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Carmen de Bizet

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Nous avons assisté cette semaine à un événement bien curieux et bien rare : la première représentation, à l’Opéra-Comique, d’un ouvrage en plusieurs actes. Si l’on excepte Le Florentin, une vieille dette d’avant la guerre, acquittée par la direction de ce théâtre, le fait ne s’était pas produit depuis le gouvernement de M. Thiers. Je veux parler du charmant ouvrage de Delibes, Le Roi l’a dit, joué le 24 mai 1873, et qui, commencé, il est vrai, à sept heures sous la présidence de M. Thiers, s’est terminé, à minuit, sous celle du maréchal de Mac – Mahon.

Ce n’était donc pas une mince affaire que la première représentation de Carmen à l’Opéra-Comique ; mais ce qui donne au fait une importance particulière, ce sont les qualités exceptionnellement remarquables de la partition de M. Georges Bizet. J’ai d’assez sérieuses réserves à faire, et je les formulerai plus loin. Il ne me paraît, d’ailleurs, pas à propos de discuter la musique avant d’avoir fait connaître le poème. En attendant, et avant tout examen de détail, je dois déclarer que nous nous trouvons ici en présence de l’œuvre d’un maître, œuvre qu’il est permis d’attaquer sans doute, dont on peut désapprouver les tendances, mais dont tiendra un compte sérieux quiconque n’en aborde pas l’examen avec un parti pris formel.

Le sujet de Carmen, que MM. Meilhac et Halévy ont emprunté à Prosper Mérimée, est loin d’être sans intérêt ; mais c’est là un de ces intérêts poignants, qui serrent le cœur comme un cauchemar, sans le laisser satisfait, sans lui donner le loisir de respirer ni de se prendre à un de ces sentiments généreux dont il a soif avant toute chose. – Carmen se rattache à cette légion des femmes fatales qu’on nous a si souvent montrées depuis la Marco des Filles de marbre, la Léonora de Dalila, la Blanche de Chelles du Sphinx, ces femmes que l’orgueil, bien plus que la passion, pousse à détacher le fils de la mère, le mari de la femme, le fiancé de la promise, pour dire à leur imbécile amant, quand il est bien subjugué, bien façonné à la servitude : « Va retrouver celle que tu as délaissée : je ne t’aime plus, si tant est que je t’aie jamais aimé. »

Tel est le jeu que joue la gitana Carmen avec le brigadier Don José, qui, pour elle, trahit tous ses devoirs de soldat, déserte, se fait contrebandier, abandonne enfin sa fiancée et fait mourir de chagrin sa mère. Carmen aime-t – elle seulement José ? Elle nous le dit un moment ; mais à peine pouvons-nous le croire. Manon Lescaut du plus bas étage, Carmen n’a même pas pour le brigadier cet amour distrait et sujet aux absences que l’héroïne de l’abbé Prévost, garde à Des Grieux, ces intérims de passion dont elle lui fait grâce les jours où elle court à pied les rues de Paris, entre le carrosse de la veille et celui du lendemain. Pas même cela. Un entraînement passager des sens, l’orgueil d’enlever à une brave et jolie fille son tendre amoureux, voilà tout ce qui entre dans le cœur ou dans le cerveau de Carmen. Comme la magicienne du Tasso, elle n’aime qu’être aimée, ama d’esser amata. Et durant tout le temps qu’elle a employé à tourner la tête au naïf soldat (beaucoup de poudre brûlée pour un maigre gibier !) elle a eu le loisir de s’en dégoûter ; et la voici, courtisane de taverne, Armide de grands chemins, qui court se jeter à la tête d’un autre, en attendant un autre encore.

