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Semaine théâtrale. Thaïs

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SEMAINE THÉÂTRALE
THAÏS
Comédie lyrique en trois actes et sept tableaux
Poème de Louis GALLET, d’après le roman d’Anatole FRANCE.
Musique de J. MASSENET.

Qu’en pensera-t-on, de cette jeune personne d’allure si vive, de forme si libre, qui s’en va le nez au vent, faisant la nique aux vieilles coutumes et jetant sa chanson aux quatre coins de la scène, comme elle lui vient et selon les circonstances ; ici, comédienne sans pudeur et courtisane impure, là, fille de Dieu se laissant gagner par la parole enflammée d’un moine et mourant béatement dans l’extase des joies célestes ? Qu’en pensera-t-on, de ce moine confit en dévotion, de ce cénobite des bords du Nil partant à la conquête d’une âme perdue et en revenant touché par la grâce de l’amour humain ? Double conversion raffinée qui effarouchera certaines intelligences ingénues, comme il s’en trouve encore même en cette fin de siècle pourtant peu timorée, mais où les délicats et les curieux d’intime psychologie trouveront leur compte et leur régal.

C’est un des livres les plus fins et les plus aimables qu’on ait publiés en ces dix dernières années que cette Thaïs d’Anatole France, dont l’ironique philosophie est si pleine de charme et d’esprit. C’est, à purement parler, un petit chef-d’œuvre qui devrait mener son auteur bien loin du côté du pont des Arts, s’il y avait une justice dans la république des lettres. M. Louis Gallet n’a pu en prendre que la synthèse, en laissant de côté tous les riens adorables, toutes les discussions subtiles, qui n’auraient pu que gêner la marche d’une comédie lyrique comme celle qu’il a conçue, encore que la fantaisie y tienne une place importante, ainsi qu’on va voir.

Au quatrième siècle de l’ère chrétienne, des cénobites vivent au bord du Nil, bien loin des choses du monde, s’occupant plus des salades de leur jardin qu’arrose la bonté divine que de la politique des empereurs romains. L’un d’eux, Athanaël, est travaillé par des songes qui lui montrent sans cesse une courtisane d’Alexandrie qu’il a entrevue dans sa prime jeunesse, alors que la grâce ne parlait pas encore à son cœur et qu’il n’avait pas trouvé au désert un refuge avec le calme et la sanctification. Ces rêves, non dépourvus de volupté, qui l’assaillent et tourmentent sa chair, il n’hésite pas à leur donner une signification divine. Dieu, en les lui envoyant, lui indique clairement son devoir : il doit partir et ramener vers le ciel l’âme égarée de la courtisane païenne, de cette Thaïs qui remplit la ville de scandale et de péché. Et, malgré les exhortations du bon Palémon, le voilà parti pour Alexandrie.

Tout ce petit tableau a été traité musicalement par le musicien dans une teinte de grisaille voulue et avec des moyens d’exécution fort restreints. Il se déroule presque tout entier sur un dessin obstiné de petite marche mystique à l’orchestre, coupé seulement par un cantabile onctueux d’Athanaël et la vision du cirque d’Alexandrie où danse Thaïs ; ici, les harmonies deviennent flottantes et voluptueuses, gardant tout le vague du rêve. La fin du tableau, où l’on entend la voix du saint se perdre dans le désert en chantant les louanges du Seigneur, pendant que les cénobites agenouillés répètent en scène les mêmes prières, laisse une grande impression.

Nous voici maintenant chez Nicias, un philosophe épicurien, qui mène la vie au milieu des amours et des roses. C’est un ancien ami de la jeunesse d’Athanaël ; c’est donc là que le moine vient s’adresser tout d’abord dès son arrivée à Alexandrie : « Connais-tu Thaïs, la comédienne ? — Ma foi oui, tu tombes bien ; pour l’instant, elle est mienne et va venir souper ici en très joyeuse compagnie à la sortie du théâtre. — Bon, prête-moi donc, ami, quelque robe d’Asie, pour que dignement je puisse figurer à ce festin. » Et des esclaves de vêtir Athanaël et de le parfumer, comme autrefois. Toute la troupe des comédiennes et des philosophes, amis de Nicias, arrive bruyamment ; et la lutte entre le saint et la courtisane s’engage immédiatement : « Que me veux-tu ? — Te conquérir à Dieu ! — Passe ton chemin, je ne crois qu’à l’amour. » Et la belle créature s’apprête à danser devant lui, comme elle fait au cirque. Athanaël déjà troublé s’enfuit, mais en promettant d’aller relancer la courtisane jusque dans son palais pour lui porter le salut : « Ose venir, toi qui braves Vénus, » lui crie Thaïs provocante.

