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Chronique théâtrale. Le Voyage dans la Lune

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CHRONIQUE THÉÂTRALE

Opérette, que me veux-tu ? Voilà tous les théâtres voués à ce genre faux et bâtard, qui n’a plus même le privilège d’amuser, et qui empêche qu’on ne s’amuse d’autre chose. J’entends tout le monde se plaindre de l’opérette, et tout le monde y va. Ce n’est plus une rage comme autrefois c’est une habitude, et la force de l’habitude croît à mesure que s’émousse le plaisir qu’elle donne. 

C’est toujours un étonnement pour le moraliste de voir comme un genre en France tient bon longtemps encore après qu’il a cessé de plaire. Il va des années et des années en vertu de la vitesse acquise, grâce à la force d’inertie. Rappelez-vous quelle peine dut se donner la génération de 1830 pour enterrer la vieille tragédie des Ducis, qui était morte depuis cinquante ans. Le Théâtre-Français et le public restaient obstinément fidèles à cette forme, devenue classique, après que le goût s’en était retiré. On s’y ennuyait, mais on y retournait. 

Je crois bien cependant que pour l’opérette nous avons touché l’extrême limite de la patience humaine. Le genre est épuisé ; il a donné ses fleurs et ses fruits ; les feuilles tombent aujourd’hui, c’est l’hiver.

Le Voyage dans la Lune n’est, à vrai dire, qu’une vaste opérette soufflée en forme de féerie. La chose a quatre actes, vingt-trois tableaux ; elle est signée de MM. Vanloo, Leterrier et Arnold Mortier.

La musique en est d’Offenbach. 

Les auteurs ont emprunté à Verne le canon qui envoie dans la lune l’audacieux Braston. Ce qu’ils n’ont pu prendre au romancier, c’est précisément ce qui fait l’intérêt de l’histoire c’est le détail scientifique de la fabrication du canon, de la quantité de poudre, de la mesure de la projection. Le charme des livres de Verne, c’est que les fantaisies les plus extravagantes s’y appuient toujours sur les données de la science la plus exacte. Le théâtre est forcé de négliger ce côté de l’œuvre, qui est pourtant le seul curieux.

Le canon gigantesque du Barbicane, de Verne, n’est donc pour les auteurs de la féerie nouvelle, qu’un moyen ingénieux d’envoyer dans la lune leurs trois héros, le roi Vlan, son astronome Microscope, et son fils le prince Caprice. Une fois dans la lune, il n’y a plus qu’à les promener de tableaux en tableaux, jusqu’à ce que le prince Caprice épouse, dans une apothéose, Fantaisie, la fille du roi Cosmos.

Les auteurs se sont donné bien du mal pour se priver du secours des fées, des génies et de leurs talismans. Je crains bien que ce mal n’ait été pris en pure perte. Aux bonnes grosses malices de la vieille féerie, à ses procédés enfantins et gais, ils ont- essayé de substituer des inventions subtiles et d’un esprit raffiné ; ils ont prétendu faire de la satire de mœurs en nous montrant dans la lune la contrepartie de ce qui se fait sur la terre. Il me semble que déjà les Cogniard avaient autrefois mis cette idée en action dans une pièce qui avait pour titre Le monde à l’envers. Mais au lieu de moraliser, les Cogniard s’étaient efforcés de ne choisir que les détails qui pouvaient former spectacle. C’est dans cette folie, si j’ai bonne mémoire, que se donnait le ballet vu de dos. Quand la danseuse, après avoir exécuté son pas en face de la toile de fond qui représentait une salle bondée de spectateurs, se retournait vers le vrai public, haletante, essoufflée, s’essuyant le visage, il s’élevait un fou-rire de l’orchestre aux loges.

C’est là du théâtre. Les réflexions que l’on fait dans le Voyage dans la Lune sur les médecins ; qui sont gardés dans une tour, de peur qu’ils ne propagent les maladies qu’ils sont chargés de guérir ; les plaisanteries sur cette fabrique d’enfants, où les lunatiques vont s’approvisionner de bébés, m’ont paru froides, parce qu’elles ne fournissent ni à une action ni à un spectacle. Ce sont des articles de journaux ; articles spirituellement enlevés d’ailleurs mais, vient-on au théâtre pour écouter un fragment du Charivari ? 

Le tableau qui a eu le plus de succès est celui où, le prince Caprice, déguisé en saltimbanque, vend à la foule assemblée un élixir, composé du jus de cette pomme qui ouvrit à notre mère Ève le secret du bien et du mal. Ce n’est pas seulement parce qu’il a été mené avec une verve endiablée par Mlle Zulma Bouffar et par Christian ; c’est aussi parce qu’il est scénique, parce qu’il rentre dans les données ordinaires du théâtre. 

