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La Semaine dramatique. Le Voyage dans la Lune

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La Semaine dramatique […]

C’est ce qui m’arrive en ce moment. Je ne reviens pas du centre de l’Afrique, mais pendant que je buvais de la tisane au coin du feu il s’est passé des choses extraordinaires sur quelques-uns de nos théâtres. La plus extraordinaire de toutes, c’est sans contredit le voyage dans la Lune du roi Vlan, en compagnie de son ministre Microscope et de son fils le prince Caprice, avec accompagnement obligé de la musique de M. Offenbach. C’est un agréable spectacle qu’une féerie spirituelle, amusante et bien imaginée comme ce Voyage dans la Lune. Mais aussi quelle fâcheuse aventure quand on tombe entre les mains d’un imbécile qui, s’étant emparé de vous sous le fallacieux prétexte de vous divertir ne vous lâche plus et vous régale, pendant cinq mortelles heures, des lamentables fantaisies de son cerveau malade ! Que faire en pareil cas ? Tue-le dirait peut-être Alexandre Dumas. C’est M. Jules Verne, l’heureux auteur du Tour du monde, qui a eu le premier l’idée d’envoyer des curieux dans la lune en les enfermant dans un obus lancé par un canon de plusieurs kilomètres de long, et il est évident que le roi Vlan, son fils Caprice et le ministre Microscope lui ont emprunté ce mode de locomotion aérienne. Mais l’emprunt ne va pas plus loin d’ailleurs, les voyageurs de M. Verne ne vont pas jusqu’à la Lune : ils s’arrêtent, comme Moïse, à l’entrée de la Terre promise, au lieu que le roi Vlan, son fils et son ministre tombent comme une bombe sur notre satellite ; ils effondrent même, dans leur chute, la toiture du palais habité par le souverain du pays, le roi Cosmos, que cette visite inattendue surprend au dernier point.

Il serait trop long de raconter par le menu comment et pour quelle raison nos trois habitans de la terre ont jugé à propos d’entreprendre cette excursion fantastique. Ils n’ont pas lieu, en tout cas, de la regretter, attendu que les choses étonnantes qu’ils voient dans la Lune valaient bien la peine de risquer le voyage. Ce ne sont pas seulement les paysages et les monumens qui diffèrent des nôtres, les mœurs aussi ont une bien grande originalité. Microscope, par exemple, qui est voleur comme une pie est bien surpris de voir le ministre des finances du royaume de la Lune condamné au bannissement pour avoir enrichi les caisses publiques aux dépens de sa propre fortune. Microscope, habitué à faire tout le contraire, n’avait jamais rien vu de semblable. Ce qui ne l’étonne pas moins, c’est d’apprendre que tous les Lunatiques, Lunariens ou Séléniens, comme on voudra les appeler, reçoivent à leur naissance toutes les décorations en usage dans le pays. Seulement, chaque fois qu’ils font une action d’éclat, on les débarrasse d’une de ces décorations, de sorte que l’homme le plus honoré et le plus honorable est celui qui est parvenu à n’avoir plus ni une croix sur sa poitrine, ni un ruban à sa boutonnière. Les médecins sont enfermés et enchaînés au logis ; on ne les laisse jamais sortir, de peur qu’ils ne tuent quelqu’un. Le roi enfin habite un palais de verre, ce qui permet à son peuple de le surveiller à toute heure et de le stimuler par ses cris lorsqu’il s’abandonne à l’oisiveté, comme aussi de l’encourager par ses éloges lorsqu’il travaille au bien de l’État. 

Pendant que le roi Vlan et le roi Cosmos, en bons compères, échangent des tapes amicales sur le ventre et que le ministre Microscope admire tout ce qu’il voit, le prince Caprice, que la politique et les problèmes sociaux intéressent fort peu, fait sa cour à la princesse Fantasia, fille de Cosmos. Mais la princesse ne répond nullement à son amour, par la raison fort simple que l’amour est inconnu dans la Lune. Cette singularisé tient à ce qu’il n’y a point de pommiers dans le pays. Faute de pommiers il n’y a point de pommes, par conséquent aucune femme n’a pu mordre au fruit défendu. Le prince Caprice, qui a justement une pomme dans sa poche, la croque pour se consoler ; mais le sol de la Lune est si prodigieusement fertile, que les pépins tombés à terre produisent instantanément des arbres qui se couvrent, en quelques minutes, de fleurs et de fruits. Les pommes deviennent très abondantes, les femmes en mangent, et aussitôt tout change ; c’est à qui chantera le plus fort la vieille chanson 

C’est l’amour, l’amour, l’amour 
Qui fait le monde
À la ronde. 

Fantasia lance les plus tendres regards au jeune Caprice. Le roi Cosmos et la reine son auguste épouse résistent seuls encore à l’entraînement général, mais on parvient à leur faire boire une bouteille de cidre, et ils subissent dès lors la loi commune. Le roi devient amoureux fou de sa femme, tandis que Mme Cosmos poursuit de ses déclarations passionnées le vieux Microscope, épouvanté de cette bonne fortune. Les nobles étrangers qui ont causé tous ces désordres sont condamnés à cinq ans de volcan éteint. Heureusement, ce volcan n’était pas aussi éteint qu’on le croyait, et dans une dernière éruption il rejette ses prisonniers. Tout finit par un embrasement général. Le roi Vlan s’en retourne dans ses États, le prince épouse la princesse, et chacun, selon l’expression du maire des Saltimbanques, se déclare content et satisfait. 

Ce n’est pas là, on le voit, la féerie banale. Il y a de l’esprit, de l’invention et de la gaîté de bon aloi dans les aventures de tous ces bizarres personnages. La partition est une des plus agréables que M. Offenbach ait écrites ; la mise en scène est magnifique et fort ingénieuse ; il y a surtout un ballet dans la neige, qui est une chose originale et curieuse à voir. Au moment où j’écris, c’est un succès de vogue qui s’annonce, et en voilà certainement pour tout l’hiver mais il ne faut pas oublier les acteurs. Christian est un roi Vlan tout à fait plaisant. Mlle Zulma Bouffar joue de verve le joli rôle du prince Caprice. Mlle Marcus est charmante dans le rôle de la princesse Fantasia elle n’a pas beaucoup de voix, mais elle chante avec goût, et ce n’est pas pour rien qu’elle a obtenu un premier prix de chant au Conservatoire. […]

Clément Caraguel

Persone correlate

Giornalista

Clément CARAGUEL

(1819 - 1882)

Compositore, Violoncellista

Jacques OFFENBACH

(1819 - 1880)

Opere correlate

Le Voyage dans la Lune

Jacques OFFENBACH

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Albert VANLOO Eugène LETERRIER Arnold MORTIER

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data di pubblicazione : 03/11/23