Les deux librettistes qui se sont faits en cette circonstance les collaborateurs de Mérimée, ont étudié et fouillé avec grand soin la triste physionomie de cette Musette espagnole. La rencontre, au premier acte, de Carmen et de Don José, est un délicieux tableau de genre : une fleur, que la jeune fille jette au nez du soldat avec une épigramme ; et c’est tout. Mais que de chose dans ce geste provoquant ! Le langage qui déconcerte et le geste qui encourage ; la bouche qui dit : non, les yeux qui disent : oui ; enfin tout le jeu de la coquette, qui ne fuit que pour se laisser prendre, et ne combat que pour être vaincue.

Tout cela est bien vieux ; la pomme de Galathée était bien mûre au temps même de Virgile ; mais on s’y laisse prendre encore. Ainsi fait José ; et lorsqu’il reçoit l’ordre de conduire en prison la gitana, accusée d’avoir porté des coups de couteau à une autre femme, lui, le soldat si fidèle à l’honneur, il la laisse échapper au mépris de tous ses devoirs. À partir de ce moment, le malheureux est à Carmen, pieds et poings liés, vulnus alit venis. Éperdu, la tête égarée, il la poursuit jusque dans une posada suspecte, abri des contrebandiers où Carmen exerce un métier qu’on flatterait en le traitant d’équivoque ; et là il compromet et souille si bien son uniforme et son nom que, lorsque Carmen, comme preuve suprême d’amour, lui demande de s’engager parmi les hardis fraudeurs de la loi, le brigadier ne s’appartient plus assez pour refuser.

Upa, mignon ! Nous voici dans la montagne. C’est là que Carmen peut ressentir tout l’orgueil de sa conquête ; c’est là qu’elle commence à en ressentir le dégoût. Le beau toréador Escamillo vient à passer. Elle se jette à sa tête : il n’y a pas d’autre expression pour les filles de sa sorte. José, exaspéré, provoque Escamillo à un duel au couteau (à la navaja : M. Lhérie dit : navaca, M. Bouhy : navaha – entendez-vous, messieurs !). Escamillo terrasse José et épargne sa vie. Celui-ci n’accepte pas cette grâce, il reprend le combat, et le toréador n’est sauvé que par l’intervention de Carmen, qui vient se jeter entre eux. La colère et la jalousie du néocontrebandier ne connaissent plus de bornes ; mais à ce moment survient sa fiancée, la douce Micaëla, qui lui apprend que sa mère va mourir et demande à l’embrasser une dernière fois, José s’éloigne avec elle. Carmen sourit ; elle sait qu’il reviendra et qu’elle pourra encore torturer ce cœur débile et le fouler aux pieds.

Lorsque Carmen se jouera dans les théâtres de province, où certaines directions ont l’ingénieuse idée de donner un sous-titre à chaque acte, je propose, pour le dernier, celui de faits divers. Que de fois, ouvrant votre journal avez-vous pu lire le récit suivant, ou quelque chose, qui en approche : « Hier, les habitants de la rue Oberkampf ont été cruellement impressionnés par une scène de meurtre : le sieur J..., sergent au 102e de ligne, a rencontré la fille C..., et après quelques paroles d’explication très vives, il lui a plongé un couteau dans le cœur : la mort a été instantanée. Il paraît que J... avait fait, il y a trois mois la rencontre de la fille C... dans un bal de Belleville. À partir de ce moment la fille C... était devenue la maîtresse de J..., mais depuis huit jours la vie commune avait cessé, et C... accordait ses faveurs au nommé E..., garçon boucher. C’est sur son refus de revenir auprès de lui que J... aurait conçu la funeste résolution de la tuer, et c’est après de nouvelles et inutiles instances, qu’il l’aurait exécutée. »

L’avez-vous lue souvent, cette histoire ? Eh bien ! c’est tout le quatrième acte de Carmen. Seulement nous sommes à Séville ; et, tandis qu’Escamillo triomphe dans un combat de taureau, la scène que je viens de vous raconter se passe dans la rue Oberkampf !... je veux dire sur la plaza de toros.

