Poèmes intimes pour piano

À la demande de son éditeur Eugène Demets, Jean Cras rassemble en 1912 cinq pièces conçues séparément et les publie sous le titre de Poèmes intimes. Les deux premières datent de son séjour en Islande (1902), la quatrième de son passage à Bizerte en Tunisie (1904), tandis que les troisième et cinquième ont vu le jour à Brest. Les morceaux, chacun dédiés à une personne différente (une certaine Mme Benedicktson, Henri Duparc, Ricardo Viñes, l’épouse du compositeur et la pianiste Marthe Dron) furent créés par Viñes à la Société nationale de musique en avril 1918. En Islande et Preludio con fughetta semblent à la fois se souvenir de l’Islande et de la Bretagne, comme le suggère l’épigraphe du premier Poème, noté en breton et dans sa traduction française : « Hélas ! Les Bretons sont pleins de tristesse !... » Dans la deuxième pièce, Cras conjugue sa propension à une écriture rigoureuse avec son goût pour le folklore. Au fil de l’eau miroite de couleurs impressionnistes, auxquelles se superposent des sonneries de cloche lors du climax. Les deux derniers numéros doivent leur titre et leur climat à des sources poétiques précises : le poème de Baudelaire Recueillement, dont Cras place le premier vers en tête du morceau (« Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille ») et le dernier vers à la toute fin (« Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche… ») ; les deux premiers vers de La maison du matin d’Albert Samain (librettiste de son opéra Polyphème) servent d’épigraphe à la dernière pièce (« La maison du matin rit au bord de la mer/ la maison blanche au toit de tuiles rose clair »). La tarentelle tournoyante qui referme le recueil n’a rien d’« intime », mais répond sans doute au désir de terminer avec éclat.