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Hulda

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HULDA
Première représentation de Hulda, opéra en quatre actes et un épilogue, poème de Ch. Grandmougin, musique de César Franck, au théâtre de Monte-Carlo, le dimanche 4 mars 1894.

Monte-Carlo, 5 mars.

Il y a plus de dix années déjà que les premiers fragments de Hulda ont été exécutés à Paris. C’était dans l’hiver de 1884, — exactement le 12 janvier ; — l’œuvre venait d’être achevée : César Franck en voulut donner les prémices au public de la Société nationale de musique, qu’il savait lui être tout dévoué : il choisit la marche et les ballets avec chœur par lesquels s’ouvre le quatrième acte. L’orchestre était remplacé par deux pianos ; des amateurs chantaient les parties chorales ; à défaut de voix, ils y mettaient du moins toute leur âme. Et l’on s’extasiait sur les qualités lumineuses de cette musique, si différente du style habituel du maître ; on demandait comment lui, accoutumé aux combinaisons les plus ardues du contrepoint, lui, le mystique auteur des Béatitudes, il avait su mettre tant de grâce, de franchise et de verve dans ses airs de ballet. À quoi, avec son sourire grave et doux, il répondait : « Je me les suis dansés ».

Et de rire, chacun se figurant à sa manière « le père Franck » battant des entrechats, lui dont la vraie place était à son orgue, combinant les jeux et les thèmes, attentif à surprendre au vol l’harmonie riche et la modulation rare, l’esprit tendu, l’œil profond, le front rayonnant d’une haute et pure inspiration.

Voilà trois ans et demi qu’il est mort ; et, depuis ce temps, si ses œuvres symphoniques ont conquis le renom auquel elles avaient dès longtemps tous les droits, on ne songeait point encore à considérer César Franck comme un compositeur de théâtre. De son vivant, les fragments cités plus haut avaient été redonnés dans plusieurs occasions : aux concerts Pasdeloup, dans un grand festival exclusivement consacré à son œuvre ; au Trocadéro, dans un des concerts de l’Union internationale des compositeurs ; d’autres, tels que le chœur des hermines, au second acte, le prologue tout entier, etc., avaient été exécutés dans des réunions musicales plus ou moins solennelles. Aujourd’hui, enfin, nous avons pu voir pour la première fois à la scène la seule œuvre complète qu’il ait écrite pour le théâtre (car il est peu probable qu’il faille considérer comme digne de lui le Valet de ferme, qu’il composa pour l’Opéra-National d’Adolphe Adam, qui ne fut pas représenté et n’est jamais sorti de ses cartons ; et, pour Ghiselle, opéra dont il entreprit la composition après Hulda, la mort l’a surpris avant qu’il ait pu l’achever). Si Franck a manqué toute sa vie de l’art de se faire valoir ; il aura eu la chance posthume de trouver, pour faire connaître son œuvre, un directeur actif et plein d’initiative, qui n’épargnera rien pour en faire ressortir les mérites et le succès. M. Raoul Gunsbourg doit se féliciter aujourd’hui d’avoir eu cette confiance.

Le sujet de Hulda est tiré d’une légende scandinave de Bjœrnstjerne Bjœrnson. La scène se passe en Norvège, au moyen âge. On voit le fjord, la mer aux flots verts, le soleil rouge, les rocs neigeux aux versants couverts de sapins. Cependant, à l’époque où fut composée Hulda, la Norvège était infiniment moins à la mode qu’elle n’est aujourd’hui ; mais, bien que l’ibsénisme et ses dérivés ne traitent généralement que des sujets plus modernes, visant, d’ailleurs, à un tout autre but esthétique, du moins résulte-t-il de cette influence que le cadre dans lequel se déroule l’action est d’ores et déjà familier au public français.

Il faut avouer que cette action est terriblement sombre. Elle se passe au milieu des peuplades barbares des pays du Nord, au moyen âge ; l’héroïne est une femme fatale, dont le père et les frères meurent dès le prologue, qui, au dénouement, se précipite elle-même du haut d’un rocher dans le fjord et qui, dans l’intervalle, est cause de la mort de deux hommes qui l’aimaient ! Rien de plus tragique, on le voit, — rien de plus dangereux non plus si l’auteur n’a pas un génie d’une envergure suffisante pour un tel sujet.

