Académie des beaux-arts. Séance annuelle
ACADEMIE DES BEAUX-ARTS.
Séance annuelle. — Rapport sur les envois de Rome. — Distribution des prix. — Notice historique sur David d'Angers. — Exécution de deux cantates.
L’Académie des beaux-arts reste fidèle à ses traditions. Lorsque dans un concours il lui arrive par hasard de ne décerner qu’un second prix, soyez presque certain qu’au concours suivant elle en donnera deux premiers : il lui faut son compte de grands hommes. C’est ainsi que l’année dernière le concours musical n’ayant produit qu’un second prix accordé à M. Bizet, élève de M. Halévy et de feu Zimmerman, cette année, le même M. Bizet a obtenu un premier grand prix, de compagnie avec M. Colin, élève de M. Ambroise Thomas et de feu Adolphe Adam, dont un deuxième premier grand prix a couronné la cantate. C’est encore l’usage qu’en pareil cas les deux cantates soient exécutées l’une au commencement, l’autre à la fin de la séance. L’Académie semble dire au public : « Voyez et jugez vous-même ! Ai-je bien fait, mon maître, de partager le prix et de ne pas distinguer entre deux compositions parfaitement égales ? » Mais si le public répondait à l’Académie : « Vous auriez encore mieux fait de ne pas donner de prix du tout ! » Dieu nous garde de vouloir contrister les deux jeunes et estimables concurrents qui ont joui cette année d’une même bonne fortune ! Nous mettons de côté leur œuvre et leur mérite pour ne parler que du procédé. Chaque année l’Académie subit une rude épreuve : elle écoute sans sourciller cinq ou six cantates, défilant dans leur ordre avec armes et bagages ; les paroles ne changent pas, la musique et les chanteurs seuls diffèrent. Pour qui ne l’a pas éprouvé, impossible d’imaginer quel supplice c’est d’entendre cinq ou six fois le même texte arrangé, dérangé, laminé, martelé, tordu en sens divers ; et puis il faut juger, il faut dire à coup sûr : « Voilà le bon, voilà le mauvais, voilà le médiocre. » L’Académie, dont on attaque souvent les décisions, n’est peut-être pas fâchée d’initier le public à ses embarras en lui faisant quelque peu tâter des plaisirs qu’elle goûte dans l’accomplissement de son office. « Ah ! vous trouvez agréable et facile d’écouter, de juger six cantates ! Eh bien, écoutez-en, jugez-en seulement deux ! » Si l’Académie allait jusqu’à menacer d’une troisième, il n’y aurait plus personne dans la salle, pas même un académicien.
Le texte choisi cette fois n’était, il faut l’avouer, nullement propre à rendre la tâche de l’audition et du jugement plus légère. La cantate de M. Burion, Clovis et Clotilde, manque absolument de sujet, d’intérêt au point de vue dramatique, et on demande toujours un peu de drame dans une cantate ; autrement c’est le calme plat. Encore si les vers étaient excellents au point de vue poétique et musical ! Mais que dire d’une romance chantée par Clotilde et commençant par ces vers à la louange de Clovis :
Il est si beau, mon doux Sicambre
Avec ses blonds cheveux flottants,
Sa taille fière qui se cambre,
Et ses yeux d’amour éclatants.
Ne nous étonnons pas que sur de telles paroles MM. Bizet et Colin n’aient pas trouvé l’ombre d’une mélodie. Le duo de Clotilde et de Rémy, non plus que celui de Clovis et Clotilde, au milieu duquel intervient la description de la bataille de Tolbiac, ne leur a rien inspiré de remarquable. Cependant il y avait quelque chose à faire de cette description ; Rameau offrait bien de mettre en musique la Gazette de Hollande ! Le bulletin d’une victoire et d’une conversion prêtait davantage. Les deux jeunes musiciens ne se sont rattrapés que vers la fin de leur œuvre, dans le trio final, et surtout dans la prophétie de Remy, dont l’œil plonge dans l’avenir et aperçoit de loin les grandeurs de la France. L’harmonie et la harpe venant à leur secours, ils ont conclu assez chaleureusement des compositions dont ils n’avaient pu jusque là ranimer la froideur naturelle. Maintenant, quelle est la meilleure cantate, celle de M. Colin ou celle de M. Bizet ? N’en déplaise à l’Académie, et au risque de nous tromper, nous trouvons celle de M. Colin d’un style plus sévère et plus ferme, celle de M. Bizet d’une tendance plus mélodique et plus élégante. Après quoi nous déclarons à ce dernier que nous préférons de beaucoup à sa cantate sa petite partition du Docteur miracle, qui a aussi remporté l’un des prix au concours d’Offenbach. La cantate n’est-elle donc après tout qu’un cadre prétentieux et gênant, dans lequel les jeunes musiciens ne se meuvent qu’avec peine et douleur, sous l’étreinte de mille appréhensions ? On a supprimé la question ; peut-être un jour supprimera-t-on la cantate. Au concours des Bouffes-Parisiens, M. Bizet avait encore partagé le prix. Par exemple, Offenbach n’avait pas songé à faire exécuter les deux ouvrages couronnés dans la même soirée ; il avait été plus humain que l’Académie. MM. Bonnehée de l’Opéra, Jourdan de l’Opéra-Comique, et Mlle Henrion du même théâtre, servaient d’interprètes aux œuvres des deux lauréats. M. Battu conduisait, comme toujours, l’orchestre académique perché dans les hauteurs. Des trois artistes chantants, c’est Bonnehée qui avait la meilleure part : il disait le rôle de Remy et la prophétie ; il a donc été le plus applaudi, à cause de son rôle et de sa belle voix.
Au commencement de la séance, avant la cantate de M. Colin et en attendant sans doute quelque chanteur attardé, M. Gatteaux a lu le rapport sur les travaux des pensionnaires de Rome, rédigé par le secrétaire perpétuel, M. Halévy. Nous y avons saisi au passage quelques mentions relatives à des lauréats musicaux de première, seconde, quatrième et cinquième année, MM. Conte, Barthe et Léonce Cohen, qui se sont tous exercés avec zèle et talent, le premier dans une messe solennelle, les deux autres dans des œuvres dramatiques dont le rapport signale plusieurs morceaux. […]
P.S.
Persone correlate
Opere correlate
Clovis et Clotilde
Georges BIZET
/Amédée BURION
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Libretto
Clovis et Clotilde (Amédée Burion)
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data di pubblicazione : 02/11/23