Ce sujet, qui rompt, par certaines hardiesses, avec les mœurs ordinaires de l’Opéra-Comique, a un défaut non moins grave : celui de jeter sur le héros de l’ouvrage une couleur peu sympathique. Vrai ou non, l’amour qui avilit un homme à ce point n’est guère un spectacle à montrer. Le plus illustre exemple de la passion fatale et subie aveuglément nous est fournie par Le Misanthrope ; mais avec quelles précautions le maître nous le présente-t-il! Que de fois, Alceste se maudit-il lui-même ; que de fois, secouant sa chaîne, insulte – t-il son idole ! Et Célimène n’est qu’une coquette, tandis que Carmen est une coquine. La platitude de José avec cette courtisane de carrefour finit par écœurer. Le coup de couteau final ne la rachète même pas : quelques bons coups de cravache à la drôlesse, durant le cours de la pièce vous satisferaient davantage.

Cette impression est tellement vraie que le petit rôle de Micaëla, très effacé et très secondaire, en a complètement bénéficié. Chaque fois qu’on voyait entrer la brave petite navarraise, la sympathie allait à elle et les bravos à son interprète. On respirait, on était soulagé : l’entrée d’une honnête fille faisait l’effet d’une bouffée d’air frais et pur vous arrivant au milieu d’exhalations fétides. Cela semblait excellent et trop court. Mais ajoutons que José n’en paraissait que plus impardonnable de lâcher cette proie pour cette ombre.

Je ferai une autre critique au poème. MM. Meilhac et Halévy ne sont pas des librettistes : on le voit bien. Leur pièce, remarquable à ne considérer que l’étude des sentiments et des caractères, brille plus par les qualités d’une œuvre purement littéraire que par celles d’un livret. Les scènes s’y développant avec art, l’intérêt s’y maintient ; mais je n’y vois pas assez cette préoccupation de l’effet musical qui doit prédominer chez les collaborateurs du compositeur, et, par exemple, ce soin d’amener des situations nettes, tranchées, saisissantes, où le musicien soit à l’aise pour frapper le grand coup, pour développer largement les principaux sentiments ressortant de la donnée du drame et auxquels il a préparé son public. Habitués, comme dans La Boule, à éparpiller leurs effets scéniques, MM. Meilhac et Halévy ne sont pas arrivés ici (peut-être ont-ils cherché à le faire) à les condenser et à les nouer fortement dans quelques grandes scènes formant des points culminants et se prêtant aux beaux ensembles, aux larges finals.

Ainsi, l’un des passages importants du drame est la rencontre de José et d’Escamillo. Pourquoi en faire une scène à deux personnages ? Tout l’intérêt est dans le coup de poignard qui va être donné ou reçu ; mais l’effet musical est nul ou presque nul. Ah ! que Meyerbeer et Scribe savaient bien ce qu’ils faisaient, quand ils écrivaient le septuor du duel ! Comme la rencontre de Faust et de

Valentin profite de la présence de Méphistophélès et de la voix de basse que ce personnage fournit au compositeur. Que serait enfin le défi de Roméo et de Tybalt, sans la présence des Capulet et des Montaigu qui les entourent ? – Pourquoi, dans ce même acte du duel au couteau, fait-on sortir Escamillo au moment où Micaëla va entrer ? Rien n’y oblige, et tout tend, au contraire, à grouper, à ce moment final de l’acte, tous les personnages importants. Si José, sollicité par Micaëla d’aller voir sa mère mourante, peut se sentir partagé entre son amour filial et le regret de laisser derrière lui Carmen, dont la vertu lui inspire une médiocre confiance, combien cette situation serait-elle plus franchement accusée par la présence d’Escamillo.

Il y a ainsi bien des passages où les deux collaborateurs, malgré leur finesse et leur tact dramatique, négligent ce contact et ce choc des sentiments nécessaires au musicien pour écrire d’intéressants morceaux d’ensemble.

