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La Soirée parisienne. Thaïs

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Editore / Giornale :
Data di pubblicazione :

LA SOIRÉE PARISIENNE
« THAÏS »
16 mars.

D’abord, un peu d’érudition. Thaïs, tirée du roman de M. Anatole France, qui la tira lui-même de la Vie des Saints, a déjà paru sur la scène, il y a quelque neuf cents ans. Et c’est sur le théâtre du couvent de Gandersheim, en Saxe, que la bonne abbesse Hoswitha, pour encourager ses religieuses à l’amour de la chasteté, leur offrait, en un latin suffisant, une peinture fort libre des déportements de la courtisane Thaïs, arrachée au bourbier des luxures alexandrines par les exhortations du saint homme Paphnuce, venu du désert. La bonne abbesse avait déjà régalé ses pieuses filles du spectacle du vieil anachorète Abraham, déguisé en brillant cavalier, pour ravir sa folle nièce aux mollesses claustrales d’un mauvais lieu, et de quelques autres semblables gaillardises.

En pleine ferveur du moyen âge, on semble en avoir pris fort à son aise avec les enchantements charnels. Il est vrai qu’alors, au rebours de ce qui arrive communément aujourd’hui, l’esprit finissait toujours par triompher de la chair ; on mettait à la mortifier la même ardeur qu’à l’assouvir de nos jours, – ô la très chère, — jusqu’à complet anéantissement des facultés sensitives.

Donc, au pied de vastes palmiers, dans le désert de Thébaïde dont le sable blanc est dentelé de bleu par les eaux du Nil, douze cénobites, en longues robes, sont groupés, à table, autour de l’abbé Palémon ; tels les douze autour de Jésus, dans la Cène de Véronèse. Au fond, le ciel s’assombrit ; quelques nuages dorés et pourpres reflètent les rayons du soleil à l’agonie. Et paraît Athanaël, vêtu de bure noire, les reins sanglés d’une corde de poil de chameau, la tête accommodée à la manière des images du Christ dans les tableaux italiens. Delmas a imprimé un admirable caractère d’austérité à ce personnage de jeune moine en qui la passion se voile du prétexte d’arracher Thaïs à l’abîme de perdition où sa beauté orgueilleuse la conduit. L’image de la jeune femme obsède l’esprit du jeune anachorète ; son sommeil en est hanté. Pendant qu’étendu sur sa natte de roseaux tressés, Athanaël sommeille, un rideau se lève et, dans le fond du décor, Thaïs, devant Alexandrie extasiée et hurlante de désirs, apparaît, prêtresse d’Aphrodite aux danses lascives, en des pas où sa taille souple, ses seins affolants et la houle molle de ses reins et de sa croupe, se balancent sous de frêles gazes jusqu’au moment où, rapide, elle se dévêt toute — semble apparaître nue — aux yeux ravis de ses adorateurs. Or, ce tableau vivant a été fort goûté et a fait dire, non sans une nuance de vain regret pour sa brièveté lointaine, en un à peu près transparent comme le dernier voile de Thaïs, que l’Opéra, à ce moment, devenait, en vérité, le temple d’Éphèse.

L’horreur que ce spectacle de volupté inspire au jeune Athanaël lui cache si bien l’érigeante et brusque poussée de son désir qu’il se lève et part vers Alexandrie, pour convertir Thaïs, en dépit des paroles de Palémon, obstiné à lui conseiller de ne se mêler jamais aux gens du siècle, — Nous savons de Marseille que le journal, le Siècle, ne fut jamais en odeur de sainteté auprès du clergé.

Athanaël est d’un bois rude et résistant, tout de même. La voluptueuse mollesse de l’air nocturne, tout imprégné de parfums et tout vibrant de rires, qui enveloppe Alexandrie, aux blanches maisons, étagées au bord de la mer, ne l’impressionne pas plus que la gaieté folâtre de Crobyle et de Myrtale, qui l’effleurent de leurs doigts caressants, et lui parfument la barbe et les cheveux, jettent sur sa bure sombre l’éclatante tunique de soie safranée fleurie d’or pâle, dont il se pare, pourtant, pour paraître devant Thaïs. Et son cœur ne semble pas battre plus fort, lorsqu’elle survient, la courtisane sourieuse et légère, devant la maison de Nicias, parmi les acclamations de toute la cité, pour elle délirante d’amour.