Voilà des critiques bien moroses pour un ouvrage qui, après tout, n’affiche d’autres visées que celle de distraire les yeux par la succession de nombreux tableaux. C’est que je voudrais que l’on ne confondît point ainsi tous les genres, qui n’ont rien à gagner à ces mélanges. Si vous voulez faire une féerie, usez des procédés qui sont essentiels à cette forme de pièce. Mais n’essayez pas de me fabriquer une féerie qui sera en même temps une comédie aristophanesque et une opérette par-dessus le marché.

Je ne hais pas qu’on chante dans une féerie. C’est la tradition. Mais cette tradition souffrait par-ci par-là un rondeau, tantôt sur le vieux timbre des comédiens, d’autres fois sur un motif de valse, souvent encore sur un air composé exprès, et puis de côté et d’autres quelques couplets qu’on avait soin d’arranger sur des airs à la mode de la clef du caveau actuel. 

C’est, dans le Voyage dans la Lune, une pluie, une averse de notes. Les chœurs succèdent aux trios, les trios aux soli, et après les soli reviennent les chœurs, une orgie, une débauche de chœurs, et presque tous à l’unisson. Je ne me prononce pas sur le mérite de cette partition d’Offenbach. C’est contre le genre que je m’insurge. Trop de musique pour une féerie. Elle est trop lâchée, si c’est un opéra-comique comme l’Eau merveilleuse, de Grisar ; si ce n’est, en effet, qu’une féerie, elle a tort de se faire ainsi de fête partout. Qu’elle se tienne à sa place qu’elle se réserve pour les ballets.

Il y en a deux dans le Voyage dans la Lune qui sont vraiment très jolis, et le second est délicieux. On pourrait l’appeler le ballet de la neige. Les jupes des danseuses sont couvertes de gros flocons ; et à travers ce bataillon de robes blanches, passent quatre oiseaux, d’un bleu sombre, les mains fourrées dans des manchons blancs et roses l’effet est ravissant. Les décors sont nombreux quelques-uns sont magnifiques. Celui qui représente les forges, où l’on travaille le canon monstre, est d’un beau ton rouge et d’un superbe arrangement. On a remarqué encore les jardins de Cosmos, le clos des pommiers, et l’éruption du volcan. Je parle assez paisiblement de ces magnificences, auxquelles je suis fort peu sensible. Au théâtre, je préfère aux plus merveilleux changements à vue un mot plaisant ou, une situation forte. 

La pièce a paru quelque peu traîner en longueur le premier soir. Il en est presque toujours ainsi aux premières représentations des féeries. Elles ne finissent qu’à une heure du matin, et renvoient le public fatigué. Tout cela se tasse aux représentations suivantes ; on en coupe, et il est bien probable qu’on a déjà pratiqué de larges suppressions dans le dialogue et surtout dans la musique.

Christian n’était pas en verve : cet acteur n’est amusant que lorsqu’il se sent la bride sur le cou, et se permet toutes les excentricités qui lui passent par la tête. C’est dans trois ou quatre jours qu’il faudra l’entendre. Il aura ajouté mille grosses folies à son rôle ; quelques-unes seront très réjouissantes ; d’autres feront lever les épaules ; mais il emporte son public dans le torrent d’une bonne humeur épaisse. 

Mlle Zulma Bouffar chante d’un bout à l’autre de la pièce. C’est dans la scène du charlatan qu’on l’a applaudie avec le plus de chaleur ; c’est au duo d’amour qu’elle a le mieux chanté. Elle avait pour partenaire une débutante, qui a nom sur l’affiche N. Marcus. Ses débuts, sans être brillants, ont été fort convenables. 

Je ne cite que pour mémoire Grivot, Laurent, Tissier et Legrenay. Un mot sur l’acteur Colleuille, qui nous a bien amusés. Il n’a qu’un rôle de quatre ou cinq lignes ; il a fait pouffer la salle de rire. Il représente un vieil académicien gâteux, qui après avoir applaudi le discours de son confrère, ne manque jamais de se pencher vers son voisin et de lui demander en se faisant de sa main un cornet acoustique :

— Qu’est-ce qu’il a dit ?

Il est impayable de tournure et de mine. Le Voyage dans la Lune réussira comme ces sortes de pièces réussissent toujours. Il est convenu qu’on y peut aller en famille, et la même mère qui balancera longtemps à mener sa fille voir le Misanthrope ou les Femmes savantes n’hésitera point à la conduire au Voyage dans la Lune. Les femmes nues, les paillons et la lumière électrique n’ont pas l’horrible inconvénient de porter à la réflexion. […]

Francisque Sarcey

Persone correlate

Giornalista

Francisque SARCEY

(1827 - 1899)

Compositore, Violoncellista

Jacques OFFENBACH

(1819 - 1880)

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Le Voyage dans la Lune

Jacques OFFENBACH

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Albert VANLOO Eugène LETERRIER Arnold MORTIER

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data di pubblicazione : 03/11/23