Un dernier détail avant d’aborder la partition. Il concerne la mise en scène et cette rage de réalisme qui nous fait commettre tant de bévues. Pourquoi inscrire au premier acte Fabrica de tabacos, au dernier : Corrida de toros, etc. ? Puisque vous ne poussez pas le respect de la couleur locale jusqu’à faire jouer la pièce en espagnol, il est bien évident que mettre en espagnol les désignations, ce n’est pas du vrai réalisme : ce n’est que du manque de logique.

Arrivons enfin à l’œuvre musicale. Elle est fort remarquable, je l’ai dit : Attirera-t-elle la foule ? J’en doute ; et il faut ajouter que M. Bizet ne fait rien pour cela. Dédaigner la foule n’est pas toujours un mal : c’est souvent même une manière de forcer son estime et de l’amener à soi. Mais il y a une limite à ce jeu, et j’ai peur que M. Bizet ne la dépasse. Il ne faut rien céder à la foule sur ses défauts, ses tendances vicieuses, son mauvais goût ; mais il n’y a nulle nécessité de la heurter dans des habitudes qui n’ont rien de mauvais en soi, de prendre le contrepied de ce qu’elle aime et de le lui vouloir imposer. Elle aime, par exemple, les morceaux d’ensemble développés. Je ne vois pas qu’elle ait tort en ceci ; et j’aurais voulu que l’auteur de Carmen lui accordât par moments cette satisfaction. J’ai accusé plus haut les librettistes de ne pas assez chercher à concentrer leurs effets. Je ne crois pas m’être trompé ; mais le musicien doit prendre sa part de l’accusation. À la fin du premier, du second, du troisième actes, il avait l’occasion de placer un de ces ensembles, un de ces finals intéressants qui soulèvent le public et décident du succès. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Ces morceaux sont indiqués, annotés, puis ils tournent court.

On éprouve un certain malaise à voir le général rassembler ses troupes pour ne pas donner l’assaut attendu. Encore un coup, pourquoi ? Est-ce un système chez le musicien ? Accorderait-il plus de confiance qu’elles n’en méritent aux théories de Wagner, qui vaut que la musique suive le drame pas à pas, et ne se permette pas une ligne de développement de plus que celui-ci n’en comporte ? Mais alors, supprimons-la tout de suite : c’est plus simple et plus logique. Supprimons, du même coup, le théâtre, qui admet tant de conventions. Je n’insiste pas sur ce point. C’est encore, sous une autre forme, la fabrica de tabacos et la corrida de toros.

J’ai touché, pour commencer, le point défectueux de cette partition si intéressante et d’une facture si artistique. L’idée souvent exquise et d’une saveur originale toute particulière, est rarement aussi développée que l’oreille le voudrait. Ce n’est pas l’art qui manque au musicien pour cela ; on peut en juger par L’Arlésienne, que le Conservatoire vient avec tant de raison, de placer dans son répertoire, et qui a valu la décoration au compositeur. J’ai donc grand’peur encore une fois, que le musicien ne se voue par volonté à cette forme dramatique, et, dans ce cas, il commettrait, à mon avis, une grande erreur.

Ces observations faites, il y a plaisir de se trouver en présence d’une œuvre aussi sérieuse que Carmen, aussi pittoresquement colorée, et dans laquelle le jeune maître se place si en dehors du courant banal. On y sent partout la main d’un artiste fier et délicat, qui suit sa voie avec trop d’estime de lui-même pour porter envie à ceux qui fondent leur succès sur leur audace à flatter ses mauvais instincts, qui n’a pas même l’air de soupçonner que ces gens-là existent. Cette fierté et cette délicatesse mêmes lui permettent de traiter un sujet des plus scabreux sans que, nulle part, sa musique descende dans les bas-fonds où le poème manque sans cesse de l’entraîner.

