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Le Voyage dans la lune d’Offenbach

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LES THÉATRES

Gaîté. — Le Voyage dans la lune, féerie-opérette de MM. Leterrier, Vanloo et Mortier ; musique de M. Offenbach.

Encore un succès de décors, de mise en scène, de trucs, de couleurs, de jupes de gaze, de maillots roses, d’effets de lumière électrique ; succès d’acteurs et de costumes ; succès de cadre et non de tableau ; succès d’accessoires et non de pièce. La pièce, où est la pièce ? On est parvenu à rendre vain le précepte de la Cuisinière bourgeoise ; aujourd’hui le civet se fait sans lièvre. Quand on sort de ces représentations, ébaubi, fatigué, les yeux brûlés de clartés, le cerveau brisé sans avoir pensé, il ne vous reste rien, rien dans l’esprit, rien dans le souvenir ; on a été spectateur d’un feu d’artifice ; on a regardé, six heures de suite, dans un kaléidoscope ; on est hébété, ennuyé, maussade. Qu’a-t-on vu ? on ne sait. Qu’a- t-on entendu ? du bruit. On a eu un brillant cauchemar, qui vous laisse le cœur vide et le front lourd. Cela s’appelle un plaisir, et il est des gens qui croient s’être amusés.

Cependant chacun en convient, c’est toujours la même chose. Cet art matériel avait ses limites ; il les a atteintes dans Orphée aux enfers. Depuis, il n’a fait que piétiner sur place, essayant des transformations et ne réussissant, comme au Cirque, qu’à en donner l’apparence. On n’ira pas plus loin dans les merveilles du changement à vue ; on n’ira pas plus loin dans le déshabillé des danseuses. Qu’allez-vous donc voir de nouveau dans un désert si peuplé ? Toujours les mêmes trucs dans la même machine ! 

On croit avoir fait une concession en donnant des féries sans fées. Mais ce ne sont pas les fées qui font la féerie de nos jours inepte. Il y a des fées dans la Tempête et dans le Songe d’une nuit d’été, et la Tempête et le Songe d’une nuit d’étésont des chefs-d’œuvre. Le domaine fantastique compte des productions de génie ; qu’importe que vous supprimiez les fées, si vous ne rétablissez pas la pièce ? Ce qui constitue le spectacle de décadence que nous combattons, c’est l’envahissement du décor ; c’est l’éblouissement des yeux remplaçant l’éblouissement de l’esprit. Aussi appelons-nous féerie tout ce qui est conçu et exécuté de façon à déshabituer le spectateur de toute attention sérieuse. Il en est de la pensée comme du corps, les organes qui ne sont plus exercés ne tardent pas à s’atrophier.

Il y a quelques années, la féerie et l’opérette combattaient séparément ; maintenant elles se sont alliées, au plus grand préjudice de l’art du théâtre. Unies, elles tendent à absorber tous les théâtres. L’opérette avait les Variétés, les Folies-Dramatiques, les Bouffes, la Renaissance, la salle Taitbout, et dix autres petits théâtres ; soit ! Mais quand elle se ligue encore avec la féerie pour s’emparer d’une vaste et belle salle comme le théâtre de la Gaîté, faite pour le drame, faite pour le peuple, nous trouvons que c’est de l’usurpation. 

Eh ! dit-on, ce n’est qu’avec un spectacle tout matériel qu’on atteint ses trois cents représentations. Même comme spéculation, la chose est-elle aussi bonne qu’on veut bien le dire ? Ce n’est pas tout que de faire des recettes, encore faut-il les comparer aux dépenses. Vous encaissez 8 ou 9,000 fr. chaque soir pendant cent représentations. Mais vous avez commencé par dépenser 300,000 fr. de décors, de costumes et de relâches, et vous ayez 6,000 fr. de frais journaliers ; aux deux cents représentations suivantes, les recettes ne sont plus que de 5 à 6,000 fr., les frais continuent à être les mêmes ; et vous êtes heureux quand, après dix mois d’efforts et de peines, après tant de travail et de talent dépensés, vous avez sauvé votre mise et joint les deux bouts. Vous n’avez pas même l’excuse de vous être enrichis !