Toutes ces scènes, d’une grâce si aimable, ont été traitées par le musicien avec un rare bonheur et une finesse de touche merveilleuse. Le petit prélude d’orchestre qu’on entend au lever du rideau, avec le chant strident des cuivres, qui éclate sur le charme enveloppant des violons, est bien le commentaire symphonique du panorama d’Alexandrie qu’on aperçoit du haut de la terrasse de Nicias : un amas de constructions blanches et basses, aux contours pittoresques, qui se noie dans une mer bleue, si bleue, frappée par un soleil implacable, qu’elle en est toute scintillante. Il y a de l’ampleur dans l’anathème lancé par Athanaël sur cette Alexandrie, « ville de luxure et de péché » qui fut son « berceau selon la chair ». Le quatuor où deux belles esclaves revêtent le moine d’une robe souple et chatoyante est bien amusant avec son orchestre riant, les effarements du saint, les plaisanteries de Nicias et les remarques malicieuses des suivantes. Le duetto qui suit entre Thaïs et son amant est d’un tour très original. Puis, c’est la scène finale avec les coquetteries de la courtisane : « Qui te fait si sévère ? », les révoltes d’Athanaël et les moqueries des philosophes.

Une symphonie assez développée qui nous dépeint « les amours d’Aphrodite », pantomime ancienne qui fut en honneur chez les Grecs, relie ce tableau au suivant, où nous voyons Thaïs rentrée chez elle, fatiguée de toutes ces fêtes, mécontente d’elle et des autres : « Les hommes ne sont qu’indifférence et brutalité... les femmes sont méchantes... et les heures pesantes ». Elle ne croit plus qu’à sa beauté, elle ne croit plus qu’à son miroir, et elle adresse à Vénus de tendres prières pour lui conserver éternellement cette beauté qui reste sa seule raison d’être. C’est ce moment de lassitude de tout et d’elle-même qu’Athanaël choisit pour pénétrer auprès d’elle. La scène est charmante d’abord avec les railleries de la courtisane au dévot personnage, puis pleine d’élévation quand le moine lui verse à flots pressés la parole sacrée, tente de la séduire et va jusqu’à la terroriser pour assurer davantage sa conquête. À bout de force et dans son dégoût de la vie qu’elle mène, Thaïs va pour céder quand la voix amoureuse de Nicias se fait entendre au-dehors. Il lui chante une sérénade. La courtisane tente de se reprendre : « Va-t’en, dit-elle au moine ; je suis Thaïs la courtisane, je ne crois plus à rien, ni à lui, ni à toi, ni à ton Dieu. » Et elle tombe en sanglotant. « À ton seuil jusqu’au jour j’attendrai ta venue », dit le moine en se retirant, sûr désormais de la victoire.

C’est encore là un tableau très réussi, où les malices de la courtisane mêlées aux emportements du saint donnent des contrastes saisissants. À signaler la prière à Vénus, d’une couleur délicieuse, et la scène piquante du miroir.

Et nous voici sur la place publique : c’est clair de lune, la ville dort. Une maison de jeu, au fond, garde seule ses fenêtres allumées et l’on entend une douce musique, faite du tambourin et de la double flûte, qui s’en échappe par bouffées. Voici aussi la demeure de Thaïs ; sur les marches de l’atrium, le moine est là qui songe et qui attend. Bientôt la courtisane sort, une lampe à la main, cherchant le saint comme Héro cherchait Léandre, et un dialogue s’engage entre eux, se détachant en sourdine sur la musique de la maison de joie : « C’est moi, me voici. — Je l’attendais ; non loin d’ici il est un monastère où des femmes élues vivent pareilles à des anges. C’est là que je te conduirai. Mais d’abord anéantis tout ce qui fut l’impure Thaïs. Que tout ce qui fut toi retourne à la poussière ! » La courtisane demande grâce seulement pour une petite statue d’Eros, une sorte de dieu lare qui veille sous le porche de sa villa : « L’amour, dit-elle est une vertu rare ; j’ai péché non par lui, mais plutôt contre lui. Prends donc cette image pour la placer dans quelque monastère, et ceux qui la verront se tourneront vers Dieu. Car l’amour nous élève aux célestes pensées. » Fureur d’Athanaël, surtout quand il apprend que cette statuette lui fut donnée par Nicias. Il la brise et tous deux rentrent dans la maison pour livrer tout à la flamme. À ce moment, le jour commence à poindre et Nicias sort de la taverne avec de gais compagnons. Le jeu lui a rendu tout ce que l’amour lui avait pris. Devant la maison de Thaïs, quelques légers sarcasmes à l’adresse de la courtisane. En ce moment en sort Athanaël avec une torche allumée : « Ah ! taisez-vous, Thaïs est l’épouse de Dieu, elle n’est plus à vous. La Thaïs nouvelle, la voici. » Et on la voit apparaître avec une sorte de cilice. Cris de fureur. Comment, il veut nous enlever Thaïs ! La foule s’amasse sur la place. Il y a là tout ce qui vit du luxe de cette femme : les commerçants, les joailliers, les usuriers. On va faire au saint un mauvais parti ; déjà on lui lance des pierres. Nicias apaise tout en jetant à cette meute son or par poignées. Athanaël et sa conquête ont le temps de s’enfuir.