Au premier acte (ce premier acte, si j’ai bonne souvenance, était intitulé « prologue » dans la partition manuscrite), Hulda et sa mère, assises devant leur cabane, attendent le père, parti la veille pour aller chasser dans la montagne. C’est le soir : de vagues bruissements redoublent leur inquiétude ; des pêcheurs passent sur la mer en chantant un chant plaintif, puis s’éloignent ; le flot monotone se brise sur les rochers ; le vent souffle lugubrement à travers les pins ; Hulda et sa mère prient. Soudain, des cors retentissent. Mais ce n’est pas l’appel familier ; c’est la sonnerie guerrière des Aslaks, les féroces ennemis de la race de Hulda. Ils s’approchent, brandissant leurs épées ; ils ont tué le père et tous ses compagnons : leur chef veut entraîner Hulda. Mais elle, avant de le suivre, l’accable sous sa farouche malédiction :

L’inflexible vengeance est incarnée en moi !
Souviens-toi ! Pour ta race infâme,
Je serai la ruine et je serai la mort !

Deux ans se sont écoulés lorsque l’acte suivant commence. Gudleik, le fils aîné de la race des Aslaks, a vaincu la résistance de Hulda : aujourd’hui même doit avoir lieu la cérémonie des fiançailles. Mais depuis longtemps on a remarqué qu’Eilof, le beau chevalier du roi, a délaissé la douce Swanhilde, et qu’il contemple Hulda avec des regards passionnés. Et, dans le « Jeu des épées » donné pour célébrer les fiançailles, les deux rivaux, se trouvant face à face, transforment la lutte simulée en un combat sanglant : Gudleik est tué. Déjà la malédiction de Hulda s’accomplit.

Hulda et Eilof s’aiment, et Swanhilde se désespère. Mais un soir, pendant une fêté donnée par le roi dans le parc de son château, Swanhilde et Eilof se rencontrent ; leur amour se réveille ; ils échangent de tendres aveux. Hulda les surprend : elle jure de se venger. Elle apposte les quatre frères de Gudleik, ardents à punir la mort de leur aîné, en un lieu sauvage où elle attire Eilof en un suprême rendez-vous.

Eilof est frappé. Après quoi, les frères, se souvenant que Hulda fut elle-même la cause de la mort de Gudleik, se retournent contre elle et la menacent ; mais elle leur échappe, gravit un rocher et se précipite.

Le grand défaut de ce livret, écrit par un poète qui a fait ses preuves ailleurs, est de manquer de clarté. S’il est vrai que le théâtre est l’art des préparations, le drame de Hulda n’est certainement pas du théâtre du tout, car aucune des situations capitales n’est amenée naturellement ni logiquement. Nous ne savons absolument rien, par exemple, du principal personnage homme, Eilof [sic] ; il entre toujours en scène comme par hasard ; ce n’est pas un être vivant, ce n’est qu’un ténor. M. Ch. Grandmougin a fait mieux et il est regrettable que, pour un tel collaborateur, il ne se soit pas appliqué davantage.

Car, malgré l’insuffisance du poème, Hulda est une œuvre d’une haute portée. César Franck — d’ailleurs généralement peu favorisé par ses collaborateurs littéraires, — a su, avec un don remarquable d’évocation, dégager de chaque scène tout ce qu’elle pouvait contenir comme essence musicale : l’œuvre en est transfigurée, et parfois touche aux plus hauts sommets auxquels puisse atteindre l’art lyrique.

Dès les premières notes, le caractère tragique du sujet est vigoureusement accusé. Le prélude, aux accords sombres, aux sonorités pleines, au mouvement soutenu, s’enchaîne directement à la première scène entre Hulda et la mère : leur dialogue est expressif et juste ; il s’achève par une prière où les deux voix s’unissent en une magnifique progression. Puis c’est le chant lointain des pêcheurs, très triste. L’entrée de la horde ennemie, avec ses sonneries lointaines et ses chœurs éclatant peu à peu en tonalités sauvages, en rythmes rudement marqués, a énormément d’animation et de vie. Enfin, l’imprécation de Hulda est d’une grande puissance de déclamation et s’achève par des accents d’une superbe fierté. Tout sort merveilleusement ; chaque épisode a un relief particulier et très accusé. Cela vit.