Cependant, sous les soies flottantes dont elle est drapée, traînant dans leurs plis changeants les désirs qui sur elle papillonnent et butinent les petites espérances écloses, les ardeurs, enfin, de tout un peuple qui lui fait cortège, elle est bien la courtisane absolue, la prêtresse d’amour, la Magicienne d’amour, — ô Massenet, musicien de l’amour ! — la Déesse des baisers, Thaïs, cette blonde et robuste Sanderson, dont toute la chair ferme, riche et souple, semble du marbre animé, Sanderson dont les bras blancs, d’un modelé si pur, se tendent se referment, — comme pour d’irrésistibles captures, — sur ses seins offerts ainsi que deux inépuisables fontaines d’ivresse, sous la flamme des larges Yeux où dorment les extases prochaines et qui amenuisent sa tête couronnée d’une chevelure d’or aussi rutilante que celle de l’Aphrodite, du rêve antique, au-dessus de l’onde amère, tordant ses blonds cheveux.

Athanaël, — qui est sans doute un saint et peut-être un raffiné, — voit dans la splendeur si radieuse de la courtisane la souillure du péché dont il veut la purifier.

Pourquoi, s’il ne l’aimait ?

Il n’a de regards pour les charmes périssables d’aucune femme, pas même pour Mlle de Mérode, une des suivantes de Thaïs, qui encadre d’épais bandeaux une petite tête merveilleuse de vierge qui ne l’est plus, mais en garde le délice, une petite tête si bizarrement énigmatique. Mérode qui laisse voir, à travers une légère gaze noire, de si fines et si nobles jambes. — Elles pédalaient adorablement, l’été dernier, à bicyclette, sur tous les chemins du Bois de Boulogne. Et voici l’avril.

Or, Athanaël ne prête aucune attention au luxe tentateur de la maison prestigieuse où Thaïs se désole, le cœur vide autant que le reste, parmi le déchaînement de passion où elle est sans cesse agitée. Le silence propice aux naissants désirs, derrière les épaisses tentures, la complicité alanguissante des meubles, des moelleuses fourrures qui étendraient la sensation bestiale, ni les coquetteries expertes de la belle fille qui serait si heureuse de se donner, en une heure de lassitude, un renouveau de sensations inéprouvées, ne font pas plus lâche la ceinture de corde du cénobite. Mais il triomphe autrement, car, je vous le dis, madame, il s’empare de l’âme de la tant convoitée éperdument ; et — telle autrefois Marie de Magdala — Thaïs se décide à venir au désert.

Athanaël paie sa victoire. La luxure (la femme est un palais hanté par la luxure) dont il a délivré Thaïs va faire de lui son bien et sa proie. L’image de Thaïs, maintenant purifiée par le repentir et la pénitence, hante à nouveau les rêves du carme, d’autant plus ardemment et puissamment que les souillures du péché ne ternissent le resplendissant éclat de l’icône. — Sur sa couche de roseaux tressés, Athanaël dort, les mains jointes.

Les Sept Esprits de la Tentation, en maillot couleur de clair de lune infernale, se penchent vers lui malicieusement, lui ravissent son âme et l’entraînent dans le palais des Enchantements d’Eros, seul roi et seul dieu. O dieux ! il n’est qu’un Dieu. De hiératiques sphynges en soutiennent les voûtes ; — de monstrueuses roses et de géantes fleurs en emplissent les jardins prodigieux. Toute la magie savante et callipyge de l’Enfer y déploie (c’est là que je voudrais vivre) ses prestigieuses séductions. Des multitudes de femmes démones, en une inouïe surabondance de formes et d’attitudes lascives, y imposent victorieusement l’exclusive idée de la sensualité, et l’Esprit de la Perdition dépense, en cette incarnation, Rosita Mauri — ô petite rose, pour qui on meurt — afin de damner l’anachorète, les enlacements troublants, les frénésies de sa Danse excitatrice. L’Étoile de la Rédemption, qui brille un instant — seule lumineuse sur la scène et dans la salle plongée dans l’obscurité — au-dessus de la tête du malheureux martyrisé par toutes les brûlures des incendiantes voluptés où il est captif, disparaît vite. L’Etoile aux purs rayons devient lointaine, puis s’efface devant la triomphante image de la Thaïs d’autrefois, soudain évoquée, parmi l’effervescence et le vertige des danses sabbatiques.

Enfin, dans un blasphème désespéré contre Dieu, madame, l’infortuné maudit sa continence rude, au bord du lit d’agonie, où Thaïs, sanctifiée, — sainte Thaïs — meurt dans la cour des Filles Blanches du Monastère, les yeux noyés dans la définitive extase que lui donne l’espérance du Paradis de Lumière, de Pureté — et de repos — où son âme allégée et apaisée s’envole au son des harpes invisibles qui chantent l’éternelle Félicité. — Telle est Thaïs ; ou, du moins, ainsi, je l’ai regardée.

Un Monsieur en habit noir.

Persone correlate

Compositore, Pianista

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

Opere correlate

Thaïs

Jules MASSENET

/

Louis GALLET

Permalink

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data di pubblicazione : 05/10/23