Au point de vue musical, cet acte mouvementé contient une adorable méditation pour violon solo qui lui sert d’entracte, une perle mélodique : « L’amour est une vertu rare », et un final de belle sonorité.

Le saint est rentré au désert, après avoir conduit Thaïs dans un monastère ; il est tout fier de ce qu’il croit être une victoire, mais il ne tarde par s’apercevoir qu’il n’est lui-même qu’un vaincu. L’image de Thaïs le poursuit partout et tourmente sa chair, il a des rêves voluptueux, des cauchemars où il assiste à la perte de son âme, jusqu’au jour où il entend dans la nuit des voix lui crier : « Thaïs va mourir ! » Il se réveille en sursaut, affolé. Thaïs va mourir ! Non, il ne peut supporter cette idée, il la reverra, il lui dira son amour insensé ; et il se sauve haletant dans la nuit. Il arrive au monastère, où prient les « filles blanches » près de la couche de Thaïs expirante. C’était vrai, Thaïs la sainte va mourir. Et alors s’engage un duo de belle envolée, où la moribonde qui « voit le ciel » exprime sa joie de retourner pardonnée vers le Seigneur, tandis que le moine se roule à ses pieds dans le désespoir et dans la honte. Superbe fin d’un ouvrage curieux, qui passe par toutes les formes du lyrisme, sans s’arrêter à aucune, tantôt léger et délicat, tantôt profond et passionné, avec des teintes mystiques ici, et là avec tout le désordre des humaines faiblesses.

Qu’en pensera-t-on, comme nous disions au début de cet article ? Peut-être le public devra-t-il s’y reprendre à deux fois avant de se bien pénétrer de toutes ces finesses et de toutes ces originalités. Mais c’est là assurément une véritable œuvre d’art bien nouvelle d’inspiration, et le temps ne pourra que la faire grandir dans l’admiration des amateurs de sensations raffinées.

L’interprétation en a été tout à fait supérieure de la part de Mlle Sibyl Sanderson et de M. Delmas. Le talent et la voix de la première semblent avoir doublé depuis Phryné. Son organe, qui paraissait mince à l’Opéra-Comique, a pris une ampleur inattendue, et l’on peut dire que dans cette salle immense de l’Opéra on ne perd pas une de ses notes, pas une de ses paroles. Elle a chanté aussi avec infiniment de talent. Quant à la femme, elle est toujours merveilleuse, d’une élégance et d’une séduction irrésistibles quand elle arrive chez Nicias, drapée dans ses voiles si souples qui lui donnent l’air d’une statuette exquise de Tanagra ; plus belle encore quand elle ôte ces voiles, d’une beauté à faire damner tous les saints du paradis. Le pauvre Athanaël est d’avance tout excusé.

M. Delmas a, lui, des accents superbes, une grande manière de phraser et beaucoup d’allure comme comédien. C’est pour lui une soirée triomphale et une création inoubliable.

La jolie voix de M. Alvarez fait merveille dans le rôle de Nicias, où il met de la grâce et de la gaîté. Mmes Marcy et Héglon, les deux esclaves rieuses, Mlle Beauvais, MM. Delpouget et Euzet, sans oublier les dix cénobites, forment un ensemble de talents très respectable.

Mlle Mauri, au ballet, est toujours pleine de verve. Ses petits pieds ont tant d’esprit ! L’orchestre, sous la conduite habile de maître Taffanel, a fait tout son devoir, sachant mettre en relief les moindres intentions du compositeur. Les chœurs ont bien marché aussi sous la direction de M. Léon Delahaye. Beaux décors de MM. Jambon et Carpezat et costumes signés Bianchini.

H. MORENO.

Persone correlate

Giornalista, Editore

Henri HEUGEL

(1844 - 1916)

Compositore, Pianista

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

Opere correlate

Thaïs

Jules MASSENET

/

Louis GALLET

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data di pubblicazione : 16/10/23