Le deuxième acte n’a pas autant d’unité. Il commence pourtant par un morceau exquis : la « Chanson des hermines », dite en cœur par les femmes occupées à coudre des peaux d’hermine. Il emprunte en partie sa grâce mélancolique à l’emploi d’une tonalité mineure, mêlée à certains emprunts aux modes du plain-chant, dont Franck fait un fréquent emploi dans son œuvre et qui contribue grandement à lui donner sa couleur spéciale. Certains y trouveront peut-être une impression de monotonie : pour moi, je ne la ressens point, car, si la tonalité est uniforme, par contre, les formes musicales sont aussi variées et abondantes qu’il est possible. Après tout, en quoi l’usage continu du mineur a-t-il plus de monotonie que l’abus du majeur ? On a fait souvent un reproche analogue à d’autres maîtres, Mendelssohn par exemple : maintenant que son style nous est devenu familier, qui songerait à rééditer une telle critique ? Aussi bien, chez Franck, outre la préoccupation de maintenir sur l’ensemble de l’œuvre une certaine couleur archaïque, il y a au fond, dans cette prédilection, quelque chose d’instinctif et de spontané : par l’emploi de ces anciennes tonalités, le côté « primitif » très remarquable dans le génie de ce moderne, se manifeste clairement.

Le chant nuptial : « C’est un double hyménée », avec son rythme simple de chanson populaire, et le « Chant des épées », énergique et mâle, soutenu par une basse lourde, énergique et rude, ont une physionomie bien différente, tout en restant dans cette même tonalité. Dans le même acte, le monologue de Hulda a de beaux accents, et la déploration finale chantée par le chœur et tous les personnages sur le corps du guerrier mortellement blessé est une page pleine d’ampleur et d’une beauté soutenue, dont l’expression eût paru bien plus profonde encore, si elle eût été interprétée dans le mouvement très lent indiqué par la partition.

Le troisième acte n’est, en réalité, qu’une scène : le duo d’amour entre Hulda et Eilof. C’est la nuit : l’orchestre prélude par un morceau symphonique développé, qui, sans être à proprement parler descriptif, donne l’impression de l’atmosphère mystérieuse au milieu de laquelle tout l’acte se déroulera : c’est une page d’une exquise poésie. Quant au duo, il forme le point culminant de l’œuvre, et, en vérité, est une des plus admirables pages de la musique moderne. L’ensemble final, de longue haleine, très soutenu, largement développé, est précédé d’un dialogue d’une musicalité intense ; les violons chantent avec amour, s’unissant aux voix avec des accents d’une tendre véhémence, d’une passion ardente, tout en restant chaste ; l’inspiration, pour être différente de celle à laquelle l’auteur nous avait habitués, n’est pas moins haute que dans aucune de ses précédentes œuvres symphoniques ou lyriques. Franck, n’a pas fait mieux.

Et l’acte suivant renferme encore un autre duo du même genre (ce dernier entre Eilof et Swanhilde, concluant en trio avec Hulda en aparté) : il n’est pas moins beau, moins expressif ni moins pénétrant. Il y a, dans ces deux pages musicales, une jeunesse et une abondance d’inspiration incroyables.

Ce même quatrième acte renferme le ballet, avec sa marche initiale, d’un grand caractère, dans la même couleur tonale que les morceaux pittoresques précédemment signifiés, et ses danses pleines de poésie, de grâce et de fraîcheur. Le cinquième acte enfin (épilogue), assez court, après une introduction orchestrale où d’exquises mélodies populaires alternent et se combinent avec le motif sombre du premier prélude, s’ouvre par un chœur pastoral mélodique, harmonieux, délicieuse page de musique chorale, et s’achève par la scène de la mort de Hulda, se jetant à la mer après une imprécation suprême dont l’accent est d’une haute portée.

Ceux qui ne connaissent César Franck que par les Béatitudes, la symphonie ou le quintette seront étonnés sans doute de voir apprécier en ces termes sa nouvelle œuvre, tant les qualités signalées au cours de cette analyse sont distinctes de celles que ses autres productions avaient révélées. C’est qu’en effet Hulda nous fait connaître un Franck nouveau. Est-ce le théâtre qui, mettant mieux en valeur les qualités extérieures, nous montre sa musique sous un aspect nouveau et tout différent de celui sous lequel elle s’était manifestée jusqu’ici dans les exécutions des concerts ? Il se peut qu’il y ait un peu de cela ; mais la conception même et l’exécution musicale de la nouvelle œuvre comptent, à n’en pas douter, pour beaucoup plus encore dans ce résultat. Nous ne retrouvons plus le Franck séraphique et contemplatif que nous connaissions : il a senti, cette fois, que sa musique devait avoir pour objectif essentiel l’expression extérieure des sentiments humains, et, dirigeant toutes ses facultés vers ce but nouveau, il a créé une œuvre d’art réalisant pleinement l’idéal visé, et pourtant ne le cédant en rien aux précédentes productions, dues à une inspiration si différente !