Détaillons un peu toutes ces impressions. Après une courte introduction, où domine l’air du Toréador, la toile se lève sur une place de Séville : d’un côté, la Manufacture des tabacs, où Carmen est ouvrière ; de l’autre, un poste de dragons. Les soldats flânent, désœuvrés, au devant du poste, et passent leur ennui sur le dos des promeneurs, qu’ils observent et épluchent. La scène est jolie et fort bien traitée par le compositeur ; mais l’originalité même de la musique effarouchera tous ceux qui veulent accompagner un air par des dodelinements de tête, et, rentrés chez eux, le fredonner devant leurs femmes et leurs enfants. Remarquez particulièrement une pantomime significative entre un vieux mari, une jeune femme et un amant, commentée par le brigadier Moralès, qui prête à chacun des personnages les paroles que nous n’entendons pas : l’idée est originale et spirituelle, l’exécution n’est pas en reste avec elle. – La marche d’entrée de la garde montante, pour fifre et clairon, est un excellent morceau, d’une couleur parfaite : malheureusement, le chœur d’enfants qui suit les soldats et répète le motif, l’exécute avec des aigreurs fausses qui en gâtent l’effet.

Disons, tout d’abord, que les chœurs de Carmen sont presque tous des plus remarquables, d’une conception très originale, d’une facture riche et puissante ; mais ajoutons que leur difficulté permet rarement aux choristes de l’Opéra-Comique de s’en tirer à la parfaite satisfaction des auditeurs. Le double chœur qui accompagne l’entrée des ouvrières de la Manufacture des tabacs, s’avançant la cigarette aux lèvres, est peut-être le meilleur de toute la partition : les hommes commencent, attendant et guettant les jolies Andalouses ; puis viennent celles-ci, fières et superbes comme des reines à qui l’amour fait cortège et sur le passage de qui l’on forme la haie. Le motif des femmes est particulièrement saisissant et d’une composition dont l’art est peu commun. Carmen entre sur un court récit excellent.

          Quand je vous aimerai ? Ma foi, je ne sais pas, etc.

L’air qu’elle chante ensuite, motif populaire espagnol, a été adapté à merveille par le musicien ; et le refrain : L’Amour est enfant de Bohême, – Il n’a jamais connu de loi, se combine admirablement avec le chœur qui l’accompagne.

– Après cette scène, vient un duo entre José et Micaëla, délicatement ému, qui est aussi une des belles et bonnes pages de la partition.

Voici encore un morceau dont j’ai à faire grand éloge, à un point de vue qui m’est particulièrement cher, au point de vue scénique : c’est celui dans lequel les ouvrières racontent à l’officier de garde une dispute survenue entre Carmen et une de ses compagnes, chacune prenant parti pour ou contre l’accusée.

          C’est la Carmencita.

          – Non, non ce n’est pas elle.

Ce morceau, très bien en scène, rend à merveille ce mouvement, cette animation, cette passion extrême que les femmes et surtout les femmes du Midi, apportent à de pareils témoignages. – L’acte finit par un duo entre Carmen et José, dont une jolie séguedille forme le fond, et un court final où le musicien rappelle très heureusement le motif : « L’amour est enfant de Bohême ».

L’entr’acte du second acte est un motif de retraite, franc et bien rythmé, que José doit chanter au moment où il reparaîtra. Nous sommes dans une taverne des plus suspectes : on chante, on boit, on danse. Le refrain, dansé et accompagné aux castagnettes, est plein de couleur, de mouvement, et propre à faire tourner la tête — un vrai refrain à donner l’ivresse, et une ivresse malsaine. — Vient ensuite l’air du Toréador, qui a de la rondeur et de l’éclat, et que le musicien rappelle souvent pendant le cours de l’ouvrage. — Une jolie chose, scénique et bien écrite pour les voix, c’est le quintette : Quand il s’agit de tromperie, où il faut relever une très bonne phrase des deux hommes : La chose, certes, nous étonne, bien finement encadrée de traits de violon. — Il y a une couleur étrange dans le duo de Carmen, où le clairon des dragons qui passe vient se marier très curieusement avec la voix de la bohémienne. — La phrase : Là-bas, là-bas, dans la montagne, qui sera utilisée dans le court final, a une saveur à elle ; mais elle est de celles à qui l’on demanderait un plus grand développement. Le petit final débute bien par le motif : Bel officier. Je l’ai dit, malheureusement, il tourne court.

