d’église, de théâtre et de concert dont les dix-neuf vingtièmes des académiciens n’ont jamais entendu parler. Vous pensez, Monsieur, que le sentiment de l’art est indivisible, et vous avez entendu les rapins de l’atelier de Gros chanter des chœurs mieux qu’on ne le fait à l’Opéra-Comique. D’abord, Monsieur, vous savez aussi bien que moi que ce fait ne suffit pas pour donner une bien haute idée de leur talent musical : on peut chanter mieux que les choristes de l’Opéra-Comique et n’être pas encore très-fort. Les élèves de Gros que vous avez entendus fussent-ils cependant vraiment bien organisés, ce fait purement accidentel ne prouverait pas plus que l’exception analogue que je vais vous citer. Plusieurs artistes de l’Opéra possèdent un talent de dessin remarquable ; MM. Tulou et Serda, entr'autres, font des paysages charmans ; vous trouveriez donc tout simple, s’il s’agissait d’un prix de peinture, de le faire décerner par un jury composé presque en entier de chanteurs et de joueurs de flûte ?... Franchement, vous conviendrez que ce serait le comble de la déraison et de l’absurdité. Pour moi, je vous le proteste, et ceci tout à fait sans compliment, si je devais soumettre un ouvrage au jugement de personnes dont l’art musical n’est pas l’occupation exclusive, eusse-je le pouvoir de rendre à la vie Raphaël, Michel-Ange, Titien, Salvator même et tous les premiers peintres du monde pour en composer mon jury, je préférerais à ces grands artistes quelques amateurs distingués, comme vous, qui, sans avoir élevé la coupole de St-Pierre ou peint le jugement dernier, seraient doués d’un sentiment vif de ce qui constitue les beautés ou les défauts de la musique, et joindraient à une organisation développée de jour en jour par l’exercice, assez de connaissances spéciales pour pouvoir clairement analyser leurs impressions et en déduire un jugement motivé. C’est d’une réunion d’amis de l’art comme vous, hommes de lettres, chimistes, médecins, légistes et même peintres, que se compose le public du Conservatoire. Ce public-là, sans doute, est préférable à une assemblée formée seulement de musiciens parce qu’il est sans préjugés ; mais ce public-là diffère essentiellement du jury académique dont nous débattons l’aptitude musicale ; car, s’il se réunit au Conservatoire, c’est parce qu’il aime la musique, c’est parce qu’il la sent, et c’est seulement pour cela ; tandis que les membres de l’Institut, qui se réunissent pour juger des cantates, ne le font que parce qu’ils y sont obligés, parce qu’ils sont académiciens. D’où je conclus qu’on peut bien apprécier, connaître, sentir et juger la musique quoique peintre ou architecte (M. Ingres et quelques autres en fournissent la preuve), mais non certes parce que peintre on architecte ; et que remettre le sort d’une foule de jeunes artistes, dont les plus méritans sont souvent ceux qui se découragent le plus aisément, entre les mains d’un jury où le hasard seul peut placer des juges éclairés, c’est commettre une action, non-seulement déraisonnable, mais vraiment coupable sous tous les rapports. 

Il me reste beaucoup à dire sur le mode d’exécution des cantates et sur le voyage des lauréats en Italie, permettez-moi donc, Monsieur, d’en rester là pour aujourd’hui et de renvoyer ma réponse sur ces deux questions importantes au numéro prochain. 

Agréez, etc.

Hector Berlioz.

[1] Cette aurore célèbre n’est point une facétie de journaliste ; elle paraît constamment au début de toutes les cantates de l’Institut ; et les railleries dont elle est l’objet depuis si long-temps n’ont pas empêché que la cantate de cette année ne commençât par ce vers : « L’aurore en s’éveillant nous présage un beau jour. »

[2] En outre, la partie n’est pas égale ; car les six membres de la section de musique ne peuvent être mis en balance avec les trente-deux artistes s’occupant tous de quelque branche de l’art du dessin. D’où il résulte que si les musiciens jugent les élèves de peinture, de sculpture, etc., ceux-ci n’ont pas beaucoup à se plaindre ; les intrus (les musiciens) ne forment, en effet qu’une fraction de peu d’importance ; les statuaires et graveurs doivent fort bien juger, au moins du dessin d’un tableau, les peintres sont parfaitement capables d’apprécier une statue ou une gravure ; tandis que pour les pauvres compositeurs, les intrus se composent de l’Institut presque entier.

Personnes en lien

Chef d'orchestre, Compositeur, Journaliste

Hector BERLIOZ

(1803 - 1869)

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date de publication : 19/10/23