Mais venons à ce Voyage dans la lune, qui, d’ailleurs, ne demandera pas une longue analyse. Il y avait peut-être dans le sujet une idée, non nouvelle, mais heureuse. Traitée à la façon de Swift ou de Cyrano de Bergerac, elle pouvait donner lieu à une satire fantaisiste qui n’aurait pas été sans intérêt. Les auteurs, qui sont gens d’esprit et de goût, ne paraissaient pas mieux demander que suivre ce chemin ; mais à peine y ont-ils eu mis le pied, qu’ils ont été obligés de disparaître devant le truc ; et la vieille féerie banale a repris possession de son royaume. C’est encore, c’est toujours un prince, le prince Caprice, qui refuse la couronne de son père, qui s’ennuie, et qui déclare vouloir voyager dans des pays inconnus. Il choisit la lune, et le savant Microscope construit un canon de vingt lieues, qui envoie le prince Caprice, son père, et Microscope lui-même jusque dans l’astre désiré.

Tout d’abord quelques scènes vraiment drôles et de bonne comédie. Dans la lune, le métier d roi compte parmi les travaux forcés ; le monarque habite une maison de verre, où les passants viennent le voir travailler et le poursuivent de leurs huées quand il ne fait rien. Le ministre des finances ne cesse de mettre dans le trésor de l’argent de sa poche et le roi est obligé de le destituer parce que ce père de famille se ruine et que ses recettes excèdent par trop ses dépenses. Les médecins sont toujours sous clef. On fait l’économie du ministère public dans les tribunaux, en engageant un avocat qui parle pour et contre ; etc., etc.

Mais hélas ! cette amusante satire s’arrête subitement, pour faire place aux amours du prince Caprice, qui se met à adorer Fantasia, la fille du roi. Dans la lune, on n’a jamais entendu parler d’amour ; les habitants de la terre le font connaître à ce peuple arriéré.

À partir de ce moment, plus rien, sinon que les jardins sont remplacés par des palais ; les palais par des effets de neige ; les effets de neige par des effets de volcans ; les effets de volcans par des effets de costumes.

Tout est aux décorateurs qui, il est vrai, Chéret en tête, sont de vrais artistes et font de vrais chefs-d’œuvre. Mais ils les feraient tout de même pour le drame, et demandez à Chéret s’il n’aimerait pas mieux ça !

Et la musique ? Parbleu, elle est charmante ! trop charmante même et trop fine pour ce large cadre. On a bissé une foule de morceaux ; et, sans la perspective de voir se prolonger jusqu’au jour ce voyage circumlunaire, on en eût sans doute bissé davantage. 

Au premier acte deux romances du prince Caprice, dont l’une : 

Papa, papa, je veux la lune, 

reprise, au refrain, en trio est tout à fait charmante ; un chœur d’astronomes en observation, chœur d’exclamations sous lequel voltige le plus capricieux des dessins d’orchestre, la chanson des petite artilleurs, tout à fait pimpante ; le musicien a pointé juste.

Puis c’est le rondo du voyage en obus sur ce rhythme galopant dont Offenbach joue si lestement, des couplets gracieux chantés par la princesse Fantasia ; un trio tout à fait scénique, un madrigal du dernier galant, un duo.

Ah ! que c’est donc bon 

De croquer des pommes, 

vivement enlevé, finement dialogué. D’innombrables ballets où les airs de danses se succèdent brillants et colorés. Un boniment de charlatan dont Mangin eût avoué les paroles et Vert-de-gris la musique. Un final symphonique, pendant une éruption du volcan, etc., etc. 

Un mot des acteurs.

M. Christian est plein d’entrain dans le rôle du roi V’lan, et M. Grivot lui donne très plaisamment la réplique dans celui de Microscope. Mlle Marcus, une débutante, chante comme un prix de chant du Conservatoire qu’elle est, et joue très gentiment son rôle de princesse de la Lune ; parmi ses demoiselles d’honneur, il en est une, Mlle Blanche Méry, qui prend la parole pour les autres, et chante ce qu’elle a à dire en petits couplets légers et frétillants, qu’elle jabote, ma foi, très gracieusement. Le gros père Tissier, un des piliers des vieilles féeries, qui a résisté au temps, prête sa gaieté corpulente au rôle du roi Cosmos, et Laurent lui fait pendant, dans l’emploi des confidents, où son essoufflement comique produit toujours son effet. 

Et Mlle Zulma Bouffar mène tout cela avec un diable au corps inimaginable, courant, allant, gambadant, chantant ou charlatanisant avec une verve qui jamais ne se lasse. 

 

Persone correlate

Compositore, Violoncellista

Jacques OFFENBACH

(1819 - 1880)

Opere correlate

Le Voyage dans la Lune

Jacques OFFENBACH

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Albert VANLOO Eugène LETERRIER Arnold MORTIER

Permalink

https://www.bruzanemediabase.com/it/node/14905

data di pubblicazione : 18/09/23