Il y a quelques années, on eût dit de Hulda : « C’est du Wagner » ; je ne jurerais pas qu’aujourd’hui même certains n’en jugeront pas encore ainsi. La vérité est que l’influence directe de Wagner est à peu près nulle sur l’œuvre de Franck, — réserves faites pour quelques harmonies tristanesques dans la scène d amour. La première différence, la plus considérable, réside dans ce fait que Hulda, loin d’être conforme à la conception du drame musical wagnérien, est un opéra dans toute la force du terme, un opéra classique, comme Don Juan ou Fidelio, d’un style tout autre, mais dérivant du même principe, et n’ayant pas d’autre but que d’interpréter musicalement des situations propres au développement lyrique. Quant aux formes purement musicales, elles présentent plus d’analogies entre les deux maîtres. Il est certain que les harmonies sont d’une aussi grande richesse chez Franck que chez Wagner ; elles n’en sont pas moins fort différentes. Sans doute, elles coulent des mêmes sources, procèdent des mêmes modèles : Bach, Beethoven sont, au point de vue de la langue musicale, les glorieux ancêtres de nos modernes musiciens ; mais, partis d’un même point de départ, tous deux ont abouti à un résultat au fond très différent. Les harmonies de Hulda appartiennent en propre à son auteur, ce sont les harmonies de Franck ; et Wagner n’eût jamais existé que le maître français les eût parfaitement trouvées de lui-même.

En matière d’exécutions musicales, César Franck n’a jamais été très difficile : il se fût assurément déclaré très satisfait de l’interprétation de Hulda. Sans doute l’exiguïté du théâtre de Monte-Carlo a empêché certaines scènes de se produire dans tout leur développement et a nécessité des changements et des coupures regrettables ; mais les artistes chargés des grands rôles, tous di primo cartello (nous pouvons bien, si près de l’Italie, employer cette expression quelque peu démodée), ont tous été à la hauteur de leur tâche. Mme Deschamps-Jehin s’est révélée soprano : quoique la partie de Hulda soit écrite dans une tessiture beaucoup plus élevée que celle de ses rôles habituels, elle l’a chantée sans faiblir un instant ; sa voix sonne avec une plénitude et un accent remarquables. MM. Saléza, Lhérie, Mme d’Alba, ainsi que l’orchestre, souple et sonore, ont complété une bonne exécution d’ensemble, sous la direction, de M. Léon Jehin, excellent musicien, parfaitement maître de son orchestre. Enfin, le ballet a fourni l’occasion de produire pour la première fois simultanément deux danseuses célèbres, la Zucchi et la Bella, qui, jusqu’ici, s’étaient toujours refusées à paraître sur la même scène : cela est, paraît-il, un événement considérable, et qui intéressé aussi vivement le public spécial de Monte-Carlo que la réunion de Mlles Mauri et Subra dans le même ballet a passionné les abonnés de l’Opéra. César Franck eût-il jamais pensé devoir être complice d’un résultat de ce genre ?...

La représentation d’hier a eu lieu devant un public de grande première parisienne. Le succès a été considérable. On a rappelé les artistes après chaque acte. Le duo du troisième acte, véritablement admirable, a soulevé l’enthousiasme du public. Le ballet, mis en scène avec beaucoup de goût et d’art, a produit un grand effet. Mmes Deschamps, d’Alba, Zucchi et Bella ont été couvertes de fleurs, et le nom de César Franck, proclamé à la chute du rideau par M. Gunsbourg, a été accueilli par une universelle acclamation.

Après l’impression incontestable et presque inattendue causée par la représentation de Hulda à Monte-Carlo, il n’est pas douteux que nous entendions bientôt cette œuvre sur une plus grande scène. Il faut souhaiter que Paris ne nous la laisse pas trop longtemps attendre.

JULIEN TIERSOT.

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data di pubblicazione : 03/11/23