Le chœur des Contrebandiers, qui inaugure le troisième acte, est écrit à merveille et accompagné de détails d’orchestre d’une valeur très grande : un fort beau sextuor s’y détache.

– Il faut citer aussi, comme original et piquant le trio des gitanas se tirant les cartes. Un effet de contraste y relève la pensée musicale : d’un côté, deux compagnes de Carmen, représentées par Mlles Ducasse et Chevalier, interrogeant gaiement le sort :

          Dites-nous qui nous aimera,

          Dites-nous qui nous trompera,

de l’autre, celle-ci, pressentant et lisant dans l’avenir des événements sinistres. Le motif de Carmen :

En vain, pour éviter les réponses amères,

est un des plus larges et des plus heureusement suivis de la partition. — Le trio suivant, chanté encore par les gitanas : Oui, le douanier, c’est notre affaire, est une marche pleine d’éclat, d’un mouvement excellent, et où l’effet du chœur, qui s’y joint, est particulièrement remarquable. — L’air de Micaëla : Je dis que rien ne m’épouvante, vient trancher, par sa douceur virginale et son ton de pureté, sur les chants endiablés de tous ces bohémiens : l’accent de tendresse en est très juste et repose des ardeurs fiévreuses et sensuelles du rôle de Carmen. — Je n’aime guère le duo du duel ; et dans le final de cet acte, je suis surtout frappé des phrases émues et senties du rôle de Micaëla.

Le quatrième acte est très court. Un chœur coloré et mouvementé le commence ; puis vient la marche des toréadors, avec de bonnes parties de chœurs, mais difficiles et médiocrement exécutées. Le duo final me paraît froid. Le compositeur m’a semblé s’y laisser envahir par le système de la mélopée wagnérienne.

Malgré les quelques réserves que j’ai cru devoir faire, on voit que je n’ai guère eu que des éloges, et de grands éloges, à adresser à l’auteur de Carmen dans l’examen détaillé des différents morceaux de sa partition. L’œuvre abonde, en effet, en bonnes et très bonnes choses. Si peu de passion et de chaleur s’en dégage peut-être, cela tient surtout au sujet et à l’indignité de l’héroïne. Tout ce que le musicien a eu à mettre de sentiment dans son œuvre, il l’a déversé dans le rôle trop court de Micaëla.

La direction de l’Opéra-Comique a monté Carmen avec grand soin, on peut dire même : avec luxe. — Mme Galli-Marié a fait une vraie création du principal personnage. On ne pourrait que lui reprocher de le jouer trop bien, et lui conseiller d’adoucir ses effets. — Mlle Chapuy chante avec beaucoup de goût et joue avec beaucoup de grâce le rôle de Micaëla. — M. Lhérie (José) a du feu, et trouve de beaux éclats de voix ; M. Bouhy chante fort bien le rôle d’Escamillo, un peu bas pour sa voix. Citons encore Mlles Ducasse, Chevalier, MM. Potel, Dufriche, etc.

Carmen a pris aujourd’hui toute la place. Je renvoie à huitaine le compte rendu des dernières soirées du capitaine Voyer, et celui d’un très bon livre que notre confrère Deulin a publié sous ce titre : Histoires de petite ville.

Jules Guillemot

Persone correlate

Compositore, Pianista

Georges BIZET

(1838 - 1875)

Opere correlate

Carmen

Georges BIZET

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Henri MEILHAC Ludovic HALÉVY

Permalink

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data di pubblicazione : 18/09/23