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L'art au théâtre. Le Voyage dans la Lune

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L’ART AU THÉATRE

Le théâtre, depuis longtemps, ne nous a guère rien donné où l’art se trouvât intéressé. 

Les nouveaux décors des Huguenots, à l’Opéra, reproduisent à peu près identiquement les anciens, et un curieux de nos amis nous faisait observer que la salle du palais de Nevers, où se prépare la Saint-Barthélemy, était bien mesquinement meublée avec ses fauteuils et ses canapés de chêne menuisé.

Au Théâtre-Lyrique par jugement, mais Historique de fait, les Muscadins, de M. J. Claretie, sont montés avec un soin suffisant. 

Un décor, représentant un salon aux meubles maigres, peints en blanc, de l’époque du Directoire, nous semble une épave des Merveilleuses, de M. V. Sardou. 

Le défilé de l’armée d’Italie sur le Pont- Neuf, malgré le petit nombre des soldats, fait une certaine illusion, grâce à la chute rapide du rideau. 

Quant au bal sur la terrasse des Feuillants, son originalité et son animation ne dissimulent point ce qu’il y a d’aigre dans les verdures des arbres des allées qui encadrent la scène. 

Dans la féerie sans fées, intitulée le Voyage dans la lune, c’est la fantaisie qui, par le crayon de Grévin, a dessiné les costumes. Les sujets terrestres de l’excentrique roi Vlan portent des costumes moitié tyroliens, moitié allemands, surtout dans les uniformes. Les sujets lunaires du débonnaire roi Cosmos sont à peu près habillés comme les Égyptiens du temps des Pharaons, avec une certaine dose d’excentricité dans les détails et une tendance à se rapprocher considérablement, pour les femmes, des robes collantes d’aujourd’hui. La princesse Fantaisie est une Égyptienne de la Chaussée- d’Antin. 

L’atelier, avec ses machines en mouvement, où se forge le canon monstre qui doit envoyer dans la lune les protagonistes de la pièce, est un des décors les plus originaux et les mieux réussis que nous ayons encore vus. Surtout au lever du rideau, lorsqu’une lumière rouge qui semble s’échapper des fours à réchauffer incandescents, éclaire les martinets, les marteaux-pilons et les laminoirs, l’illusion est complète. Mais, lorsque tout s’arrête et que les forgerons, ayant quitté la scène, laissent la place aux acteurs et au dialogue, la lumière rouge cesse d’éclairer les machines, tandis que des carneaux des fours continuent à s’échapper des traînées de lumière et que des gerbes d’étincelles paraissent jaillir sous la paume des marteaux. La cause subsiste, mais l’effet disparait. 

Les forgerons, dont nous avons parlé, frappent avec des marteaux muets sur des enclumes sourdes, au lieu de servir les machines inutiles qui s’agitent à vide autour d’eux. Puisqu’on voulait représenter l’intérieur d’une forge mécanique, il eût été très-facile, à notre avis, de faire passer sous les laminoirs des rubans peints en rouge, et de présenter sous les marteaux des morceaux de bois imitant le fer incandescent.

Tandis que le décorateur se mettait au niveau de la mécanique moderne, le metteur en scène en était resté à l’industrie de, cyclopes. 

L’architecture de la lune est un compromis entre celle des temples monolithes d’Eliot dans les Indes ou du Yucatan au Mexique, combinée avec le bois découpé des chalets suisses. 

Un décor à transformations successives, qui montre le cratère d’un volcan éteint, qui se rallume peu à peu et fait éruption, lançant des Ilots de lave qui bouillonne et des gerbes de pierre, est fort habilement machiné. Un lever de la terre, éclairant les sommets désolés du volcan, succède aux incandescences de l’intérieur du cratère, et remplace l’apothéose finale de ces sortes de choses. 

Deux ballets interrompent l’action.

Le premier ne sort pas des conditions ordinaires des ballets éclairés à la lumière électrique, dont l’intensité perce à jour, pour ainsi dire, le ténu du décor et en fait disparaitre la peinture au lieu de l’éclairer. Il est vrai qu’au bout de quelques secondes, on ne s’occupe plus que du tourbillonnement des danseuses. 

Le second ballet, le ballet de la Neige, est une des plus jolies choses que l’on puisse voir. 

Les danseuses, tout de blanc habillées, avec des fleurs de laine blanche s’agitant sur leur corsage et sur leur jupe, dansent sous la neige qui tombe à flocons serrés. Un paysage lunaire, tel que nous le montrent les épreuves photographiques obtenues dans les télescopes, représentant une foule de cratères ronds, creusés dans un sol tout blanc de neige, limité sur les côtés par des banquises de glace, sert de cadre au ballet. Mais, comme toutes les blancheurs du décor sont modelées en gris bleuâtre, par un effet de contraste les carnations des danseuses prennent spontanément une teinte orangée, fort dure et fort désagréable. Ajoutez que six danseuses, habillées en oiseaux bleus et roses, viennent encore aviver cet orangé, comme fait la touche rouge dont se servent les paysagistes pour réveiller les verts de leur tableau. 

La lumière électrique, moins jaune que celle du gaz, ne suffit point à corriger cet effet, et il serait nécessaire de lui faire traverser des verres bleus, afin de rendre aux carnations et aux maillots des ballerines l’aspect de la nature. 

ALFRED DARCEL. 

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Compositeur, Violoncelliste

Jacques OFFENBACH

(1819 - 1880)

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date de publication : 21/09/23